Un membre du Congrès alerte : l’Afghanistan, épicentre d’une menace terroriste sans précédent
Une inquiétante convergence des constats sur la résurgence du terrorisme en Afghanistan et au Pakistan
L’intervention de Bill Huizenga, président du sous-comité de la Chambre des représentants sur l’Asie du Sud et centrale, marque un tournant : pour la première fois depuis le retrait américain d’août 2021, un élu américain d’importance alerte publiquement sur un paysage terroriste « plus dangereux que jamais » en Afghanistan et dans la région. Huizenga met en avant un triptyque d’acteurs : l’État islamique au Khorasan (ISKP), le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) et divers groupes opérant dans le Cachemire — tous renforcés par l’effondrement de l’État afghan post-retrait et le retour des Talibans. Son discours souligne une aggravation des menaces qui, selon lui, ont dépassé les niveaux « les plus élevés de l’histoire moderne ». Cette alerte est frontalement rejetée par le porte-parole des Talibans, Zabihullah Mujahid, qui persiste à présenter l’Afghanistan comme un pays « totalement contrôlé » et sans menace extérieure. Cette rhétorique nie toute présence de camps ou d’activités de groupes terroristes, mais se heurte à un faisceau de rapports crédibles émanant des Nations unies, qui attestent d’une réorganisation active de réseaux jihadistes.
Les rapports onusiens dressent un état des lieux alarmant
Les conclusions du United Nations Analytical Support and Sanctions Monitoring Team (S/2024/75) montrent que, loin d’être éradiqués, les groupes terroristes se sont recomposés dans plusieurs provinces stratégiques. Les experts de l’ONU identifient notamment Badakhshan et Takhar comme de nouveaux foyers de regroupement pour des combattants liés à Al-Qaïda, en particulier des Ouzbeks et Ouïghours affiliés au Mouvement islamique d’Ouzbékistan (IMU) et au Parti islamique du Turkestan. Dans le sud et l’est, le rapport confirme la persistance de camps d’entraînement et de cellules de planification dans Nangarhar et Kunar, bastions historiques de l’ISKP, en lien avec des réseaux transfrontaliers au Pakistan. Ces camps servent à la fois de centres de formation, de caches d’armes et de plateformes pour la projection d’attaques à l’international — comme l’ont illustré les attentats de 2024 à Moscou et Téhéran.
Les rapports de l’UNAMA (United Nations Assistance Mission in Afghanistan) publiés entre 2023 et 2025 corroborent ces informations en documentant l’augmentation des attaques attribuées à l’ISKP contre des civils, en particulier la communauté hazara, mais aussi contre des officiels talibans eux-mêmes. L’UNAMA décrit une dynamique inquiétante : l’ISKP parvient à s’implanter dans des zones urbaines, à y recruter, et à monter des attaques de plus en plus sophistiquées, notamment des attentats-suicides coordonnés, visant à semer la terreur et à affaiblir le pouvoir taliban.
Le déni taliban, un classique stratégique
La réaction immédiate et catégorique des Talibans à l’allocution de Huizenga n’est pas une surprise : elle s’inscrit dans la stratégie de communication forgée dès la signature des accords de Doha (2020) visant à présenter le régime comme un acteur stabilisateur, légitime, et respectueux de la sécurité régionale. Pourtant, les éléments documentés par l’ONU contredisent cette ligne officielle : les Talibans se révèlent incapables de contenir durablement l’ISKP, voire en viennent parfois à des arrangements tacites avec d’autres groupes terroristes, comme le TTP, par calcul politique ou pour contenir la fragmentation de leur propre mouvement.
Un risque majeur de déstabilisation régionale
La combinaison de la fragmentation sécuritaire en Afghanistan, de la résilience du TTP au Pakistan, et de la flambée de violences au Cachemire — évoquée par Huizenga comme ayant causé « un conflit militaire entre deux puissances nucléaires » — fait peser un risque d’embrasement régional inédit depuis la guerre soviéto-afghane. Le parallèle avec les années 1990 est frappant : un sanctuaire terroriste afghan capable de contaminer toute l’Asie du Sud, alimenté par les rivalités indo-pakistanaises, et exacerbé par les failles d’États incapables de sécuriser durablement leurs territoires.
Les États-Unis et le dilemme stratégique
La proposition de Huizenga de « redéfinir » la stratégie américaine sous la nouvelle administration Trump montre que Washington envisage un retour actif dans le jeu régional, mais les marges de manœuvre sont étroites : collaborer avec le Pakistan, accusé d’ambiguïtés persistantes ; dialoguer avec un gouvernement taliban non reconnu ; ou tenter des frappes ciblées, au risque de raviver l’anti-américanisme et de fracturer davantage la région.
Conclusion : un diagnostic partagé, mais sans consensus sur la réponse
Les discours officiels américains et les rapports onusiens convergent : le terrorisme en Afghanistan et au Pakistan n’est pas un souvenir du passé, mais un phénomène en expansion. Cependant, aucune réponse internationale coordonnée n’émerge : le Pakistan reste empêtré dans ses contradictions ; les Talibans privilégient la survie de leur régime à toute coopération sérieuse ; et l’Occident, absorbé par d’autres crises, peine à articuler une stratégie durable. Dans ce contexte, la question n’est plus seulement de « savoir si » l’Afghanistan est redevenu un sanctuaire, mais de reconnaître qu’il l’est déjà — et de s’interroger sur la capacité (et la volonté) des acteurs régionaux et internationaux à en limiter les conséquences.
sources :
📌 Constat onusien : un terreau prolifique pour les groupes jihadistes
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Le United Nations Analytical Support and Sanctions Monitoring Team identifie des camps terroristes dans plusieurs provinces : Nangarhar, Kunar, Badakhshan, Takhar, servant de centres d’entraînement et de planification pour l’ISKP et des groupes liés à Al-Qaïda comme l’IMU et le Parti islamique du Turkestan .
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Les rapports de l’UNAMA (2023–2025) documentent une recrudescence des attaques de l’ISKP, notamment contre les civils (la communauté hazara) et les responsables talibans eux‑mêmes, soulignant la sophistication croissante des opérations terroristes, y compris des attentats-suicides .
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Rapport octobre–décembre 2024 (anglais) : disponible via la plateforme UNAMA — PDF téléchargeable securitycouncilreport.org+15unama.unmissions.org+15unama.unmissions.org+15
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Rapport janvier–mars 2025 (anglais, dari, pashto) : téléchargeable sur le site UNAMA (section Publications) unama.unmissions.org+7unama.unmissions.org+7
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🔍 Données mondiales : l’IS et le TTP en pleine expansion
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Selon l’Indice mondial du terrorisme 2025, l’IS (dans toutes ses variantes) reste en 2024 l’organisation la plus meurtrière : 1 805 morts dans 22 pays. Le TTP a enregistré une hausse dramatique de 90 % des décès par rapport à 2023, avec 558 victimes visionofhumanity.org.
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