La trahison silencieuse

En ce printemps 2025, les États-Unis sont en train d’écrire une page sombre de leur histoire diplomatique et morale. En mettant fin au Temporary Protected Status (TPS) pour les réfugiés afghans, tout en envoyant des lettres de déportation massives en Californie et en suspendant les transferts humanitaires, l’administration américaine trahit non seulement des milliers d’individus ayant risqué leur vie pour elle, mais aussi les principes même de solidarité et d’engagement qui fondent la diplomatie démocratique.

Le Département de la sécurité intérieure (DHS), invoquant une prétendue amélioration des conditions en Afghanistan, a pris la décision de mettre un terme aux protections humanitaires accordées depuis l’effondrement de Kaboul en août 2021. Cette évaluation, qualifiée de « dangereusement irréaliste » par plusieurs élus des deux partis, nie une réalité bien connue : l’Afghanistan sous les talibans demeure un terrain de répression systématique, de persécutions ciblées et d’effondrement humanitaire. Les réfugiés afghans, notamment ceux qui ont servi de traducteurs, de guides ou de collaborateurs aux forces américaines, sont aujourd’hui à nouveau en danger de mort.

À cela s’ajoute une vague de panique déclenchée en Californie, où des milliers de familles ont reçu des ordres de quitter le territoire en moins d’une semaine. Les erreurs administratives dans ces courriers – absence de nom, doublons, avis contradictoires – ne font qu’accentuer la peur et la confusion. La communauté afghane, notamment dans la baie de San Francisco, vit désormais dans une crainte constante d’arrestation, de séparation familiale, et d’un retour forcé dans un pays devenu invivable.

Pendant ce temps, le Secrétaire d’État Marco Rubio tente de rassurer l’opinion en déclarant que les transferts humanitaires ne sont pas annulés mais simplement « retardés » pour des raisons de sécurité. Derrière cette prudence bureaucratique se cachent des réalités bien plus sinistres. Des cas isolés – notamment celui d’un Afghan inculpé pour projet d’attentat – sont instrumentalisés pour justifier des politiques punitives à l’égard de milliers de réfugiés parfaitement innocents, rigoureusement sélectionnés, et souvent déjà approuvés pour un transfert. Cette rhétorique de suspicion collective jette un voile de doute sur l’ensemble d’une communauté.

La lente agonie du projet de loi Afghan Adjustment Act, censé offrir une voie vers la résidence permanente aux anciens collaborateurs afghans, vient couronner ce tableau de reniements. Malgré les promesses répétées, les démarches parlementaires n’ont jamais abouti. En coulisse, les tensions partisanes et les dérives électoralistes ont eu raison de la promesse faite au moment du retrait : « We will not leave our allies behind. »

Pour les défenseurs des droits humains, il ne s’agit pas seulement d’une erreur stratégique, mais d’une faute morale. Eleanor Acer, de Human Rights First, alerte sur les conséquences de cette politique : journalistes, militantes des droits des femmes, membres de minorités ethniques et religieuses sont les cibles constantes du régime taliban. Les renvoyer aujourd’hui, c’est signer leur condamnation.

Les arguments de la sécurité nationale ne sauraient justifier une telle inhumanité. Les États-Unis, qui ont bâti leur réputation sur leur capacité à protéger les opprimés, risquent de devenir un pays qui oublie les sacrifices de ses alliés dès lors qu’ils ne sont plus utiles. Ce reniement envoie un message clair aux futurs partenaires potentiels dans d’autres conflits : l’aide à l’Amérique est un engagement à sens unique, sans garantie de protection en retour.

L’histoire jugera sévèrement cette période. Les visages invisibles derrière ces décisions – des enfants malnutris bloqués dans des camps d’attente, des femmes traquées, des familles disloquées – sont les victimes d’une diplomatie froide, où les intérêts de court terme ont pris le pas sur l’honneur et la mémoire. Il est encore temps d’agir : rétablir les protections, faire passer l’Afghan Adjustment Act, et prouver que les valeurs américaines ne sont pas négociables.

Sinon, ce ne seront pas seulement les réfugiés afghans que l’Amérique aura abandonnés, mais une part essentielle d’elle-même.



Abonnez vous à La Lettre


Vous pouvez vous désabonner à tout moment

Merci !

Vous recevrez régulièrement notre newsletter

Comments are closed