Des voix s’élèvent dans les mosquées : la dissidence religieuse s’organise contre les Talibans
Un vent de contestation souffle dans les mosquées d’Afghanistan. À Balkh, le 16 mai 2025, une scène inhabituelle s’est déroulée à la Rawza Sharif : les fidèles ont scandé « Mort aux Talibans » pour protéger un prédicateur, Maulawi Abdul Qahir, menacé d’arrestation par les forces du ministère de la Promotion de la Vertu. Son crime : avoir dénoncé depuis la chaire l’ethnicisme du régime taliban, sa gouvernance tribale et discriminatoire, en déclarant que « le territoire peut être conquis par des bombes, mais pas les cœurs des hommes ».
L’intervention musclée des forces spéciales talibanes — armées, accompagnées de véhicules militaires — a suscité une vive indignation. Elles ont confisqué les téléphones et les appareils d’enregistrement, arrêté plusieurs fidèles, sans toutefois parvenir à capturer le prédicateur lui-même, protégé par la ferveur populaire.
Face à cet incident, les Talibans ont réagi par un durcissement : l’interdiction de filmer les prêches du vendredi dans tout le Balkh. Le contrôle des sermons s’intensifie. Les prédicateurs ont reçu l’ordre de ne plus enregistrer leurs interventions, sous peine de sanctions. Ce nouveau décret reflète la peur grandissante du régime de voir sa légitimité érodée au sein même des sphères religieuses.
Cette confrontation s’inscrit dans un contexte plus large : celui d’une défiance croissante d’une partie du clergé afghan vis-à-vis du ministère de la Promotion de la Vertu, bras idéologique des Talibans. En visite récente à Hérat, le ministre Mohammad Khalid Hanafi a lui-même appelé les oulémas à coopérer pour appliquer la charia selon l’interprétation rigoriste du régime, notamment les mesures les plus coercitives envers les femmes. Mais le manque d’enthousiasme des dignitaires religieux locaux a été manifeste, révélant un fossé entre la doctrine officielle des Talibans et une partie des leaders spirituels du pays.
Cette dissidence n’est pas isolée. D’autres figures religieuses critiques, comme le Maulawi Abdul Salam Abed, ont connu le même sort. Blessé dans un attentat après avoir exhorté les Talibans à écouter le peuple, Abed a fui en Turquie. Dans son dernier prêche à Kaboul, il dénonçait le silence complice du clergé face à la répression : « Ils ont licencié des innocents, promulgué des lois absurdes, et nous avons gardé le silence, espérant qu’ils changeraient ».
La montée de cette parole religieuse contestataire est un signal fort : le consensus islamique dont les Talibans prétendent se prévaloir est en train de se fissurer. Alors que leur pouvoir s’appuie largement sur la légitimité religieuse, l’émergence de prédicateurs dissidents dans les mosquées affaiblit leur emprise sur la société.
Ce mouvement reste embryonnaire et dangereux pour ses protagonistes, exposés aux arrestations, à l’exil ou à la mort. Mais il révèle que la foi peut aussi être une arme de résistance contre l’instrumentalisation de l’islam par le pouvoir. Et que, dans le silence imposé par la peur, quelques voix courageuses continuent de porter une parole libre.
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