Migrants sans défense et incompétence des talibans : comment la crise afghane alimente le terrorisme et la criminalité

Migrants sans défense et incompétence des talibans : comment la crise afghane alimente le terrorisme et la criminalité

Migrants revenant en Afghanistan après avoir été expulsés par le Pakistan. Photo : OIM

En raison des guerres prolongées en Afghanistan et de l’instabilité économique, politique et sécuritaire qui en résulte, un nombre important de citoyens afghans ont cherché refuge ou émigré vers divers pays, proches ou lointains. Cette situation a déplacé plusieurs générations d’Afghans de leurs foyers et de leur patrie, certains étant même nés et morts dans des pays étrangers.

Récemment, un certain nombre de pays dans le monde, y compris des pays voisins comme la République islamique d’Iran et la République islamique du Pakistan, ont commencé à expulser massivement des citoyens afghans qui résideraient dans ces pays sans documents légaux (c’est-à-dire sans avoir les permis de résidence et de voyage nécessaires). Bien que des statistiques précises sur le nombre de personnes expulsées ne soient pas accessibles au public, selon des informations éparses publiées par des sources officielles dans les deux pays, au moins plusieurs milliers de personnes ont jusqu’à présent été détenues et expulsées de force vers l’Afghanistan.

Cet article vise à explorer les questions suivantes : Qui sont ces migrants expulsés ? Quelles sont les implications pour la sécurité de leur expulsion massive vers un pays dépourvu d’un gouvernement légitime et fonctionnel ? Et comment les groupes djihadistes radicaux et les réseaux du crime organisé pourraient-ils exploiter ces individus ?

Qui sont les personnes expulsées ?

Selon les rapports officiels des pays voisins et d’autres pays, ces personnes sont des personnes qui résident dans ces pays sans documents de résidence légale et dont la présence est perçue comme une menace pour la sécurité nationale des pays hôtes dans les domaines économique, social et de la sécurité.

Cependant, un examen plus approfondi des données disponibles montre que les migrants afghans dans ces pays se répartissent en différentes catégories, tant en termes de chronologie que de documentation :

A. Résidents de longue durée

L’Iran et le Pakistan sont deux pays voisins qui, depuis des décennies (au moins quatre décennies), accueillent un nombre important de citoyens afghans qui ont émigré là-bas en raison de graves problèmes de sécurité et d’économie dans leur pays d’origine. Beaucoup de ces personnes sont nées et ont grandi dans ces pays et n’ont ni liens affectifs ni documents officiels les reliant à l’Afghanistan. Ces personnes ont été intégrées dans le tissu social des pays d’accueil. Malgré des opportunités limitées, ils ont étudié dans le cadre éducatif de ces pays et ont adopté les valeurs sociales des pays d’accueil comme les leurs.

Les statistiques et les données disponibles indiquent que beaucoup de ces migrants, en raison de leur résidence de longue durée en Iran ou au Pakistan, n’ont pas de liens sociaux ni de documents juridiques liés à l’Afghanistan. Des rapports suggèrent que certains d’entre eux sont nés dans ces pays d’accueil et ne savent même pas de quelle région d’Afghanistan ils sont originaires. Ces personnes sont confrontées à de nombreux défis et, si elles sont expulsées, elles ne connaîtront pas bien la vie en Afghanistan. La vulnérabilité de ce groupe risque de s’accroître, d’autant plus que les Taliban, en tant que régime de facto, sont incapables d’offrir le soutien ou la protection nécessaires.

B. Travailleurs et migrants économiques

Ce groupe, particulièrement répandu en Iran, est présent en raison de la forte demande de main-d’œuvre. Ils se sont souvent rendus légalement ou illégalement en Iran et sont rentrés chez eux. Beaucoup travaillent seuls dans les pays d’accueil et soutiennent financièrement leur famille restée en Afghanistan. Ces migrants occupent des emplois difficiles, de statut inférieur et souvent humiliants. Émotionnellement et psychologiquement, ils se sont endurcis. Afin de soutenir leurs familles, ils endurent constamment la menace émotionnelle et physique de la mort. Beaucoup ont été arrêtés et torturés, puis expulsés vers l’Afghanistan dans des centres de détention difficiles, en particulier en Iran, pour y revenir plus tard afin de survivre.

