Les talibans intensifient la répression des utilisateurs des réseaux sociaux pour « activité immorale » en ligne
Renforcement de la répression numérique par les talibans en Afghanistan
Les talibans intensifient la répression des utilisateurs des réseaux sociaux pour « activité immorale » en ligne
Depuis quelques semaines, le régime taliban en Afghanistan mène une campagne de répression accrue contre les créateurs de contenu et les utilisateurs de réseaux sociaux. Les autorités de Kaboul visent tout particulièrement les publications jugées contraires à leur interprétation rigoriste de l’islam, qualifiées d’« immorales » ou de « propagande anti-émirat ». Cette offensive s’inscrit dans la continuité des restrictions imposées depuis leur retour au pouvoir en 2021, mais semble connaître un durcissement inédit en 2025hrw.orgapnews.com. Elle soulève de vives inquiétudes en matière de liberté d’expression, de censure et de contrôle du numérique dans un pays où la jeunesse avait pris l’habitude de s’exprimer librement en ligne.

1Les talibans intensifient la répression des utilisateurs des réseaux sociaux pour « activité immorale » en ligne
Arrestations en série de créateurs de contenu
Plusieurs créateurs de contenu afghans populaires – youtubeurs, tiktokeurs ou blogueurs – ont été arrêtés récemment, illustrant la volonté des talibans de faire des exemples :
- Utilisateurs de TikTok ciblés : un jeune Afghan actif sur TikTok a été interpellé par la police religieuse pour avoir participé à des lives sur le réseau social en présence de femmes. D’après les informations disponibles, il a été arrêté et soumis à des mauvais traitements pour ces séances vidéo jugées “non islamiques”atlaspress.news. Les talibans avaient déjà banni l’application TikTok en 2022, estimant qu’elle « égarait la jeunesse »bbc.combbc.com, et ils poursuivent désormais ceux qui contournent l’interdiction.
- Voix critiques réduites au silence : en avril 2025, Taimour Shah Jalalzai, un internaute connu pour ses publications critiques envers le régime, a été arrêté par la Direction du renseignement taliban. Un enregistrement vidéo forcé a ensuite circulé, le montrant en train de “confesser” ses soi-disant torts et de supplier le pardon du pouvoirafintl.comafintl.com. Les talibans l’accusent d’avoir diffusé de la « propagande mensongère » sous pseudonyme sur Facebook et TikTok. Son cas illustre la traque des détracteurs en ligne : le régime dispose même d’une unité cybernétique spécialisée pour identifier et appréhender les voix dissidentes sur internetafintl.com.
- Militantes et influenceuses visées : les femmes actives en ligne ne sont pas épargnées. Nadima Noor, une Afghano-Canadienne très suivie sur les réseaux sociaux (connue sous le pseudonyme Patingara Kaki), a été arrêtée à Kaboul mi-avrilafintl.com. Ancienne organisatrice d’un projet d’éducation pour les filles, elle avait déjà été détenue brièvement en 2022. Sa dernière vidéo en date appelait pourtant les talibans à « traiter le peuple avec bienveillance », un message modéré qui n’a pas empêché son incarcération. Son sort s’ajoute à celui d’autres femmes militantes, journalistes et défenseures des droits humains détenues ces derniers mois – souvent de manière arbitraire, sans contact avec leurs familles, et parfois soumises à des violences physiques selon l’ONUafintl.com.
Ces exemples, parmi d’autres, montrent la variété des prétextes invoqués – moralité, ordre public, religion ou sécurité – pour museler toute expression publique jugée dérangeante. En 2024 déjà, plus de 13 000 personnes ont été détenues pour des « actes immoraux » selon un rapport officiel du ministère taliban de la Vertu et du Vicereuters.com. La moitié d’entre elles avaient été relâchées sous 24h, mais d’autres ont fait l’objet de poursuites et de peines, comme le youtubeur Mahdi Ansary condamné à 18 mois de prison pour “propagande anti-régime” après avoir diffusé le discours critique d’un religieux sur sa chaînekabulnow.comkabulnow.com.
Au nom de la charia : un régime de censure morale
Les talibans justifient ces mesures par la défense de leur conception de la charia et des « bonnes mœurs ». Le leader suprême Hibatullah Akhundzada a affirmé la nécessité d’épurer la société afghane de la corruption morale et de protéger la nouvelle génération des « croyances dévoyées » et des « mauvais comportements »apnews.com. Depuis son arrivée au pouvoir, le mouvement a ressuscité le redouté Ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice (PVPV), chargé de faire appliquer son code moral strict.
