Moscou hisse le drapeau taliban : la Russie officialise l’apartheid de genre

📰 Édito – « Les Afghanes sacrifiées entre cynisme oriental et mutisme occidental »
Le 3 juillet 2025, la Russie est devenue la première grande puissance à reconnaître officiellement le gouvernement taliban comme autorité légitime de l’Afghanistan. À Moscou, le drapeau blanc frappé de la shahada a remplacé celui de la République islamique d’Afghanistan devant l’ambassade, symbolisant une rupture historique : un régime fondé sur l’apartheid de genre accède désormais à la reconnaissance internationale. Cette décision russe n’est pas un simple geste diplomatique ; elle marque le basculement d’un équilibre régional et confère une légitimité à un pouvoir qui fait de la soumission des femmes la pierre angulaire de son projet politique.
La manœuvre de Moscou est limpide : asseoir son influence en Asie centrale, prendre le contre-pied des hésitations occidentales et se poser en faiseur de rois d’un espace stratégique convoité par la Chine, l’Iran et le Pakistan. Cette reconnaissance est un coup de maître géopolitique, mais elle a un prix : elle entérine l’idée qu’un régime totalitaire et misogyne peut obtenir un siège à la table des puissances s’il sert les intérêts des grands. Elle envoie un signal terrifiant à tous ceux qui luttent pour la liberté et la dignité : la violence peut triompher, et l’apartheid de genre peut être récompensé.
Pendant que Moscou assume son cynisme, le silence de l’Occident devient assourdissant. Washington et Bruxelles se contentent de condamnations verbales, sans mesures concrètes. Les discussions se poursuivent avec les talibans via le Qatar ou les agences de l’ONU, et aucune sanction n’a été imposée. L’Afghanistan est relégué au rang de dossier secondaire, loin derrière l’Ukraine ou la compétition avec la Chine. Dans cette indifférence, des millions de femmes afghanes continuent d’être enfermées chez elles, privées d’école, de travail et de dignité.
Ce vide diplomatique occidental laisse le champ libre aux puissances régionales musulmanes. La Ligue islamique mondiale, financée par l’Arabie saoudite, rappelle que l’islam authentique garantit le droit des filles à l’éducation et condamne les politiques talibanes. La Turquie et le Qatar plaident officiellement pour un gouvernement inclusif, tandis que l’Arabie saoudite et les Émirats affichent leur préoccupation pour les droits des femmes. Pourtant, derrière ces beaux discours, aucun de ces États n’a pris de mesure pour lier leur aide ou leur reconnaissance à des progrès concrets sur les droits humains. Leur dialogue avec les talibans sert avant tout leurs intérêts économiques, sécuritaires et politiques.
Le Pakistan, lui, reste le parrain historique des talibans. Il refuse de critiquer Kaboul et considère la stabilité afghane comme vitale pour sécuriser ses propres frontières et limiter l’influence indienne. Son silence sur le sort des Afghanes n’est pas une omission : c’est une stratégie. Quant à l’Iran, il se dit préoccupé pour les Hazaras chiites, mais reste indifférent aux souffrances des femmes, préférant privilégier son jeu d’influence avec les talibans pour contenir la présence de groupes sunnites rivaux le long de sa frontière.
Ce double langage est la constante des pays de l’Organisation de la coopération islamique : afficher une indignation de façade pour rassurer leurs opinions publiques et les alliés occidentaux, tout en ménageant Kaboul pour préserver leurs canaux d’influence. Le discours sur les droits des femmes et la formation d’un gouvernement inclusif n’est qu’un rideau de fumée. La Ligue islamique mondiale, plus explicite dans ses critiques, ne dispose d’aucun levier concret ; ses appels à la modération se perdent dans le désert diplomatique.
Entre la reconnaissance cynique de la Russie, le double langage des capitales islamiques et l’indifférence occidentale, l’Afghanistan s’enfonce dans une tragédie silencieuse. Le drame des Afghanes, réduites à l’invisibilité et à la dépendance, n’est plus qu’une variable dans un jeu géopolitique où la dignité humaine passe après les calculs de puissance. La communauté internationale ferme les yeux sur la transformation d’un pays en laboratoire de l’apartheid de genre, comme si la liberté des Afghanes était négociable ou secondaire.
Il est urgent de rappeler qu’aucune paix durable ne sera possible en Afghanistan sans que la moitié de la population retrouve sa place dans la société. Et qu’aucune stabilité régionale ne tiendra si l’avenir des Afghanes reste confisqué par la peur, l’ignorance et la soumission. La reconnaissance officielle des talibans par Moscou est un signal d’alarme : tant que la communauté internationale n’osera pas conditionner son dialogue et son aide à des avancées concrètes pour les Afghanes, les talibans pourront continuer, sans crainte, à imposer leur loi misogyne. Et nous serons tous complices, par notre silence et notre inaction, du renoncement à la liberté pour un peuple déjà brisé par des décennies de guerre et de trahisons.
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