Le Pakistan face à son passé terroriste : aveux et accusations croisées
Le Pakistan face à son passé terroriste : aveux et accusations croisées
L’aveu du ministre pakistanais – trois décennies de « sale besogne »
Le ministre de la Défense du Pakistan, Khawaja Muhammad Asif, a récemment fait une déclaration sans précédent en admettant le rôle historique de son pays dans le soutien à des groupes terroristes. Interviewé par Sky News, M. Asif a reconnu que le Pakistan avait pendant « trois décennies » financé, entraîné et soutenu des organisations terroristes – ce qu’il a qualifié de « sale besogne » accomplie au profit des États-Unis, de la Grande-Bretagne et plus généralement de l’Occident (‘Doing Dirty Work For US, West…’: Pak Minister Admits To Funding Terrorism). Cette confession explicite confirme que depuis la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan dans les années 1980 jusqu’à l’après 11-Septembre, Islamabad a servi de base arrière aux jihadistes à la demande de ses alliés occidentaux.
M. Asif a immédiatement nuancé son aveu en le qualifiant d’« erreur » politique, ajoutant que le Pakistan « en a souffert » lui-même du fait de ces choix (‘Doing Dirty Work For US, West…’: Pak Minister Admits To Funding Terrorism). Il a estimé que si Islamabad ne s’était pas ainsi engagé aux côtés de l’Occident (durant la guerre anti-soviétique puis la lutte contre les Talibans après 2001), le bilan du Pakistan serait aujourd’hui « irréprochable ». Autrement dit, le ministre reconnaît que cette stratégie a entaché l’histoire du pays et nuit à sa stabilité. Ces déclarations font suite à un contexte tendu : notamment une récente attaque terroriste sanglante au Cachemire indien, attribuée par New Delhi à des milices soutenues depuis le Pakistan (‘Doing Dirty Work For US, West…’: Pak Minister Admits To Funding Terrorism). Sous la pression internationale (et celle de l’Inde en particulier), cet aveu sonne comme une tentative de reconnaître une vérité longtemps niée par Islamabad. Sur le plan politique, il s’agit d’un tournant – une admission officielle que le Pakistan a été complice du terrorisme, tout en cherchant à en rejeter en partie la faute sur la géopolitique de la Guerre froide et de la « guerre contre le terrorisme » post-2001.
Signification politique de cet aveu
Du point de vue politique intérieur et international, les propos du ministre pakistanais ont une double portée. D’une part, ils valident les accusations de longue date formulées par des pays voisins (Afghanistan, Inde) et par de nombreux observateurs, selon lesquelles l’armée et les services pakistanais ont soutenu divers groupes extrémistes à des fins stratégiques. Voir un haut responsable pakistanais admettre que le pays « faisait le sale travail » du parrainage terroriste pour le compte d’acteurs étrangers pendant des décennies est un développement majeur, susceptible d’entamer la confiance internationale envers Islamabad. D’autre part, en parlant d’« erreur », Khawaja Asif tente de repositionner la doctrine pakistanaise : il suggère que ce passé trouble résulte en partie de la contrainte ou de l’alignement avec les intérêts occidentaux, et non d’une volonté propre du Pakistan de déstabiliser la région. Ce discours peut être destiné à l’opinion interne – qui voit souvent la participation du Pakistan aux guerres américaines comme une source de violence ayant débordé sur son sol – tout autant qu’aux partenaires étrangers, pour montrer que le Pakistan tire les leçons du passé. En clair, Islamabad veut faire savoir qu’il ne soutiendra plus aveuglément des mouvements armés comme par le passé, se présentant désormais comme victime collatérale de ces politiques antérieures.
Néanmoins, le sous-texte de cet aveu est délicat. En affirmant « nous avons fait le sale boulot pour les Américains », le ministre semble rejeter la responsabilité morale sur Washington et Londres. Politiquement, cela pourrait servir à atténuer la culpabilité du Pakistan aux yeux de sa population (en blâmant les puissances occidentales qui auraient encouragé cette stratégie) tout en adressant un message implicite aux États-Unis et alliés : Islamabad ne veut plus payer le prix de ces aventures, d’autant que le retour de flamme du terrorisme (insurrection des Tehrik-e-Taliban Pakistan, attaques internes) menace aujourd’hui directement la sécurité pakistanaise. Cet équilibrisme politique – reconnaître les faits tout en s’en dédouanant partiellement – vise à restaurer l’image du Pakistan sans pour autant froisser ses anciens partenaires occidentaux.
