Afghanistan : la loi talibane sur la moralité, ou l’instauration d’un apartheid de genre

Par La Lettre d’Afghanistan – mai 2025

Le 21 août 2024, le régime taliban a franchi une nouvelle étape dans l’institutionnalisation de sa théocratie autoritaire. Une loi intitulée « sur la propagation de la vertu et la prévention du vice » (PVPV) a été publiée au Journal officiel, renforçant drastiquement le contrôle social, moral et religieux imposé à la population afghane. Cette loi codifie les pratiques arbitraires déjà à l’œuvre depuis le retour des talibans au pouvoir et leur donne une base juridique pour une répression accrue.

Un rapport d’Afghan Witness, PVPV-Law-Report-AW, publié en mars 2025, revient en détail sur les conséquences de cette législation sur les libertés fondamentales, les droits des femmes, les médias et les minorités.

Un ministère du vice, au service de la régression

Inspirée de précédents historiques remontant aux années 1920, mais portée à son paroxysme par les talibans dès 1996, la MPVPV (Ministère de la propagation de la vertu et de la prévention du vice) est devenu un pilier du second Émirat islamique. Supprimant dès septembre 2021 le ministère des Affaires féminines, les talibans lui ont cédé ses locaux pour mieux installer leur vision rigide de la société islamique.

Le ministère dispose désormais de 4 500 agents répartis dans tout le pays, chargés de veiller au respect de normes sociales imposées à coups de bâtons, d’arrestations, d’intimidations et de sanctions humiliantes.

Les femmes : premières cibles du dispositif

Sur les 130 violations documentées par Afghan Witness, 51 concernent spécifiquement les femmes. La loi PVPV leur impose :

  • Le port obligatoire du voile intégral (incluant le visage),

  • L’interdiction de faire entendre leur voix en public (chant, discours, récitation),

  • L’interdiction de voyager, d’étudier ou de travailler sans mahram (accompagnateur masculin).

Des dizaines de cas d’arrestations, de violences, de menaces ou d’exclusions ont été rapportés. À Badakhshan, une femme enceinte a perdu son enfant après avoir été fouettée par des agents du MPVPV. À Kaboul, des étudiantes sont battues en salle de classe pour avoir oublié leur burqa. À Herat, des ateliers de couture, des salons de thé et des cafés tenus par des femmes ont été fermés.

L’accès à la santé est également compromis : les femmes doivent parfois présenter un permis de déplacement ou être accompagnées pour recevoir un soin, même en cas d’urgence.

Un contrôle total de la vie publique et privée

Outre les femmes, les hommes n’échappent pas aux injonctions morales. Les cheveux longs, les barbes taillées, les vêtements jugés occidentaux sont passibles d’arrestation ou de châtiments physiques.

Le régime va jusqu’à interdire toute représentation d’êtres vivants – une mesure visant la télévision, les réseaux sociaux, les supports éducatifs. Au moins 16 provinces ont vu leurs chaînes locales fermées. À Badghis, les voix féminines ont été bannies de la radio.

Le PVPV ne tolère aucune alternative culturelle ou religieuse : Nowruz, Shab-e Yalda, ou les fêtes chiites ont été interdites. Même les sanctuaires sont devenus inaccessibles aux femmes.
Une propagande agressive à l’international
Paradoxalement, alors que la loi restreint les droits de tous, le MPVPV tente de se présenter sur les réseaux sociaux comme défenseur des droits des femmes. À travers un compte X en anglais, le ministère diffuse des messages sur les violences domestiques ou les droits d’héritage, dans une stratégie évidente de communication à destination de la communauté internationale – alors même que la CPI et la CIJ enquêtent sur les crimes de genre en Afghanistan.
Conclusion : l’Afghanistan plongé dans un ordre moral totalitaire

Ce que révèle le rapport d’Afghan Witness est clair : la loi PVPV est l’un des fondements juridiques de l’apartheid de genre mis en œuvre par les talibans. Derrière une rhétorique religieuse se cache un dispositif d’oppression, de surveillance, et de normalisation de la violence d’État.

Conclusion : Vers un apartheid moral et sexiste

La loi PVPV constitue un instrument systémique de répression. Elle consolide un ordre fondé sur la peur, l’humiliation publique et la violence sexiste, où la religion est instrumentalisée pour briser les libertés fondamentales. Si la communauté internationale reste spectatrice, ce dispositif pourrait devenir permanent, légitimant de facto une forme d’apartheid de genre en Afghanistan.

Afghan Witness appelle à une pression accrue sur les autorités de facto, à une documentation rigoureuse des abus, et à des actions concrètes devant les juridictions internationales.

Sources :
Rapport Afghan Witness – Policing Morality in Afghanistan, mars 2025

Rukhshana Media, Amu TV, Afghanistan International, 8am.media



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