Ce ministère a promulgué en août 2023 une série de règlements régissant la vie quotidienneapnews.com. Ces règles bannissent notamment la musique, les films, les séries télévisées et même les voix féminines à l’antenne ou en publicapnews.comhrw.org. Les hommes doivent porter la barbe longue et un couvre-chef islamique, sous peine de sanctions. Pendant le Ramadan, l’assiduité de chacun à la prière collective est surveillée de près par des agents, certains hommes ayant été détenus pour avoir manqué la mosquéeapnews.comapnews.com.
Le porte-parole du Ministère de la Vertu, Mohammed Sadiq Akif, a récemment réitéré à la télévision d’État que « personne n’est autorisé à diffuser des contenus immoraux et non islamiques sur les réseaux sociaux ». Il a prévenu que son équipe surveille activement l’espace en ligne et qu’elle poursuivra tout compte dont les publications « détournent l’esprit des citoyens »atlaspress.newsatlaspress.news. Cette déclaration officielle – diffusée mi-mai – conforte l’analyse des observateurs : les talibans entendent imposer leur loi morale partout, y compris sur internet, en s’arrogeant le droit de censurer et punir tout ce qui s’écarte de leur doctrine religieuse.
Contrôle numérique et suppression de la liberté d’expression
Cette offensive sur les réseaux sociaux s’inscrit dans un étouffement plus large de la liberté d’expression en Afghanistan. Privés de la plupart des médias indépendants – fermés, censurés ou passés sous contrôle taliban – de nombreux Afghans s’étaient rabattus sur l’espace numérique pour s’informer et communiquer. Désormais, même en ligne, la peur s’installe.
Les arrestations arbitraires, les confessions forcées et les exemples de violences ont un effet dissuasif massif. Beaucoup de jeunes ont supprimé leurs comptes ou arrêté de poster par crainte de représailles, un phénomène déjà observé dès la chute de Kaboul en 2021bbc.combbc.com. « Par peur, je n’ose même plus dire à nos voisins que je tiens une chaîne YouTube », confiait l’an dernier une vidéaste de Kaboul, qui ne filme plus que chez elle et sans montrer son visagerferl.orgrferl.org.
Les talibans cherchent par ailleurs à verrouiller l’accès même aux plateformes qu’ils ne contrôlent pas. TikTok et le jeu en ligne PUBG ont été officiellement interdits sur le territoire dès 2022bbc.com. Plus récemment, le pouvoir a annoncé son intention de restreindre voire de bloquer Facebook en Afghanistancpj.org, l’un des derniers grands réseaux encore accessible à la population (les comptes officiels talibans y étant tolérés, malgré l’interdiction du groupe par les règles de Meta). YouTube, de son côté, a dû retirer des vidéos critiques du régime sous la pression des nouvelles autoritéssan.comsan.com. Les quelques médias restés actifs sont également contraints d’effacer leurs archives en ligne jugées dérangeantes – par exemple, en mai 2025, les talibans ont ordonné aux chaînes de télévision de supprimer de YouTube tout contenu produit avant leur arrivée au pouvoir s’il contrevient à leurs règlessan.com.
En parallèle, le régime utilise le numérique à son avantage : il a mis en place une véritable police du web. La « cyber-unité technique » du renseignement taliban surveille les publications des Afghans, y compris sous pseudonymes, comme l’a montré l’affaire Jalalzaiafintl.com. Les autorités n’hésitent pas à contacter directement les plateformes pour signaler du contenu ou réclamer la fermeture de comptes dissidents. Enfin, les mollahs 2.0 du régime investissent aussi les réseaux pour diffuser leur propre propagande : armée de milliers de comptes sympathisants, la sphère pro-talibane inonde internet de discours justifiant les édits religieux, célébrant les « succès » du nouvel émirat et attaquant les voix critiques.
Les réseaux sociaux, derniers bastions d’une jeunesse en résistance
Pour la jeune génération afghane, née dans les deux dernières décennies, les réseaux sociaux avaient constitué un espace de liberté inédit. YouTube, Facebook, Instagram ou TikTok ont permis l’émergence d’une scène de créateurs dynamique après 2001, reflétant les réalités du pays et souvent en décalage avec les traditions conservatrices. Des influenceurs faisaient découvrir la culture afghane, la vie quotidienne des provinces, produisaient de l’humour, de la musique, de la danse – autant de contenus aujourd’hui proscrits par le régime islamiste.
