Appel à la résistance : l’heure de se lever

Badakhshan, Panjshir, Kaboul, Kandahar, exil. D’un bout à l’autre de l’Afghanistan, la résistance renaît. Dans les montagnes comme dans les rues, dans les vallées du nord comme dans les conférences internationales, une même injonction se fait entendre : ne pas plier. Résister ou disparaître.
Un soulèvement qui prend racine
Dans le Badakhshan, le général Jalaluddin Yaftali, ancien commandant du 203e corps d’armée, appelle les populations locales à se préparer à une « bataille historique » contre les talibans. Il accuse le régime d’imposer une domination ethnocentrique, de piller les ressources minières de la province et d’exclure les professionnels locaux de toute fonction administrative. « Leur objectif est de créer des fractures ethniques profondes et durables », alerte-t-il.
Cet appel intervient alors que des affrontements éclatent entre des paysans et des agents talibans lors de la destruction forcée de champs de pavot. Là où d’autres provinces sont épargnées, le Badakhshan subit une répression ciblée. Cette politique sélective nourrit une colère croissante — et une détermination à reprendre le contrôle du destin provincial.
Massoud : l’honneur contre l’humiliation
Mais c’est la voix d’Ahmad Massoud, héritier du commandant légendaire Ahmad Shah Massoud, qui aujourd’hui donne une dimension nationale, presque existentielle, à cet appel à la révolte. Depuis l’étranger, où il vit en exil, il parle avec une gravité et une clarté rares. Son message, relayé par le Front National de Résistance (FNR), est à la fois moral, politique et profondément humain.
« Hayhat min al-dhilla », proclame-t-il — « Plutôt mourir que vivre humilié. » Cette phrase, issue de la tradition chiite de Karbala, devient sous sa plume le cri rassemblant toutes les formes de résistances : les combattants dans les vallées de Panjshir et d’Andarab, les femmes manifestantes dans les rues de Kaboul, les étudiants en exil, les journalistes bâillonnés, les enfants devenus orphelins d’un pays. Tous sont appelés à se lever.
Massoud refuse la logique binaire entre violence et passivité. Il affirme : « Ceux qui peuvent lutter les armes à la main, nous les soutenons. Ceux qui se battent par la parole, la manifestation ou la solidarité, nous les rejoignons. Et nous resterons à leurs côtés jusqu’à la fin. »
Sa parole est rare mais puissante. Elle appelle à une révolte qui ne se résume pas à un soulèvement militaire, mais à un redressement de la nation : « Ce n’est pas seulement un combat contre un régime. C’est un combat pour que l’Afghanistan redevienne une terre où les femmes, les minorités, les penseurs et les croyants de toute confession aient droit à la parole. »
En ce sens, Ahmad Massoud incarne une figure de cohésion dans un paysage morcelé. Il refuse d’imposer un leadership autoritaire, mais travaille à fédérer les résistances, dans un équilibre difficile entre histoire familiale, responsabilités symboliques et réalités du terrain. Il est devenu le porte-voix d’un Afghanistan invisible, exilé, étouffé, mais toujours debout.
Yasin Zia : une stratégie de reconquête
Une autre voix militaire vient renforcer cet appel, plus structurée encore : celle du général Mohammad Yasin Zia. Ancien chef d’état-major et ministre de la Défense par intérim, il dirige aujourd’hui le Front de la liberté de l’Afghanistan (AFF), composé majoritairement d’anciens membres des forces spéciales et du renseignement.
Lors de la conférence de Vienne sur l’Afghanistan en février 2025, Zia a été catégorique : « Nous ne combattons pas seulement les talibans — nous luttons contre le terrorisme. Il n’existe pas de bon ou de mauvais terrorisme. » Il accuse les talibans d’encourager la prolifération d’organisations extrémistes et d’agir uniquement pour maintenir leur emprise économique sur le pays.
Sous son commandement, l’AFF a intensifié ses opérations militaires, notamment dans Kaboul, Kandahar, Takhar et Baghlan. Des attaques ciblées, menées par des unités aguerries, viennent frapper le régime au cœur de ses bastions. L’AFF coordonne désormais certaines opérations avec le FNR d’Ahmad Massoud. Si une fusion n’est pas actée, une synergie tactique se met en place.
Mais le général Zia ne s’arrête pas au champ militaire. Il plaide pour un gouvernement de transition démocratique et fédéral, reflet de la diversité afghane. « La société afghane est pleine de volonté pour se libérer de l’oppression », déclare-t-il.
Une résistance plurielle et légitime
Ces trois voix — Massoud, Yaftali, Zia — ne se recoupent pas totalement, mais elles convergent :
- La légitimité d’un soulèvement populaire, face à un régime imposé par la force.
- La nécessité d’une réponse multiforme, militaire, politique, sociale.
- Le rejet d’un système basé sur l’ethnicisme, la terreur et le pillage.
Dans un pays ravagé par la pauvreté, le suicide, le désespoir, où les femmes s’immolent et les jeunes s’effondrent sans avenir, résister est devenu une forme de vie. La rébellion n’est plus marginale — elle s’ancre dans les consciences, dans les discours, dans les armes.
Et la figure d’Ahmad Massoud devient, pour beaucoup, non un chef militaire, mais un repère moral. Son appel à refuser l’humiliation résonne avec les souffrances quotidiennes : du mendiant de Mazar à la lycéenne interdite d’école, du soldat désarmé à l’intellectuel réfugié.
En cela, Massoud n’incarne pas une nostalgie monarchique ni une guerre d’ego. Il incarne le refus de l’effacement, la survie d’une mémoire et l’élan d’une génération.
Entre l’appel et le feu
Le feu consume l’Afghanistan — mais ce feu est aussi celui de la révolte. Et désormais, il ne se contente plus de brûler : il éclaire.
L’appel de la résistance n’est pas une incantation romantique. C’est un appel stratégique, historique, vital. Il engage tous les Afghan·es — de ceux qui ont pris les armes à ceux qui prennent la parole — à refuser la disparition programmée d’une nation libre et plurielle.
Il ne s’agit plus de choisir entre guerre ou paix. Il s’agit de choisir entre soumission ou dignité. Résister ou disparaître.
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