Personnes vulnérables

Cette catégorie comprend principalement ceux qui ont été forcés de quitter le pays après la chute du gouvernement afghan (2021) et le retour des talibans, un groupe connu pour son radicalisme extrême et son histoire de terrorisme. Ce groupe comprend les forces de défense et de sécurité nationales afghanes (ANDSF), des militants civils, des journalistes, des personnalités religieuses (opposées à l’interprétation de l’islam par les talibans) et des défenseurs des droits de l’homme.

Bien que moins nombreuse que les deux groupes précédents, cette catégorie est beaucoup plus vulnérable à la fois dans les pays d’accueil, en raison de leur méconnaissance des travaux forcés et de leurs ressources financières limitées, et surtout en cas de renvoi forcé en Afghanistan, où chaque individu court le risque d’une mort certaine aux mains des talibans.

Mais quelle est la principale préoccupation ?

Étant donné que l’Afghanistan d’aujourd’hui ne dispose pas d’un système légitime et responsable, et que le régime taliban n’a ni l’intention ni la capacité de soutenir ces individus, les déportations forcées massives créeraient de graves problèmes sécuritaires, économiques et sociaux à l’intérieur de l’Afghanistan. Ces préoccupations peuvent être divisées en deux parties :

A : Inquiétudes pour les expulsés

La principale préoccupation des déportés vient d’un régime qui non seulement n’est pas satisfait de leur retour, mais les considère simplement comme une proie ou une source de collecte d’impôts religieux (huissier). Les Taliban n’ont ni la capacité financière ni la capacité technique, ni l’intention nécessaire pour soutenir ces individus. Sans l’aide limitée des organisations internationales, ces personnes n’auront même pas accès à l’eau potable.

Des rapports montrent que les talibans ont même exploité les ressources humanitaires de ces organisations à leur propre profit ou détourné l’aide. Le manque de services de santé, d’éducation et de sécurité sont parmi les défis les plus graves auxquels les personnes expulsées seront confrontées dès leur arrivée en Afghanistan. Les enfants de ces familles seront privés de l’éducation nécessaire et pourraient être recrutés dans les madrassa djihadistes des Taliban. C’est comme si l’on répandait des bombes à sous-munitions partout et cela menacerait gravement la sécurité future de l’Afghanistan et de la région. D’après les informations disponibles, certains pays, dont la Turquie, l’Iran et le Pakistan, ont souvent arrêté des personnes vulnérables, en particulier d’anciens membres des Forces de défense et de sécurité nationales afghanes (ANDSF), et les ont expulsées de force. La plupart d’entre eux se sont retrouvés dans les prisons des talibans, ont été victimes de disparitions forcées ou ont été tués.

B : Inquiétudes des expulsés

Bien que certains politiciens aient suggéré que certains pays auraient pu systématiquement renvoyer des membres de l’EI parmi les migrants en Afghanistan, il n’y a aucune preuve à l’appui de la mise en œuvre d’un tel plan.

Toutefois, d’après ce que l’on sait des groupes terroristes et des réseaux de crime organisé, il est fort probable que ces groupes exploitent les mauvaises conditions économiques et sociales des personnes expulsées et les recrutent en leur offrant de l’argent ou des installations temporaires.