Après l’interdiction des médias audiovisuels internationaux et la censure de la presse locale, l’espace en ligne était devenu un exutoire pour nombre d’Afghans, notamment les femmes. Certaines, empêchées d’étudier ou de travailler par les décrets talibans, se sont tournées vers YouTube pour exister et subvenir à leurs besoinscontext.news. « Notre voix est devenue une source de honte [pour les talibans]. Ils veulent nous emprisonner à la maison », témoignait une vidéaste qui réalise des tutoriels depuis son salon, sa seule fenêtre sur l’extérieurcontext.news. Mais à présent, même ces initiatives apolitiques sont sous la menace. Les quelques YouTubeuses encore actives évitent tout sujet sensible et s’autocensurent rigoureusement. La mystérieuse mort de Hora Sadat, une populaire youtubeuse de Kaboul décédée en août 2023 après avoir vraisemblablement été empoisonnée, a jeté un froid supplémentairerferl.orgrferl.org. « Je suis terrifiée », confie une créatrice, « à tout moment il peut nous arriver quelque chose en raison de notre visibilité**»rferl.orgrferl.org.
Malgré tout, les réseaux sociaux restent, y compris depuis l’étranger, un lieu crucial pour la résistance afghane. Des campagnes en ligne, souvent menées par la diaspora, permettent de médiatiser la situation des femmes ou des minorités persécutées, de documenter les abus et de maintenir la pression internationale sur le régime. Conscients de ce contre-pouvoir numérique, les talibans cherchent à le neutraliser.
Menaces à l’encontre des influenceurs en exil
Les talibans adressent également un message clair aux influenceurs et activistes afghans exilés. S’ils ne peuvent pas les arrêter physiquement, ils tentent de les intimider à distance et de discréditer leur parole. La rhétorique officielle présente souvent ces expatriés très suivis (journalistes, anciens fonctionnaires, youtubeurs, militants des droits humains) comme des « agents à la solde de l’Occident » ou des fauteurs de troubles qui ternissent l’image du pays.
Récemment, la Direction du renseignement a mis en garde que même hors d’Afghanistan, les comptes diffusant des « idées pernicieuses » seront “pistés”atlaspress.news. Concrètement, Kaboul a parfois recours à des moyens de pression indirects : familles restées au pays harcelées, biens confisqués, ou tentatives de cyberattaques contre les pages dissidentes. À l’inverse, le régime encourage les voix qui lui sont favorables, y compris à l’international : il a par exemple invité des youtubeurs étrangers (notamment de pays musulmans) à venir voyager en Afghanistan, leur délivrant des licences de tournage pour qu’ils montrent une image positive de l’Émiratsan.comsan.com. Cette stratégie vise à remodeler le récit sur la scène mondiale, tout en faisant passer les témoignages critiques émanant de l’exil pour de la propagande infondée.
Indignation des défenseurs des droits et appels internationaux
Les réactions face à cette escalade répressive ne se sont pas fait attendre. Les organisations de défense des droits humains dénoncent un étouffement systématique de la liberté d’expression en Afghanistan. « Les talibans ont poussé les rares médias indépendants restants au bord du gouffre par une répression impitoyable », a déclaré le Comité pour la protection des journalistes, en exhortant la communauté internationale à soutenir les reporters afghans exilés pour qu’ils puissent continuer leur travailcpj.orgcpj.org. Human Rights Watch souligne de son côté que les nouvelles directives « religieuses » du régime ont entraîné l’interdiction des actrices à l’écran et renforcé la censure de toute critique publiquehrw.org.
Les Nations unies ont multiplié les condamnations via leur Rapporteur spécial pour l’Afghanistan, sans effet tangible sur l’inflexibilité d’Akhundzada. Début mai, plusieurs experts de l’ONU ont rappelé que priver un peuple de ses voix et de ses espaces d’expression constituait une violation flagrante des engagements internationaux en matière de droits humainshrw.orgcpj.org. Washington, l’Union européenne et nombre d’ONG ont réitéré leurs appels à la libération des journalistes emprisonnés et au respect de l’accès à l’informationkabulnow.com.