La réaction afghane – accusations de « réécriture de l’histoire »
Face à cet aveu pakistanais tardif, les responsables afghans de l’ancienne République n’ont pas manqué de réagir vivement. Rangin Dadfar Spanta, ex-ministre des Affaires étrangères et ex-conseiller à la sécurité nationale de l’Afghanistan, a publiquement critiqué l’attitude d’Islamabad. Dans une déclaration du vendredi 25 avril, Spanta a accusé le Pakistan de « réécrire l’histoire » en modifiant ainsi son discours sur le terrorisme (Former Afghan NSA Criticises Pakistan’s Terror Policy Shift As ‘Too Late but Right’ | Afghanistan International). Selon lui, Islamabad tente de réviser son rôle historique a posteriori, maintenant que la conjoncture ne lui est plus favorable.
Spanta relève en effet que le Pakistan semble enfin reconsidérer son soutien passé aux groupes terroristes, mais il juge ce revirement « très tardif, mais juste » (Former Afghan NSA Criticises Pakistan’s Terror Policy Shift As ‘Too Late but Right’ | Afghanistan International). Autrement dit, l’ancien responsable afghan concède que le changement de cap d’Islamabad (s’il est sincère) va dans la bonne direction – l’abandon du terrorisme comme instrument d’État – mais il stigmatise le fait que cette prise de conscience survient après des décennies de déstabilisation de ses voisins. Spanta rappelle que Kaboul avait continuellement exhorté le Pakistan à ne pas servir de base arrière aux extrémistes, sans jamais obtenir de réponse constructive (Former Afghan NSA Criticises Pakistan’s Terror Policy Shift As ‘Too Late but Right’ | Afghanistan International). Pour lui, Islamabad n’a commencé à infléchir sa politique qu’une fois confronté aux conséquences négatives de celle-ci.
L’ancien conseiller afghan souligne aussi l’ironie de la situation : désormais l’Afghanistan et le Pakistan sont tous deux victimes du terrorisme, pris dans un engrenage qu’Islamabad a contribué à créer (Former Afghan NSA Criticises Pakistan’s Terror Policy Shift As ‘Too Late but Right’ | Afghanistan International). À ses yeux, le Pakistan récolte ce qu’il a semé. Il exhorte donc les deux pays à renoncer définitivement à héberger des réseaux extrémistes visant l’un ou l’autre. Spanta fustige le Pakistan pour sa politique passée – la création ou le soutien des Taliban afghans et d’autres groupes armés dans un but de « profondeur stratégique » régionale – et estime qu’en cherchant aujourd’hui à présenter cette politique comme une simple erreur sous influence occidentale, Islamabad essaye de réécrire les faits à son avantage. Cette critique suggère que, du point de vue afghan, le Pakistan veut effacer sa responsabilité propre (ses visées géopolitiques anti-afghanes ou anti-indiennes) en se posant en simple exécutant des volontés étrangères.
Convergence des constats, divergence des narratifs
Les deux articles, l’un rapportant l’aveu du ministre pakistanais et l’autre la réaction de l’ex-conseiller afghan, convergent sur un point factuel essentiel : le rôle du Pakistan dans le soutien au terrorisme durant les trente dernières années. Il y a désormais reconnaissance explicite de la part d’Islamabad de ce que Kaboul et New Delhi dénonçaient depuis des lustres. Cependant, la façon d’interpréter et d’assumer ce passé diverge nettement entre les protagonistes.
Du côté pakistanais, le récit qui se dégage de l’interview de Khawaja Asif est celui d’une erreur stratégique commise sous la pression (ou pour le compte) d’alliés occidentaux, et que le Pakistan regrette amèrement. En somme, Islamabad admet avoir eu recours aux groupes armés islamistes, mais cherche à externaliser la faute (c’était pour aider les États-Unis contre les Soviétiques puis les talibans, etc.) et à minimiser son autonomie dans ces décisions. Le ton est à la fois à la confession et à l’auto-justification.
À l’inverse, du côté afghan (et plus largement pour les critiques régionaux du Pakistan), on voit dans ce revirement rhétorique une forme de révisionnisme opportuniste. Rangin Spanta insiste sur le fait que le Pakistan a délibérément ignoré pendant des années les appels de l’Afghanistan pour cesser le soutien aux terroristes (Former Afghan NSA Criticises Pakistan’s Terror Policy Shift As ‘Too Late but Right’ | Afghanistan International). Aux yeux de Kaboul, le Pakistan n’était pas un simple sous-traitant passif de la politique américaine, mais bien un acteur proactif qui a utilisé le terrorisme comme levier géopolitique – que ce soit pour contrer l’influence indienne au Cachemire ou pour garder une influence en Afghanistan via les Taliban. Ainsi, lorsque M. Asif affirme que son pays a commis une erreur dictée de l’extérieur, les Afghans comme Spanta y voient une distorsion de la réalité historique : Islamabad serait en train de blanchir son image en niant la part d’intérêt propre qui l’a motivé à soutenir ces groupes.
