L’enfance volée des petits Afghans

Une génération sacrifiée

Dans les rues poussiéreuses de Kaboul, les marchés de Kandahar, les champs de l’Urozgan ou les ateliers de Khost, des enfants afghans peinent sous le poids de la survie. Ils portent des briques, des jerrycans d’eau, des plateaux de pain ou des seaux de graisse. Ce sont les visages invisibles d’une tragédie silencieuse : celle d’une enfance volée par la pauvreté, la guerre, et un régime fondé sur l’exclusion. Depuis le retour au pouvoir des Talibans en août 2021, le travail des enfants a explosé. Selon l’OCHA, 19 % des enfants afghans sont désormais forcés de travailler, souvent dans des conditions dangereuses et inhumaines. Derrière chaque chiffre, une vie mutilée : celle de Zahra, 11 ans, qui vend du maïs grillé pour nourrir ses frères ; de Wali, 12 ans, apprenti mécanicien aux mains noircies par la graisse ; ou de Farid, 7 ans, qui pèse les passants au marché pour gagner de quoi acheter du pain.

Les récits recueillis dans le Special Report on Child Labour in Taliban’s Afghanistan par The Afghan Times sont à la fois poignants et accablants. Ahmad, 12 ans, travaille sur les chantiers aux côtés de son père. Ilyas et Bilal, 9 et 7 ans, moulent des briques à la main depuis que leur père s’est blessé. Tous avaient commencé l’école, tous l’ont quittée faute de moyens, ou plus souvent encore, parce que les Talibans l’ont interdite aux filles et rendue inaccessible aux pauvres. Le lien entre l’interdiction faite aux femmes de travailler et l’explosion du travail des enfants est clair : quand les mères ne peuvent plus gagner leur vie, ce sont les enfants qui prennent le relais. Ce système, fondé sur la négation des droits humains fondamentaux, condamne les familles à une précarité extrême et institutionnalise l’exploitation des plus vulnérables.

Les formes de travail sont multiples : agriculture, vente de rue, collecte d’eau, mécanique, construction, briqueterie… Tous partagent une même réalité : le danger, l’usure, l’absence d’avenir. Certains enfants sont blessés, d’autres dorment sur place faute de transports, beaucoup souffrent en silence. L’un dit : « Je voulais être enseignant », un autre : « Je veux juste dormir sans avoir faim. » Dans les briqueteries, les enfants transportent des charges bien au-delà de leurs capacités physiques, sous une chaleur écrasante. Dans les champs, ils travaillent pieds nus, exposés aux pesticides et aux blessures. Dans les ateliers, leurs mains remplacent les outils de précision, et leurs poumons absorbent les fumées et la poussière. À 11 ans, Sami cire les chaussures. Il dit : « Je fais briller les autres, mais mon avenir reste terne. »

Ce fléau n’est pas une fatalité. Il est le résultat d’un système politique et d’un abandon collectif. Le rapport rappelle avec force qu’aucune aide internationale, aucune coopération technique ne saurait résoudre la pauvreté tant que les femmes sont privées de travail et les filles d’éducation. Sans la réintégration pleine et entière des droits fondamentaux pour toutes et tous, l’économie afghane restera brisée, et les enfants condamnés à la servitude. Pire encore, certains gouvernements ferment les yeux ou, pire, envisagent de collaborer avec les Talibans sous prétexte d’humanitarisme. Cette hypocrisie revient à légitimer un régime qui nie l’enfance, la liberté, et la dignité humaine. Chaque dollar donné sans condition renforce un système qui se nourrit de l’exploitation.

L’un des témoignages les plus frappants est celui de Farid, 7 ans, qui pèse les passants pour quelques pièces. Il ne demande rien, ne se plaint pas. « Je souris. Je remercie Dieu les bons jours. » Pour Safiullah Wardak, activiste local, ce n’est pas de la résilience : c’est du désespoir muet. La société afghane s’habitue à ces enfants travailleurs comme à un décor inévitable. Ce silence social, cette normalisation de l’horreur, est un crime moral. À la tombée du jour, certains enfants rentrent chez eux, d’autres s’endorment près des briques. Il n’y a pas de répit. Pas d’abri. Juste un recommencement. Les rares moments de joie sont volés, furtifs, souvent liés à un geste de bienveillance ou un sourire échangé. Ils ne devraient pas suffire à justifier l’inaction.

Les auteurs du rapport ne se contentent pas de constater. Ils appellent à une prise de conscience internationale, à un refus ferme de toute coopération avec un régime qui nie les droits des enfants. Ils appellent aussi les journalistes, les ONG, les citoyens du monde entier à porter la voix de ces enfants. Non pas comme des victimes, mais comme des survivants, porteurs de rêves encore vifs malgré l’ombre. Car malgré tout, les enfants rêvent. D’école. De science. De maisons à construire pour leurs mères. De repas partagés. D’un avenir digne. Ces rêves sont des graines. Encore faut-il qu’on cesse de les piétiner.

Ce texte n’est pas une supplique. C’est un cri d’alarme. Il nous rappelle que l’enfance ne devrait jamais être un champ de bataille économique. Qu’un monde qui laisse ses enfants travailler à la place d’étudier n’a plus d’avenir. L’Afghanistan n’est pas seul responsable. La communauté internationale a laissé faire. Par calcul politique, par fatigue diplomatique, par indifférence. Il est temps de choisir : voulons-nous continuer à détourner les yeux ou voulons-nous, enfin, protéger ces enfants ? Leur redonner une école, une voix, un jeu, un cahier ? Leurs petites mains ne devraient pas porter des briques. Elles devraient tourner les pages d’un livre.

 

 

Sources

  1. The Afghan Times & IUF Asia/Pacific, Special Report: Child Labour in Taliban’s Afghanistan (juin 2025)
    https://theafghantimes.com/child-labour-in-talibans-afghanistan/
  2. OCHA Afghanistan, Afghanistan: Humanitarian Needs and Response Plan 2024 – Response Overview (1 January – 31 December 2024)
    👉 https://reliefweb.int/report/afghanistan/afghanistan-humanitarian-needs-and-response-plan-2024-response-overview-1-january-31-december-2024reliefweb.int+4reliefweb.int+4reliefweb.int+4
  3. UNICEF Afghanistan, Education | UNICEF Afghanistan
    👉 https://www.unicef.org/afghanistan/educationunicef.org
  4. UNICEF Afghanistan, Child Protection | UNICEF Afghanistan
    👉 https://www.unicef.org/afghanistan/child-protectionunicef.org
  5. International Labour Organization (ILO), Child Labour: Global estimates 2020, trends and the road forward
    👉 https://www.ilo.org/publications/major-publications/child-labour-global-estimates-2020-trends-and-road-forwardilo.org+4ilo.org+4



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