Pour l’heure, cependant, le régime taliban demeure sourd à ces critiques. Il semble au contraire déterminé à achever son entreprise de contrôle total sur la société afghane – y compris dans la sphère digitale. Cette « chasse à l’immoralité » en ligne envoie un signal glaçant à toute une génération d’internautes : exprimer la moindre dissidence ou simplement vivre en dehors du modèle taliban peut désormais vous conduire derrière les barreaux. La résistance, autrefois virtuelle, se fera peut-être plus clandestine, mais elle n’en est pas moins vive. Les regards du monde restent braqués sur l’Afghanistan, où chaque vidéo supprimée et chaque voix réduite au silence témoignent de la dérive autoritaire en cours sous couvert de religiosité.
Sources
- AP News – “Taliban morality enforcers arrest men for having the wrong hairstyle or skipping mosque, UN says”, 8 sept. 2023apnews.comapnews.com.
- Reuters – “Taliban morality police dismiss over 280 men without beards from security forces”, 20 août 2024reuters.com.
- Afghanistan International (Afintl.com) – “Taliban Detains Social Media Critic, Forces Public Confession”, 22 avr. 2025afintl.comafintl.com.
- Afghanistan International» (Les talibans ont arrêté une femme active sur les réseaux sociaux), 16 avr. 2025afintl.comafintl.com.
- KabulNow – “Taliban Court Sentences Journalist to Over a Year in Prison for Alleged Anti-Regime Propaganda”, 8 janv. 2025kabulnow.comkabulnow.com.
- Human Rights Watch – “World Report 2025: Afghanistan” (Chapitre Afghanistan)hrw.orghrw.org.
- Committee to Protect Journalists – “No end in sight to Taliban media crackdown 3 years on”, 14 août 2024cpj.orgcpj.org.
- Al Jazeera Media Institute – “Navigating Taliban rule as a YouTuber – one year on”, 18 août 2022institute.aljazeera.netinstitute.aljazeera.net.
- BBC News – “Afghanistan: Taliban orders TikTok, PUBG ban for ‘misleading’ youths”, 22 avr. 2022bbc.combbc.com.
- South Asia News (SAN.com) – “Taliban encouraging content creators to reshape Afghanistan narrative”, 11 mars 2025san.comsan.com.
Renforcement de la répression numérique par les talibans en Afghanistan
Les talibans intensifient la répression des utilisateurs des réseaux sociaux pour « activité immorale » en ligne
Depuis quelques semaines, le régime taliban en Afghanistan mène une campagne de répression accrue contre les créateurs de contenu et les utilisateurs de réseaux sociaux. Les autorités de Kaboul visent tout particulièrement les publications jugées contraires à leur interprétation rigoriste de l’islam, qualifiées d’« immorales » ou de « propagande anti-émirat ». Cette offensive s’inscrit dans la continuité des restrictions imposées depuis leur retour au pouvoir en 2021, mais semble connaître un durcissement inédit en 2025hrw.orgapnews.com. Elle soulève de vives inquiétudes en matière de liberté d’expression, de censure et de contrôle du numérique dans un pays où la jeunesse avait pris l’habitude de s’exprimer librement en ligne.

1Les talibans intensifient la répression des utilisateurs des réseaux sociaux pour « activité immorale » en ligne
Arrestations en série de créateurs de contenu
Plusieurs créateurs de contenu afghans populaires – youtubeurs, tiktokeurs ou blogueurs – ont été arrêtés récemment, illustrant la volonté des talibans de faire des exemples :
- Utilisateurs de TikTok ciblés : un jeune Afghan actif sur TikTok a été interpellé par la police religieuse pour avoir participé à des lives sur le réseau social en présence de femmes. D’après les informations disponibles, il a été arrêté et soumis à des mauvais traitements pour ces séances vidéo jugées “non islamiques”atlaspress.news. Les talibans avaient déjà banni l’application TikTok en 2022, estimant qu’elle « égarait la jeunesse »bbc.combbc.com, et ils poursuivent désormais ceux qui contournent l’interdiction.
- Voix critiques réduites au silence : en avril 2025, Taimour Shah Jalalzai, un internaute connu pour ses publications critiques envers le régime, a été arrêté par la Direction du renseignement taliban. Un enregistrement vidéo forcé a ensuite circulé, le montrant en train de “confesser” ses soi-disant torts et de supplier le pardon du pouvoirafintl.comafintl.com. Les talibans l’accusent d’avoir diffusé de la « propagande mensongère » sous pseudonyme sur Facebook et TikTok. Son cas illustre la traque des détracteurs en ligne : le régime dispose même d’une unité cybernétique spécialisée pour identifier et appréhender les voix dissidentes sur internetafintl.com.
