Un dialogue piégé : quand le Conseil de sécurité et la MANUA oscillent entre engagement et légitimation des talibans

La Lettre d’Afghanistan, 29 juin 2025

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La guerre d’attrition contre les filles : vivre, c’est déjà résister

Le dernier rapport présenté au Conseil de sécurité par Roza Otunbayeva, cheffe de la MANUA, résume toute l’ambiguïté actuelle de la diplomatie onusienne en Afghanistan : un discours lucide et précis sur la tragédie des femmes et des filles, mais un aveuglement stratégique sur les conséquences de l’exclusion du peuple afghan du processus politique. La Cheffe de la MANUA a raison de dénoncer « la guerre d’attrition invisible » menée par les talibans contre les femmes, mais cette lucidité ne débouche pas sur une stratégie crédible. Au contraire, en s’arc-boutant sur un « engagement plus cohérent » avec les autorités de facto, l’ONU ouvre un chemin qui ressemble plus à une normalisation progressive qu’à un plan pour restaurer les droits humains.

Dans le même temps, les constats de la Directrice exécutive d’ONU-Femmes et de la Sous-Secrétaire générale aux affaires humanitaires sur l’effondrement de la situation sanitaire, alimentaire et éducative des femmes et des enfants afghans sont accablants : 2,2 millions de filles privées d’éducation, un Afghan sur cinq souffrant de la faim, un plan humanitaire financé à seulement 21%. Ces données factuelles montrent l’ampleur de la crise et devraient logiquement conduire la communauté internationale à conditionner toute négociation à des engagements clairs et vérifiables des talibans. Pourtant, les débats au Conseil de sécurité ont illustré un clivage profond entre ceux qui prônent un dialogue « patient » — comme la Russie et ses alliés régionaux — et ceux qui, comme la France, le Royaume-Uni ou les A3+, constatent l’échec patent de la stratégie onusienne depuis quatre ans.

Doha : un processus vidé de sens, instrumentalisé par les talibans

L’analyse de la déclaration d’Arian Nasiri éclaire la véritable nature du processus de Doha : loin d’être un cadre inclusif pour la paix, il s’est transformé en un outil de légitimation des talibans, où la société civile afghane est systématiquement écartée. Dès l’origine, les négociations de Doha ont été biaisées par l’exclusion de l’ancien gouvernement afghan et des forces démocratiques. Depuis la chute de Kaboul, le processus s’est institutionnalisé sous l’égide de l’ONU et du Qatar, mais toujours sur la même logique : offrir une tribune internationale aux talibans, sans ouvrir la table aux femmes, aux minorités ou aux acteurs démocratiques.

Cette réalité est confirmée par le Front pour la liberté de l’Afghanistan et plusieurs voix afghanes indépendantes : les talibans utilisent Doha pour consolider leur pouvoir, pas pour négocier une transition inclusive. Le texte de Nasiri met en évidence le risque d’un engrenage dangereux : en fournissant une reconnaissance tacite aux talibans, l’ONU et ses partenaires contribuent à renforcer un régime autoritaire qui refuse toute forme de compromis sur les droits humains. La rhétorique des talibans — refuser la présence des opposants, exiger le contrôle des listes de participants — montre que leur participation à Doha n’est pas une ouverture, mais une stratégie de verrouillage.

Une communauté internationale divisée et inconsistante

Les débats au Conseil de sécurité l’ont confirmé : les fractures sont béantes. La Russie et la Chine plaident pour une normalisation progressive, en saluant la « stabilité » apportée par les talibans, tandis que la France et les États-Unis constatent l’échec d’une politique de dialogue sans conditions. Cette dichotomie est encore renforcée par la position du Pakistan, qui appelle à la levée des sanctions mais s’inquiète parallèlement de la menace terroriste persistante à partir du territoire afghan. L’Inde, elle, insiste sur un consensus régional, alors même que ce consensus n’existe pas.

