Solidarité afghane avec l’Iran : affinité historique ou choix politique ?

Solidarité afghane avec l’Iran : affinité historique ou choix politique ?
À la suite des frappes israéliennes contre la République islamique d’Iran en juin 2025, plusieurs forces d’opposition afghanes, dont le Front national de résistance (NRF), ont publié des messages de soutien exprimant leur solidarité avec l’Iran. Ces prises de position, marquées par une condamnation claire des attaques et un vocabulaire souvent empreint de piété – évoquant les « martyrs » et la « souveraineté nationale » –, ont parfois surpris. Non parce que la compassion serait déplacée, mais parce que cette solidarité a semblé faire abstraction de la complexité du contexte : un Iran à la fois allié logistique, refuge d’exilés, mais aussi partenaire occulte des Talibans, et puissance répressive pour ses propres citoyens.
Face à ces déclarations, une question s’impose, non pas à charge, mais en conscience : cette solidarité est-elle une simple expression de proximité culturelle et humaine face à la guerre ? Ou indique-t-elle, plus largement, une affinité politique, voire une vision partagée du futur afghan ? Et sans exiger d’explications, nous ne demandons qu’à recevoir, à terme, un éclairage à ce propos.
Un héritage partagé : le Khorassan au cœur
Pour comprendre l’émotion sincère que les frappes israéliennes ont pu susciter dans les rangs de l’opposition afghane, il faut revenir sur des réalités historiques souvent oubliées : la profonde proximité culturelle, linguistique et spirituelle entre une partie de l’Afghanistan – notamment les Tadjiks du nord-est – et l’espace persanophone du Khorassan, dont l’Iran est un pilier. Cette communauté d’héritage dépasse les frontières modernes. Elle se manifeste dans la langue (le dari afghan étant un persan oriental), dans la poésie, dans la mémoire religieuse, dans une certaine vision du monde.
Dans cette perspective, la douleur du peuple iranien est vécue par beaucoup d’Afghans comme une douleur familière, quasi domestique. Les frappes sur Ispahan ou Téhéran résonnent avec des souvenirs personnels. Pour beaucoup de Tadjiks d’Afghanistan, l’Iran n’est pas seulement un pays voisin : c’est une matrice culturelle, un refuge ancien, un prolongement affectif.
Il n’est donc pas surprenant que les opposants afghans, notamment ceux issus des régions tadjikes, aient exprimé leur soutien dans des termes forts. Ce soutien, à y regarder de plus près, semble d’abord dirigé vers le peuple iranien, vers ses souffrances face aux bombardements, vers sa résilience, plus que vers le régime en place. Il est permis d’en faire l’hypothèse bienveillante, tant la ligne officielle est restée volontairement floue.
Des solidarités contraintes par l’exil
L’exil, l’isolement diplomatique et la précarité logistique que connaît aujourd’hui l’opposition afghane ajoutent une dimension très concrète à cette solidarité. Depuis la chute de Kaboul en 2021, l’Iran est l’un des rares pays de la région à avoir accueilli – sans grand bruit – une partie des anciens cadres de la République afghane, y compris des officiers, des intellectuels, et des figures de la résistance.
Ce lien d’accueil ne crée pas forcément une communauté de valeurs. Mais il engendre une forme de retenue, une difficulté à critiquer ouvertement un hôte qui permet, malgré tout, de continuer à survivre, à s’organiser, parfois à exister politiquement. Dans un monde où les soutiens à la résistance afghane se comptent sur les doigts d’une main, il serait injuste de reprocher aux exilés leurs prudences, leurs silences ou leurs formulations diplomatiques.
Ce que dit — ou ne dit pas — le silence
Dans le même temps, certaines absences dans ces déclarations interpellent. Notamment le fait que les expulsions massives de réfugiés afghans par l’Iran – plusieurs centaines de milliers depuis 2023 – n’aient pas été mentionnées. Ces refoulements vers l’Afghanistan taliban, souvent brutaux, sont pourtant une réalité quotidienne. Leur omission ne signifie pas que l’opposition les approuve, mais elle souligne combien la marge de parole des résistants en exil est étroite, prise entre gratitude, dépendance, loyauté et stratégie de survie.
Les voix iraniennes
Il peut aussi être utile de comparer deux bilans tragiques, mais d’une nature fondamentalement différente. Les frappes israéliennes, aussi violentes et contestées soient-elles, ont causé plusieurs dizaines de morts en Iran, selon des sources indépendantes, et ont visé des infrastructures militaires ou des centres liés au programme nucléaire. En regard, le régime iranien a, selon les ONG spécialisées, procédé à environ 2 724 exécutions entre 2020 et 2024, dont de nombreuses femmes, militants politiques et membres de minorités ethniques. Ce rythme d’exécutions, en constante augmentation, fait de l’Iran l’un des pays les plus actifs au monde en matière de peine de mort. Cette réalité mérite d’être rappelée lorsque l’on parle de souffrances collectives. La peur ressentie par la population iranienne aujourd’hui ne provient pas seulement des bombes étrangères, mais aussi – et peut-être surtout – du retour annoncé d’un appareil de répression intérieure renforcé.
Dans le même temps, les voix qui s’élèvent aujourd’hui en Iran méritent, elles aussi, d’être entendues. Comme l’ont rapporté plusieurs médias, dont The Guardian, les habitants de Téhéran et d’autres villes iraniennes ont vécu les bombardements avec une peur panique — mais ce n’est pas tant la guerre elle-même qui les inquiète que ses conséquences politiques internes. Nombre d’Iraniens redoutent aujourd’hui que le régime des mollahs, affaibli et humilié, n’utilise la crise pour renforcer encore sa répression. Les femmes, en particulier, craignent un retour violent des contrôles sur le port du hijab, et la mise au pas de la société civile.
Ce que beaucoup expriment, ce n’est pas un espoir de victoire, mais une angoisse de revanche. Dans ce contexte, si la solidarité afghane s’adressait bien au peuple iranien, elle devra peut-être, à l’avenir, inclure aussi ceux qui redoutent la répression à venir. Car une victime des bombes israéliennes vaut une victime des pendaisons du régime : une vie humaine en vaut une autre. Cette compassion partagée pourrait être le socle d’une alliance plus large, entre peuples blessés mais encore debout.
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