- Militantes et influenceuses visées : les femmes actives en ligne ne sont pas épargnées. Nadima Noor, une Afghano-Canadienne très suivie sur les réseaux sociaux (connue sous le pseudonyme Patingara Kaki), a été arrêtée à Kaboul mi-avrilafintl.com. Ancienne organisatrice d’un projet d’éducation pour les filles, elle avait déjà été détenue brièvement en 2022. Sa dernière vidéo en date appelait pourtant les talibans à « traiter le peuple avec bienveillance », un message modéré qui n’a pas empêché son incarcération. Son sort s’ajoute à celui d’autres femmes militantes, journalistes et défenseures des droits humains détenues ces derniers mois – souvent de manière arbitraire, sans contact avec leurs familles, et parfois soumises à des violences physiques selon l’ONUafintl.com.
Ces exemples, parmi d’autres, montrent la variété des prétextes invoqués – moralité, ordre public, religion ou sécurité – pour museler toute expression publique jugée dérangeante. En 2024 déjà, plus de 13 000 personnes ont été détenues pour des « actes immoraux » selon un rapport officiel du ministère taliban de la Vertu et du Vicereuters.com. La moitié d’entre elles avaient été relâchées sous 24h, mais d’autres ont fait l’objet de poursuites et de peines, comme le youtubeur Mahdi Ansary condamné à 18 mois de prison pour “propagande anti-régime” après avoir diffusé le discours critique d’un religieux sur sa chaînekabulnow.comkabulnow.com.
Au nom de la charia : un régime de censure morale
Les talibans justifient ces mesures par la défense de leur conception de la charia et des « bonnes mœurs ». Le leader suprême Hibatullah Akhundzada a affirmé la nécessité d’épurer la société afghane de la corruption morale et de protéger la nouvelle génération des « croyances dévoyées » et des « mauvais comportements »apnews.com. Depuis son arrivée au pouvoir, le mouvement a ressuscité le redouté Ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice (PVPV), chargé de faire appliquer son code moral strict.
Ce ministère a promulgué en août 2023 une série de règlements régissant la vie quotidienneapnews.com. Ces règles bannissent notamment la musique, les films, les séries télévisées et même les voix féminines à l’antenne ou en public apnews.comhrw.org. Les hommes doivent porter la barbe longue et un couvre-chef islamique, sous peine de sanctions. Pendant le Ramadan, l’assiduité de chacun à la prière collective est surveillée de près par des agents, certains hommes ayant été détenus pour avoir manqué la mosquée apnews.comapnews.com.
Le porte-parole du Ministère de la Vertu, Mohammed Sadiq Akif, a récemment réitéré à la télévision d’État que « personne n’est autorisé à diffuser des contenus immoraux et non islamiques sur les réseaux sociaux ». Il a prévenu que son équipe surveille activement l’espace en ligne et qu’elle poursuivra tout compte dont les publications « détournent l’esprit des citoyens » atlaspress.newsatlaspress.news. Cette déclaration officielle – diffusée mi-mai – conforte l’analyse des observateurs : les talibans entendent imposer leur loi morale partout, y compris sur internet, en s’arrogeant le droit de censurer et punir tout ce qui s’écarte de leur doctrine religieuse.
Contrôle numérique et suppression de la liberté d’expression
Cette offensive sur les réseaux sociaux s’inscrit dans un étouffement plus large de la liberté d’expression en Afghanistan. Privés de la plupart des médias indépendants – fermés, censurés ou passés sous contrôle taliban – de nombreux Afghans s’étaient rabattus sur l’espace numérique pour s’informer et communiquer. Désormais, même en ligne, la peur s’installe.
Les arrestations arbitraires, les confessions forcées et les exemples de violences ont un effet dissuasif massif. Beaucoup de jeunes ont supprimé leurs comptes ou arrêté de poster par crainte de représailles, un phénomène déjà observé dès la chute de Kaboul en 2021 bbc.combbc.com. « Par peur, je n’ose même plus dire à nos voisins que je tiens une chaîne YouTube », confiait l’an dernier une vidéaste de Kaboul, qui ne filme plus que chez elle et sans montrer son visage rferl.orgrferl.org.
