Téhéran, nouveau carrefour de la diplomatie afghane en exil
En quelques jours, la capitale iranienne est devenue le théâtre discret mais hautement stratégique d’une série de rencontres qui pourraient bien redessiner les contours du jeu politique afghan. Alors que le ministre des Affaires étrangères du régime taliban, Amir Khan Muttaqi, était reçu officiellement à Téhéran le dimanche 18 mai, deux figures majeures de l’opposition en exil, Ahmad Massoud et Salahuddin Rabbani, ont également foulé le sol iranien à l’invitation des autorités — notamment du Corps des Gardiens de la révolution islamique (IRGC), pivot militaire et politique du régime iranien.
Cette simultanéité n’est pas anodine. Elle traduit un virage subtil mais significatif dans la posture de la République islamique d’Iran vis-à-vis des différentes factions afghanes. Après avoir entretenu une relation pragmatique et parfois ambivalente avec les Talibans depuis leur retour au pouvoir en août 2021, Téhéran semble désormais élargir ses canaux diplomatiques, en tendant la main à l’opposition républicaine afghane, en particulier à la mouvance issue de l’ancienne République islamique d’Afghanistan.
Le premier à ouvrir la voie fut Ahmad Massoud, leader du Front national de résistance (NRF), reçu ces dernières semaines par des représentants du ministère iranien des Affaires étrangères et du puissant IRGC. Son déplacement, tenu secret jusqu’à sa révélation par des sources proches du dossier, a été suivi de près par celui de Salahuddin Rabbani, ancien ministre des Affaires étrangères et dirigeant d’une des principales factions du parti Jamiat-e Islami. Ce dernier a également rencontré des responsables militaires iraniens, confirmant l’intérêt stratégique porté par Téhéran aux courants d’opposition armée ou politique aux Talibans.
À cette série de rencontres s’ajoute la présence signalée d’Atta Mohammad Noor, autre figure influente du Jamiat, lui aussi actuellement en visite en Iran. Ces convergences laissent entrevoir une volonté iranienne de sonder, voire de fédérer, une opposition afghane encore fragmentée mais potentiellement utile à ses intérêts régionaux.
L’enjeu pour l’Iran est double : maintenir une influence en Afghanistan sans se couper totalement des Talibans, tout en se prémunissant contre l’instabilité que pourrait provoquer une opposition marginalisée et radicalisée. En recevant tour à tour les représentants du régime de Kaboul et ceux de la résistance, Téhéran joue une partition équilibriste, se positionnant comme médiateur potentiel — ou tout du moins comme acteur incontournable de l’avenir afghan.
Pour l’opposition afghane, cette ouverture iranienne représente une opportunité : celle de réactiver ses réseaux, de renforcer sa légitimité internationale, et peut-être de surmonter ses divisions internes. Mais elle comporte aussi des risques : l’Iran ne soutient jamais sans conditions, et toute alliance, même tactique, avec un régime autoritaire impliqué dans ses propres répressions, peut susciter des critiques, voire des fractures dans les rangs de la diaspora afghane.
Ce mouvement diplomatique illustre une réalité géopolitique plus large : l’Afghanistan post-2021 est devenu un champ de manœuvre pour les puissances régionales, et les exilés politiques ne peuvent ignorer les équilibres qui se jouent entre intérêts iraniens, ambitions russes, calculs pakistanais et inertie occidentale. Dans ce contexte, l’activisme de Massoud, Rabbani et Noor à Téhéran révèle à la fois une fragilité et une résilience : celle d’une opposition qui cherche un nouveau souffle, entre espoir d’alliance et impératif de prudence.
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