La guerre contre la science : de Himmler aux Talibans, de Trump à Poutine

Depuis un siècle, plusieurs régimes autoritaires ont systématiquement mené des campagnes contre le savoir scientifique, l’autonomie universitaire et la liberté d’enseigner. De l’Allemagne nazie aux talibans afghans, en passant par les gouvernements de Donald Trump et de Vladimir Poutine, une même stratégie apparaît : détruire ou contrôler la science pour mieux dominer la société.

Ces attaques prennent des formes différentes : suppression de programmes éducatifs, fermeture d’écoles, censure de recherches, manipulation de données, attaques contre les universités. Mais leur objectif est commun : faire taire les voix critiques et affaiblir les structures qui permettent aux citoyens de comprendre le réel.

L’Allemagne nazie : l’exclusion des scientifiques, la falsification des savoirs

Dès 1933, le régime nazi s’en prend au monde académique. Dans les mois qui suivent la prise de pouvoir d’Hitler, plus de 1 200 professeurs d’université sont limogés pour des raisons raciales ou politiques, notamment des juifs, des marxistes, ou des intellectuels soupçonnés de cosmopolitisme.

Les disciplines jugées « juives » ou « dégénérées » sont démantelées : la physique quantique est remplacée par la “physique aryenne”, la psychanalyse par des doctrines pseudo-scientifiques sur l’âme germanique. L’idéologie remplace la méthode.

Le ministre de l’Éducation, Bernhard Rust, impose en 1934 une refonte des programmes scolaires fondés sur le darwinisme racial, le nationalisme et l’endoctrinement. Himmler, de son côté, imagine un système d’éducation SS coupé de toute science « moderne », avec des écoles d’élite fondées sur la pureté raciale, les mythes germaniques et le rejet du rationalisme.

Les expérimentations médicales dans les camps de concentration, réalisées sans consentement, témoignent de cette dérive. La science est instrumentalisée, transformée en outil de torture ou de propagande.

Les talibans : fermeture des écoles, tri des savoirs, islamisation du système éducatif

Depuis leur retour au pouvoir en août 2021, les talibans ont progressivement démantelé le système éducatif national afghan. Selon des données croisées de l’UNESCO et de l’UNICEF :

  • Plus de 80 % des écoles secondaires pour filles sont fermées.

  • En 2024, au moins 5 000 écoles communautaires ont été fermées ou converties en madrasas.

  • Les filles sont interdites d’université depuis décembre 2022.

En lieu et place des écoles publiques, les autorités talibanes promeuvent les madrasas religieuses. En 2023, selon le ministère taliban de l’Éducation, plus de 10 000 nouvelles madrasas ont été ouvertes, avec des programmes fondés exclusivement sur l’enseignement du Coran, des hadiths et de la jurisprudence islamique hanbalite.

Les matières jugées “inutiles” ou “impies” sont écartées. En 2024, des enseignants d’universités ont été démis de leurs fonctions pour avoir enseigné la biologie humaine, la géologie, ou encore les droits humains.

L’interdiction ne touche pas que les femmes. Elle vise aussi à déscolariser les garçons des zones rurales, pour les orienter vers des écoles coraniques favorables à l’idéologie talibane. Les écoles privées, quand elles subsistent, doivent se soumettre à un contrôle strict des contenus.

Les États-Unis sous Trump : censure scientifique, effacement de données et attaque des universités

Le premier mandat de Donald Trump (2017-2021) avait déjà été marqué par une hostilité manifeste envers la science :

  • Plus de 200 rapports de l’EPA (Agence de protection de l’environnement) ont été retirés du web.

  • Les mots « changement climatique », « science basée sur des preuves », ou « minorités sexuelles » ont été bannis des rapports officiels du CDC (Centers for Disease Control).

  • La Maison-Blanche a nommé à des postes scientifiques clés des personnes sans qualifications académiques ou connues pour leurs prises de position anti-science (comme Scott Pruitt à l’EPA).

  • Trump a régulièrement démenti l’efficacité des vaccins, promu des traitements non prouvés contre la COVID-19, et sapé le rôle du Dr Fauci, conseiller scientifique principal.

Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, les attaques se sont intensifiées :

  1. Suppression de millions de pages de données fédérales liées au climat, à la pollution, à la biodiversité.

  2. Mise à l’arrêt de programmes d’éducation publique traitant de l’esclavage, du racisme, ou de la diversité de genre – accusés de “wokisme”.

  3. Adoption du « Loyalty Act » en mars 2025, imposant aux fonctionnaires, enseignants et chercheurs une déclaration de loyauté au président.

  4. Menaces budgétaires contre les universités publiques, accusées d’être “anti-patriotiques”.

  5. Nomination au poste de ministre de la Santé de Robert F. Kennedy Jr, théoricien du complot connu pour ses positions contre les vaccins, l’évolution, et la psychiatrie.

L’effet est double : démobiliser les institutions scientifiques et intimider les chercheurs. Dans de nombreuses universités, les cours de sociologie, de climatologie ou de biologie humaine sont réduits ou supprimés sous la pression d’élus républicains.

La Russie de Poutine : désinformation, propagande éducative, démantèlement de l’autonomie académique

Sous Vladimir Poutine, la science est soumise au pouvoir d’État. Les atteintes à la liberté académique sont documentées depuis les années 2010 par des ONG comme Scholars at Risk et Human Rights Watch. Depuis l’invasion de l’Ukraine en 2022, ces restrictions se sont intensifiées.

Manipulation des contenus éducatifs :

  • Dès 2014, des manuels d’histoire réécrits imposent une vision patriotique niant les crimes staliniens.

  • En 2023, le ministère russe de l’Éducation interdit l’usage de sources « étrangères », accusées de « déstabiliser la jeunesse ».

  • Les programmes universitaires sont restructurés pour glorifier la guerre et effacer les critiques du régime.

Répression des chercheurs :

  • Des universitaires russes ayant signé des pétitions contre la guerre sont licenciés ou emprisonnés (ex : Dmitry Dubrovsky).

  • Les laboratoires coopérant avec des institutions occidentales sont coupés de tout financement.

  • L’Institut de sociologie de Moscou a été remplacé en 2024 par un « Centre pour les valeurs russes », piloté par le FSB.

Attaques contre les faits scientifiques :

  • Le gouvernement nie les effets du changement climatique en Russie.

  • Les études épidémiologiques indépendantes sur la COVID ont été interdites.

  • Des campagnes anti-vaccins et anti-OMS sont massivement relayées par les médias d’État.

Une convergence inquiétante : quatre modèles, une même logique

Bien que culturellement et historiquement distincts, ces régimes partagent plusieurs mécanismes :

Régime Cibles principales Objectif déclaré Méthodes utilisées
Allemagne nazie Universités, sciences juives, sciences modernes Éducation raciale et nationaliste Épurations, réécriture des programmes, falsification
Talibans Écoles mixtes, savoirs non-religieux Islamisation complète des esprits Fermetures, remplacement par madrasas
Trump 2025 Climatologie, sciences sociales, santé publique Lutter contre le wokisme, restaurer l’ordre Censure, débudgetisation, intimidations
Poutine Histoire, biologie humaine, collaboration internationale Défense des « valeurs russes » Propagande, lois restrictives, surveillance

Ces attaques ne relèvent pas d’un simple conservatisme. Elles visent à réduire la capacité des sociétés à produire et vérifier des connaissances indépendantes, pour mieux imposer des récits d’État.


La science comme dernier rempart

Face à ces offensives, la science n’est pas une question technique, mais un enjeu de souveraineté intellectuelle. Là où les faits sont interdits, il ne reste que la propagande. Là où l’on supprime les écoles, on fabrique l’ignorance. Là où les chercheurs sont muselés, la société régresse.

Cette guerre contre la science est une guerre contre l’humanité éclairée. L’enjeu est global, et la défense de la vérité ne peut plus être locale.

 

 

 



Abonnez vous à La Lettre


Vous pouvez vous désabonner à tout moment

Merci !

Vous recevrez régulièrement notre newsletter

Comments are closed