Cette division conduit à une absence totale de leviers concrets : alors que les talibans posent des exigences précises (reconnaissance officielle, dégel des avoirs), la communauté internationale se contente de condamnations morales sans échéancier ni critères. Le représentant afghan l’a parfaitement résumé en dénonçant « l’asymétrie des attentes » qui conduit inévitablement à la normalisation du régime taliban, sans réforme ni accountability.

Un silence complice : la grande absente, la société civile afghane

Le constat le plus glaçant reste l’absence des Afghans eux-mêmes dans ce processus. Ni les organisations de femmes, ni les jeunes, ni les acteurs politiques démocratiques ne sont associés de manière significative aux discussions de Doha. Cette exclusion est un double scandale : elle prive le peuple afghan de son droit à l’autodétermination et alimente la stratégie des talibans qui misent sur l’épuisement et la division de la communauté internationale pour imposer leur ordre.

L’appel d’Arian Nasiri, comme celui du Front pour la liberté, rappelle que la paix ne peut pas naître d’un processus qui légitime un groupe extrémiste au détriment de la population. La répétition d’un tel schéma ne fera que reproduire les erreurs du passé : un accord imposé, ignorant la société civile, aboutit toujours à une reprise de la violence.

La voix du Front de la liberté : un avertissement ignoré

Le Front pour la liberté de l’Afghanistan a clairement exprimé son inquiétude face au processus de Doha, qu’il juge illégitime et dangereux pour l’avenir du pays. Dans sa déclaration récente, le Front souligne que les talibans n’ont aucune légitimité pour représenter le peuple afghan et que l’ONU commet une grave erreur en persistant à dialoguer avec eux sans consulter les véritables acteurs de la société afghane. Selon le Front, chaque réunion à Doha sans inclusion des femmes, des opposants et de la société civile renforce la position des talibans et enterre les espoirs de millions d’Afghans qui refusent la tyrannie. Le mouvement alerte la communauté internationale sur le risque d’un nouveau conflit interne si cette approche continue, et appelle à une révision complète du processus pour bâtir un dialogue réellement national et inclusif, sous peine de précipiter le pays dans un chaos prolongé.

Vers une impasse aux conséquences régionales majeures

Enfin, l’embrasement régional actuel — avec les tensions Iran-Israël qui menacent 7 millions de réfugiés afghans en Iran — montre à quel point la stabilité de l’Afghanistan est étroitement liée aux équilibres régionaux. La fuite massive d’Afghans hors d’Iran, la flambée des prix et la pression humanitaire supplémentaire illustrent la vulnérabilité extrême du pays. Or, la MANUA, l’ONU et les grandes puissances continuent de traiter la crise afghane comme un dossier isolé, sans lien avec les tensions géopolitiques environnantes.

Conclusion : un processus qui perpétue l’injustice au lieu de la corriger

Ce rapport met en lumière une contradiction centrale : le Conseil de sécurité, la MANUA et le processus de Doha prétendent chercher une solution inclusive, mais leurs méthodes renforcent la marginalisation du peuple afghan et la légitimation des talibans. À force de vouloir « stabiliser » à tout prix, la communauté internationale oublie que la stabilité sans justice et sans inclusion est une illusion. Si le dialogue doit exister, il doit être fondé sur des critères clairs, une représentation pluraliste et une exigence absolue de respect des droits humains, faute de quoi le processus de Doha restera le symbole d’un échec diplomatique tragique.

Sources :

Pour les déclarations du Front pour la liberté de l’Afghanistan (AFF) :
Site officiel aff-afghanistan.org

Article d’Arian Nasiri :
S’il a été publié sur LinkedIn, la page peut devenir inaccessible en fonction de la confidentialité de son profil ou des paramètres de visibilité de l’article. Essayez de le contacter directement via son profil LinkedIn en recherchant « Arian Nasiri ».

Pour les déclarations des États au Conseil de sécurité :
https://press.un.org/fr/2025/cs16096.doc.htm

 

 

 

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