Les talibans cherchent par ailleurs à verrouiller l’accès même aux plateformes qu’ils ne contrôlent pas. TikTok et le jeu en ligne PUBG ont été officiellement interdits sur le territoire dès 2022 bbc.com. Plus récemment, le pouvoir a annoncé son intention de restreindre voire de bloquer Facebook en Afghanistan cpj.org, l’un des derniers grands réseaux encore accessible à la population (les comptes officiels talibans y étant tolérés, malgré l’interdiction du groupe par les règles de Meta). YouTube, de son côté, a dû retirer des vidéos critiques du régime sous la pression des nouvelles autorités san.comsan.com. Les quelques médias restés actifs sont également contraints d’effacer leurs archives en ligne jugées dérangeantes – par exemple, en mai 2025, les talibans ont ordonné aux chaînes de télévision de supprimer de YouTube tout contenu produit avant leur arrivée au pouvoir s’il contrevient à leurs règles san.com.
En parallèle, le régime utilise le numérique à son avantage : il a mis en place une véritable police du web. La « cyber-unité technique » du renseignement taliban surveille les publications des Afghans, y compris sous pseudonymes, comme l’a montré l’affaire Jalalzai afintl.com. Les autorités n’hésitent pas à contacter directement les plateformes pour signaler du contenu ou réclamer la fermeture de comptes dissidents. Enfin, les mollahs 2.0 du régime investissent aussi les réseaux pour diffuser leur propre propagande : armée de milliers de comptes sympathisants, la sphère pro-talibane inonde internet de discours justifiant les édits religieux, célébrant les « succès » du nouvel émirat et attaquant les voix critiques.
Les réseaux sociaux, derniers bastions d’une jeunesse en résistance
Pour la jeune génération afghane, née dans les deux dernières décennies, les réseaux sociaux avaient constitué un espace de liberté inédit. YouTube, Facebook, Instagram ou TikTok ont permis l’émergence d’une scène de créateurs dynamique après 2001, reflétant les réalités du pays et souvent en décalage avec les traditions conservatrices. Des influenceurs faisaient découvrir la culture afghane, la vie quotidienne des provinces, produisaient de l’humour, de la musique, de la danse – autant de contenus aujourd’hui proscrits par le régime islamiste.
Après l’interdiction des médias audiovisuels internationaux et la censure de la presse locale, l’espace en ligne était devenu un exutoire pour nombre d’Afghans, notamment les femmes. Certaines, empêchées d’étudier ou de travailler par les décrets talibans, se sont tournées vers YouTube pour exister et subvenir à leurs besoins context.news. « Notre voix est devenue une source de honte [pour les talibans]. Ils veulent nous emprisonner à la maison », témoignait une vidéaste qui réalise des tutoriels depuis son salon, sa seule fenêtre sur l’extérieur context.news. Mais à présent, même ces initiatives apolitiques sont sous la menace. Les quelques YouTubeuses encore actives évitent tout sujet sensible et s’autocensurent rigoureusement. La mystérieuse mort de Hora Sadat, une populaire youtubeuse de Kaboul décédée en août 2023 après avoir vraisemblablement été empoisonnée, a jeté un froid supplémentaire rferl.orgrferl.org. « Je suis terrifiée », confie une créatrice, « à tout moment il peut nous arriver quelque chose en raison de notre visibilité**» rferl.orgrferl.org.
Malgré tout, les réseaux sociaux restent, y compris depuis l’étranger, un lieu crucial pour la résistance afghane. Des campagnes en ligne, souvent menées par la diaspora, permettent de médiatiser la situation des femmes ou des minorités persécutées, de documenter les abus et de maintenir la pression internationale sur le régime. Conscients de ce contre-pouvoir numérique, les talibans cherchent à le neutraliser.
Menaces à l’encontre des influenceurs en exil
Les talibans adressent également un message clair aux influenceurs et activistes afghans exilés. S’ils ne peuvent pas les arrêter physiquement, ils tentent de les intimider à distance et de discréditer leur parole. La rhétorique officielle présente souvent ces expatriés très suivis (journalistes, anciens fonctionnaires, youtubeurs, militants des droits humains) comme des « agents à la solde de l’Occident » ou des fauteurs de troubles qui ternissent l’image du pays.
