L’Iran et le chef des talibans : ennemis doctrinaux, alliés tactiques

Talibans et Iraniens : partenaires sans confiance, voisins sans paix

Comment la théocratie sunnite d’Akhundzada pactise avec la République islamique chiite au mépris des Afghans expulsés, humiliés et abandonnés

Alors que les talibans cherchent désespérément à consolider leur pouvoir à l’intérieur de l’Afghanistan et à l’international, une alliance aussi stratégique qu’idéologiquement contre nature se dessine : celle du régime taliban d’Hibatullah Akhundzada avec la République islamique d’Iran. Deux régimes fondés sur des visions rivales de l’islam, deux pouvoirs religieux théocratiques, deux ennemis doctrinaux historiques — désormais unis par la nécessité plus que par la conviction.

Et pendant que les mollahs chiites de Téhéran accueillent leurs homologues sunnites déobandis pour des pourparlers d’apparence diplomatique, les réfugiés afghans sont expulsés, maltraités, et réduits à l’errance. Le peuple paie, pendant que les régimes s’embrassent.

Chiisme iranien et talibans sunnites : la haine transformée en calcul

L’histoire entre les deux régimes aurait dû rendre leur rapprochement impossible. Dans les années 1990, les talibans considéraient les chiites — en particulier les Hazaras — comme des hérétiques. Le massacre de Mazar-e-Sharif en 1998, où neuf diplomates iraniens furent assassinés, faillit entraîner une guerre ouverte. En retour, l’Iran a longtemps soutenu l’Alliance du Nord et les forces anti-talibanes.

Mais après 2010, et plus encore après le départ des troupes américaines, l’Iran a changé de cap. Il a commencé à héberger, financer et armer certaines factions talibanes, dans une logique de guerre d’usure contre les États-Unis. La politique iranienne est restée fidèle à son principe : tout affaiblissement de l’Occident justifie une alliance, même avec l’ennemi idéologique.

Akhundzada, chef suprême et intransigeant des talibans, a su exploiter cette faille. Méfiant envers le Pakistan, inquiet de l’influence croissante de l’État islamique (EI-K), il a vu dans l’Iran un partenaire de circonstance : puissant, anti-occidental, prêt à offrir une reconnaissance de fait, sans exiger d’ouverture sur les droits humains ou les femmes. Le rêve taliban.

Un peuple piétiné entre deux régimes autoritaires

Mais ce rapprochement ne se fait pas sans victimes. Depuis 2023, l’Iran a intensifié ses expulsions d’Afghans, invoquant l’absence de documents de séjour. Rafles, arrestations, humiliations en public : des milliers d’Afghans sont renvoyés de force dans un pays qui ne peut ni les accueillir, ni les nourrir, ni les protéger.

En 2023, plus de 500 000 Afghans ont été expulsés du Pakistan. En Iran, les chiffres ne cessent de grimper. Des enfants nés à Téhéran ou Mashhad sont brutalement renvoyés dans un Afghanistan qu’ils n’ont jamais connu. À leur arrivée, c’est la désillusion : bidonvilles autour de Kaboul, absence d’eau, chômage endémique, écoles fermées, et femmes privées de toute autonomie.

Les talibans, eux, ferment les yeux. Pire, ils suspendent les services consulaires de leur propre ambassade à Téhéran, laissant les réfugiés sans papiers, sans recours, sans voix.

La logique du pouvoir contre la logique de la foi

Ce que révèle cette alliance contre nature entre Akhundzada et les mollahs, c’est le triomphe du cynisme politique sur toute cohérence religieuse. D’un côté, un régime chiite obsédé par l’exportation de sa révolution islamique. De l’autre, un pouvoir sunnite qui prêche la pureté idéologique et l’exclusion des infidèles. Leur point commun ? Le rejet des droits humains, la répression des femmes, la méfiance envers le pluralisme, et la volonté de se maintenir au pouvoir à tout prix.

Le peuple afghan, lui, est instrumentalisé, déplacé, exploité. Il est devenu la monnaie d’échange d’une diplomatie autoritaire où les exilés ne sont que des chiffres, les femmes des ombres, les jeunes des dangers potentiels à neutraliser.

Un avertissement à la communauté internationale

Tant que la communauté internationale tolérera cette duplicité — des régimes qui expulsent en masse tout en dialoguant en coulisses —, la crise afghane s’aggravera. Ce n’est pas en consolidant les talibans par la reconnaissance régionale qu’on ramènera la stabilité. Et ce n’est pas en livrant les réfugiés à un pouvoir misogyne et sectaire qu’on servira la paix.

Le rapprochement entre les talibans et les mollahs iraniens n’est pas un pas vers la stabilité. C’est l’alliance de deux régimes religieux contre leurs peuples. Et il est grand temps que ceux qui défendent les droits humains cessent de les abandonner à la logique du pouvoir.



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