Compte tenu de la situation financière affaiblie actuelle du régime taliban, les chances que ces personnes soient recrutées dans les rangs des talibans sont faibles pour l’instant. Cependant, des groupes tels que Tehrik-i-Taliban Pakistan (TTP), Jaish ul-Adl et ISIS-Khorasan poursuivent activement de tels recrutements. Les groupes terroristes comme l’EIIL-Khorasan et le TTP sont constamment à la recherche d’opportunités pour recruter de nouveaux membres. Ces groupes utilisent les crises humaines pour attirer des personnes vulnérables. Beaucoup de ces personnes, en raison de la pauvreté et du manque d’accès aux services de base, peuvent facilement devenir de nouvelles recrues pour les groupes terroristes.

De plus, des groupes criminels tels que les trafiquants de drogue et les trafiquants d’antiquités profitent de la situation et utilisent ces individus comme main-d’œuvre bon marché pour leurs activités illégales.

C : Conséquences sociales et économiques de l’expulsion des migrants

Le processus d’expulsion a non seulement des conséquences négatives pour les personnes expulsées elles-mêmes, mais aussi de profondes répercussions négatives sur l’Afghanistan et la sécurité régionale. Certains rapatriés, qui n’ont peut-être même pas une compréhension suffisante de la structure sociale de l’Afghanistan, pourraient rapidement devenir des ressources pour les groupes terroristes et les réseaux de crime organisé face aux talibans et aux nouveaux défis économiques et sociaux.

D’après les informations recueillies, de nombreuses personnes ont été abandonnées dans les zones frontalières de l’Afghanistan sans aucun soutien. Étant donné que les Taliban ne peuvent même pas fournir les services de base, ces personnes peuvent rapidement être attirées par des groupes terroristes ou des activités illégales. L’absence d’écoles, de services de santé et de sécurité, ainsi que les difficultés économiques extrêmes, créent des conditions où ces personnes sont utilisées comme main-d’œuvre bon marché par divers groupes actifs en Afghanistan ou dans les pays voisins.

Conclusion

L’expulsion massive de migrants afghans des pays voisins et d’autres pays, sans tenir compte des réalités économiques, sécuritaires et sociales actuelles de l’Afghanistan, aura des conséquences désastreuses. Ce processus provoque non seulement une profonde crise humanitaire, mais affaiblit également davantage les structures sociales déjà fragiles de l’Afghanistan, ce qui pourrait conduire à la création de nouveaux cycles d’extrémisme, d’instabilité et de crime organisé.

Dans une situation où les talibans n’ont pas les capacités nécessaires pour absorber, soutenir et autonomiser les personnes expulsées, et où les infrastructures vitales telles que l’éducation, la santé, l’emploi et la sécurité se sont pratiquement effondrées, les migrants de retour sont confrontés à des options extrêmement limitées et risquées. Les groupes djihadistes radicaux et les réseaux du crime organisé, qui sont toujours à la recherche d’individus vulnérables et recrutables, peuvent facilement exploiter cette population errante à leurs fins. Dans de telles conditions, l’expulsion forcée de migrants sans plans de soutien clairs et sans stratégies de réintégration détruit non seulement l’avenir de ces personnes, mais crée également une grave menace pour la sécurité nationale et la stabilité régionale de l’Afghanistan.

Par conséquent, il est essentiel que la communauté internationale, les organisations humanitaires et les pays concernés adoptent des politiques fondées sur les droits de l’homme, la dignité humaine et une analyse réaliste de la situation en Afghanistan, et évitent les approches précipitées, irresponsables et non gérées envers les migrants afghans.

Parmi ces migrants, les anciens membres des forces de défense et de sécurité nationales afghanes (ANDSF), qui constituent le groupe le plus vulnérable, doivent bénéficier d’une attention et d’un soutien humanitaires particuliers de la part des pays d’accueil et des organisations internationales.

Besmillah Taban, doctorante en études de sécurité à l’Université de Johannesburg, a occupé divers postes au sein de la police nationale afghane (2002-2021), notamment celui de chef du département des enquêtes criminelles (CID). Il peut être contacté sur la plateforme de médias sociaux X à l’@BesmillahTaban.



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