Récemment, la Direction du renseignement a mis en garde que même hors d’Afghanistan, les comptes diffusant des « idées pernicieuses » seront “pistés” atlaspress.news. Concrètement, Kaboul a parfois recours à des moyens de pression indirects : familles restées au pays harcelées, biens confisqués, ou tentatives de cyberattaques contre les pages dissidentes. À l’inverse, le régime encourage les voix qui lui sont favorables, y compris à l’international : il a par exemple invité des youtubeurs étrangers (notamment de pays musulmans) à venir voyager en Afghanistan, leur délivrant des licences de tournage pour qu’ils montrent une image positive de l’Émirat san.comsan.com. Cette stratégie vise à remodeler le récit sur la scène mondiale, tout en faisant passer les témoignages critiques émanant de l’exil pour de la propagande infondée.
Indignation des défenseurs des droits et appels internationaux
Les réactions face à cette escalade répressive ne se sont pas fait attendre. Les organisations de défense des droits humains dénoncent un étouffement systématique de la liberté d’expression en Afghanistan. « Les talibans ont poussé les rares médias indépendants restants au bord du gouffre par une répression impitoyable », a déclaré le Comité pour la protection des journalistes, en exhortant la communauté internationale à soutenir les reporters afghans exilés pour qu’ils puissent continuer leur travail cpj.orgcpj.org. Human Rights Watch souligne de son côté que les nouvelles directives « religieuses » du régime ont entraîné l’interdiction des actrices à l’écran et renforcé la censure de toute critique publiquehrw.org.
Les Nations unies ont multiplié les condamnations via leur Rapporteur spécial pour l’Afghanistan, sans effet tangible sur l’inflexibilité d’Akhundzada. Début mai, plusieurs experts de l’ONU ont rappelé que priver un peuple de ses voix et de ses espaces d’expression constituait une violation flagrante des engagements internationaux en matière de droits humains hrw.orgcpj.org. Washington, l’Union européenne et nombre d’ONG ont réitéré leurs appels à la libération des journalistes emprisonnés et au respect de l’accès à l’information kabulnow.com.
Pour l’heure, cependant, le régime taliban demeure sourd à ces critiques. Il semble au contraire déterminé à achever son entreprise de contrôle total sur la société afghane – y compris dans la sphère digitale. Cette « chasse à l’immoralité » en ligne envoie un signal glaçant à toute une génération d’internautes : exprimer la moindre dissidence ou simplement vivre en dehors du modèle taliban peut désormais vous conduire derrière les barreaux. La résistance, autrefois virtuelle, se fera peut-être plus clandestine, mais elle n’en est pas moins vive. Les regards du monde restent braqués sur l’Afghanistan, où chaque vidéo supprimée et chaque voix réduite au silence témoignent de la dérive autoritaire en cours sous couvert de religiosité.
Sources
- AP News – “Taliban morality enforcers arrest men for having the wrong hairstyle or skipping mosque, UN says”, 8 sept. 2023 apnews.comapnews.com.
- Reuters – “Taliban morality police dismiss over 280 men without beards from security forces”, 20 août 2024 reuters.com.
- Afghanistan International (Afintl.com) – “Taliban Detains Social Media Critic, Forces Public Confession”, 22 avr. 2025 afintl.comafintl.com.
- Afghanistan International» (Les talibans ont arrêté une femme active sur les réseaux sociaux), 16 avr. 2025 afintl.comafintl.com.
- KabulNow – “Taliban Court Sentences Journalist to Over a Year in Prison for Alleged Anti-Regime Propaganda”, 8 janv. 2025 kabulnow.comkabulnow.com.
- Human Rights Watch – “World Report 2025: Afghanistan” (Chapitre Afghanistan) hrw.orghrw.org.
- Committee to Protect Journalists – “No end in sight to Taliban media crackdown 3 years on”, 14 août 2024 cpj.orgcpj.org.
- Al Jazeera Media Institute – “Navigating Taliban rule as a YouTuber – one year on”, 18 août 2022institute.aljazeera.netinstitute.aljazeera.net.
- BBC News – “Afghanistan: Taliban orders TikTok, PUBG ban for ‘misleading’ youths”, 22 avr. 2022 bbc.combbc.com.
- South Asia News (SAN.com) – “Taliban encouraging content creators to reshape Afghanistan narrative”, 11 mars 2025 san.comsan.com.
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