Rapport du Secrétaire général : La situation en Afghanistan et ses conséquences pour la paix et la sécurité internationales

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19 juin 2025
Rapport du Secrétaire général : La situation en Afghanistan et ses implications pour la paix et la sécurité internationales
NEW YORK – Le dernier rapport trimestriel du Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, sur la situation en Afghanistan et les activités des Nations Unies dans le pays est désormais disponible.
Lire le rapport complet du Secrétaire général ici : La situation en Afghanistan et ses implications pour la paix et la sécurité internationales
Traduction du rapport en français
rapport du Secrétaire général de l’ONU sur la situation en Afghanistan (S/2025/372), en date du 11 juin 2025 :
Afghanistan : entre l’impasse politique et l’aggravation humanitaire – le mirage de la stabilité sous les Talibans
Trois ans après la reprise du pouvoir par les Talibans, le rapport du Secrétaire général des Nations Unies offre une radiographie glaçante d’un régime qui se radicalise, d’une société qui s’enfonce dans le désespoir et d’une communauté internationale incapable d’inverser la spirale. La situation politique reste figée : malgré des tensions internes reconnues par des responsables de facto eux-mêmes, la mainmise des Talibans sur le pouvoir n’a pas été sérieusement ébranlée, ni par la violence de l’État islamique au Khorasan (EIIL-K), ni par les attaques sporadiques des groupes armés d’opposition comme le Front national de résistance (NRF) ou l’Afghanistan Freedom Front (AFF).
La première leçon du rapport est celle d’une consolidation de l’autorité talibane sur un appareil étatique vidé de toute légitimité démocratique. Le chef suprême, Haibatullah Akhundzada, a tenu des réunions régulières avec la hiérarchie sécuritaire, fixant un cap fondé sur l’application stricte de la charia et la poursuite d’une politique d’épuration idéologique : chaque remaniement, chaque nomination de gouverneur, de chef de police ou de directeur de ministère obéit à une logique de loyauté religieuse et clanique, avec une exclusion totale des femmes et une absence totale de diversité ethnique dans les cercles du pouvoir.
La dimension économique, loin d’offrir une issue, aggrave la crise : le début du nouvel exercice budgétaire s’est fait sans publication de budget national, et les Talibans ont imposé des réductions drastiques d’effectifs (jusqu’à 30 % dans l’éducation, 20 % dans la sécurité), provoquant retards de salaires et mouvements de protestation de fonctionnaires à Kaboul. Cette asphyxie financière frappe de plein fouet une population dont 22,9 millions de personnes sont dans le besoin, tandis que le plan humanitaire 2025 n’a reçu que 15 % des fonds requis – un indicateur accablant de la lassitude et du désengagement des bailleurs.
Sur le terrain sécuritaire, le rapport décrit un Afghanistan dominé par une violence diffuse mais sans perspective de basculement militaire : les attaques du NRF, de l’AFF et du Mouvement de libération de l’Afghanistan n’ont pas remis en cause le contrôle territorial des Talibans. En revanche, la multiplication d’attaques de l’EIIL-K, comme celle du 13 février contre le ministère du Développement urbain à Kaboul, souligne le risque d’une instabilité chronique qui échappe à tout projet de pacification durable. La résurgence de violences transfrontalières, notamment avec le Pakistan (plus de 20 incidents armés recensés entre février et avril), laisse craindre une régionalisation du conflit et un emballement incontrôlé.
Le deuxième enseignement majeur est l’aggravation du désastre humanitaire et des violations massives des droits humains. L’Afghanistan s’enfonce dans un apartheid de genre : l’année scolaire a débuté pour la quatrième année consécutive sans permettre aux filles d’accéder à l’enseignement secondaire et supérieur. La loi sur la propagation de la vertu et la prévention du vice est appliquée avec une rigueur accrue, conduisant à une surveillance permanente, à la restriction de la liberté de mouvement des femmes, et à des sanctions humiliantes pour les contrevenantes. Ce cadre oppressif se traduit par une hausse de la détresse psychologique et un chômage massif, notamment chez les jeunes.
Le rapport documente également la poursuite des exécutions publiques – quatre en avril, dans trois provinces différentes – confirmant la volonté du régime de recourir à la terreur comme instrument de gouvernance. Ces exécutions, loin de se limiter à la justice coutumière, sont intégrées dans un système judiciaire qui se veut « pur » mais bafoue les droits fondamentaux : recours aux aveux forcés, justice sommaire, absence d’avocats indépendants. La MANUA relève en particulier que les avocats afghans rencontrent de plus en plus d’obstacles pour défendre leurs clients, tandis que l’ONU constate une recrudescence des arrestations arbitraires, notamment d’anciens fonctionnaires.
Malgré quelques signaux superficiels, comme la publication d’un décret contre le mariage forcé en mars, la réalité reste implacable : selon la MANUA, les victimes de violences sexistes sont confrontées à des obstacles majeurs pour accéder à la justice, et les cas de mariages forcés persistent. Les promesses des Talibans sur la « protection des droits des femmes » relèvent davantage d’une stratégie de communication destinée à l’international que d’une évolution sincère.
Le troisième volet du rapport concerne la scène régionale : les Talibans multiplient les déplacements et les rencontres diplomatiques, notamment avec le Pakistan, le Qatar, la Russie, la Chine et plusieurs États d’Asie centrale. Ces démarches montrent qu’ils cherchent activement à rompre leur isolement et à se présenter comme un interlocuteur incontournable. Le rapport pointe en particulier la décision de la Russie, le 17 avril, de suspendre la désignation des Talibans comme organisation terroriste – un tournant majeur qui pourrait encourager d’autres pays à normaliser leurs relations. Pourtant, ces ouvertures se font sans conditionnalité réelle sur les droits humains, et n’ont jusqu’ici permis ni l’amélioration de la situation humanitaire, ni le lancement d’un processus politique inclusif.
Les échanges entre délégations internationales et Talibans, notamment sur le rapatriement des réfugiés et la lutte antiterroriste, révèlent une tension entre la nécessité de dialogue pour stabiliser la région et le risque de légitimer un régime qui nie les droits les plus élémentaires de ses citoyens. Les discussions organisées à Doha et les initiatives comme le Processus de Vienne n’ont pas débouché sur un consensus ou une feuille de route crédible. De leur côté, les groupes de l’opposition en exil restent divisés, comme l’illustre l’annonce le 22 avril de la dissociation du NRF, de l’AFF et du Jamiat-e-Islami de l’Assemblée nationale pour le salut de l’Afghanistan, signe d’un manque de cohésion dramatique dans le camp antitaliban.
Le rapport souligne enfin le danger persistant des mines et munitions non explosées, qui continuent de tuer et de blesser, souvent des enfants. Cette tragédie silencieuse rappelle que l’Afghanistan reste l’un des pays les plus contaminés au monde, et qu’aucune stratégie de déminage n’est aujourd’hui en place faute de coopération et de moyens.
Face à ce constat accablant, la communauté internationale est sommée de sortir de l’ambiguïté : la realpolitik qui pousse certains États à chercher un modus vivendi avec les Talibans ne peut occulter l’urgence humanitaire et l’ampleur des violations des droits humains. La MANUA insiste sur la nécessité de préserver l’espace civique et de soutenir la société civile afghane, mais cette mobilisation reste dérisoire tant que les Talibans refusent toute ouverture réelle. L’Afghanistan vit ainsi dans un huis clos tragique : ni la résistance armée, ni les diplomaties régionales, ni les incantations onusiennes n’apportent aujourd’hui de perspective de sortie de crise.
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