Malgré ces divergences de narration, un élément positif peut être souligné : tous deux semblent maintenant s’accorder sur la nécessité de tourner la page de cette politique. L’aveu pakistanais et la réponse afghane convergent implicitement sur un point : le parrainage du terrorisme ne doit plus avoir cours. Spanta le formule clairement en appelant Islamabad à « abandonner l’usage du terrorisme comme instrument de politique étrangère » (Former Afghan NSA Criticises Pakistan’s Terror Policy Shift As ‘Too Late but Right’ | Afghanistan International) et à ne plus jamais permettre que son sol serve de base arrière contre d’autres nations. De son côté, le ministre Asif, en parlant de faute et de dommage subi par son propre pays, ouvre la voie à une éventuelle rectification de la stratégie pakistanaise. La reconnaissance publique de ces torts pourrait donc – si elle se traduit en actes – marquer un tournant tant attendu par les voisins du Pakistan.
Quelle stratégie pour le Pakistan et quelle image internationale ?
Ces échanges mettent en lumière un Pakistan à la croisée des chemins, contraint de réfléchir à sa stratégie vis-à-vis du terrorisme et à son image sur la scène internationale. Après des décennies d’une politique ambiguë – officiellement allié dans la « guerre contre le terrorisme » mais officieusement soutien de certains mouvements islamistes – Islamabad semble réaliser que la poursuite de ce double jeu n’est plus tenable. Entre la pression diplomatique (menace de sanctions, surveillance du FATF concernant le financement du terrorisme) et la menace intérieure (résurgence des Taliban pakistanais du TTP qui multiplient les attentats contre l’armée pakistanaise), le Pakistan est forcé de revoir son calcul.
L’aveu de Khawaja Asif peut être interprété comme un premier pas vers une réorientation : en admettant l’« implication sale » du Pakistan dans le terrorisme international, ses dirigeants indiquent qu’ils veulent se dissocier de ce passé pour aller de l’avant. Sur le plan de l’image, cela pourrait être l’occasion pour Islamabad de montrer sa bonne foi et d’améliorer ses relations, non seulement avec les puissances occidentales (en soulignant qu’il ne servira plus de terreau au jihadisme international), mais aussi avec ses voisins immédiats. En effet, rétablir la confiance avec l’Afghanistan et l’Inde nécessite de rompre clairement avec la doctrine de la « profondeur stratégique » qui a alimenté violence et méfiance.
Cependant, la route est longue pour convaincre la communauté internationale du changement. Les propos de Spanta rappellent à juste titre que les paroles ne suffisent pas : le Pakistan devra poser des actes concrets pour prouver qu’il ne soutient plus aucun groupe militant. Cela inclut par exemple de sévir contre les organisations toujours actives sur son sol (telles que certains réseaux liés aux Taliban afghans ou à des groupes cachemiris) et de coopérer sincèrement avec ses voisins pour la sécurité régionale. Tout révisionnisme dans le récit – c’est-à-dire minimiser sa responsabilité historique – sera scruté de près et pourra être perçu comme un manque de sincérité, ce qui nuirait à la crédibilité de son repositionnement.
En somme, le Pakistan se trouve face à un défi de crédibilité. Reconnaître ses torts, comme vient de le faire son ministre de la Défense, est un exercice délicat mais potentiellement salutaire s’il s’accompagne d’une véritable volonté de changement. Du point de vue afghan, cette évolution est accueillie avec scepticisme mêlé d’espoir : scepticisme quant à la volonté d’Islamabad d’assumer pleinement son passé sans le réécrire, espoir de voir enfin cesser l’ingérence violente qui a tant coûté à la région. La balle est désormais dans le camp du Pakistan, qui doit concilier narration et action – reconnaître sa responsabilité historique tout en démontrant par sa politique actuelle qu’il renonce effectivement au soutien du terrorisme. Ce n’est qu’à ce prix qu’il pourra améliorer son image internationale et contribuer à la stabilité régionale sur le long terme.
Sources :
Pakistan’s Defense Minister on Sky News, cité par Khaama Press (‘Doing Dirty Work For US, West…’: Pak Minister Admits To Funding Terrorism) (‘Doing Dirty Work For US, West…’: Pak Minister Admits To Funding Terrorism) ;
réaction de R. D. Spanta rapportée par Khaama Press (Former Afghan NSA Criticises Pakistan’s Terror Policy Shift As ‘Too Late but Right’ | Afghanistan International) (Former Afghan NSA Criticises Pakistan’s Terror Policy Shift As ‘Too Late but Right’ | Afghanistan International) (Former Afghan NSA Criticises Pakistan’s Terror Policy Shift As ‘Too Late but Right’ | Afghanistan International).
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