L’Afghanistan, foyer du djihad mondial : l’illusion de la stabilité talibane

Depuis le retrait chaotique des forces américaines en août 2021, l’Afghanistan est redevenu, sous l’autorité des talibans, un incubateur global du djihadisme. Loin de tenir les engagements pris à Doha, les talibans ont au Depuis le retrait des forces américaines en août 2021, l’Afghanistan a progressivement glissé d’un champ de guerre à un véritable sanctuaire du terrorisme global. Sous le régime des talibans, le pays est devenu le carrefour d’une nébuleuse extrémiste qui s’étend de l’Asie centrale au Moyen-Orient, et jusqu’aux portes de l’Europe. En surface, les talibans promettaient une rupture avec le passé, l’ordre et la sécurité. En réalité, ils ont réinstallé un écosystème de violence, de radicalisation et de complicités.

Une infrastructure djihadiste reconstituée

L’un des exemples les plus saisissants de cette reconfiguration est l’apparition de la base Muhajir Tactical. Située dans une province afghane non dévoilée, ce centre d’entraînement paramilitaire est dirigé par Ayoub Muhajir, un djihadiste syrien. Il sert de plateforme commune pour des combattants d’Al-Qaïda, du Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), de groupes ouïghours comme le Mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO), ainsi que pour des factions tadjikes et ouzbèkes. Dans cette installation, les militants reçoivent une formation tactique, des endoctrinements idéologiques et accèdent à des moyens technologiques de communication et de surveillance cryptés.

Cette coopération intergroupes n’est pas anodine. Elle traduit la mutation des mouvements terroristes : ils ne sont plus des entités isolées, mais des réseaux interconnectés et coordonnés, disposant d’une arrière-base commune dans un Afghanistan tenu par les talibans.

La duplicité du régime taliban

Malgré leurs engagements pris lors de l’accord de Doha en 2020, les talibans n’ont pas rompu leurs liens avec les groupes extrémistes transnationaux. Pire : des rapports de l’ONU et du SIGAR confirment la présence continue d’Al-Qaïda dans plusieurs provinces du pays, ainsi que l’octroi de cartes d’identité officielles à certains de ses membres par les autorités talibanes. Ce soutien administratif est une preuve flagrante de complicité.

Le discours officiel des talibans ne sert qu’à gagner du temps sur la scène internationale, pendant qu’ils consolidént leur pouvoir et protègent leurs alliés historiques. Le pays s’est transformé en une base arrière du djihad global, comme l’était le Soudan dans les années 1990 ou l’Afghanistan pré-2001.

Pakistan : le retour de flamme

Le Pakistan est aujourd’hui l’exemple le plus flagrant des conséquences de ces alliances dangereuses. Pendant des décennies, Islamabad a instrumentalisé les talibans, le TTP et d’autres groupes pour affaiblir ses voisins et garantir sa « profondeur stratégique ». Mais les armes de la manipulation se sont retournées contre leur maître.

En 2024, plus de 2 500 personnes ont péri dans des attaques terroristes sur le sol pakistanais. Le TTP, depuis ses bases en Afghanistan, attaque l’armée pakistanaise et sécurise des zones entières dans les provinces frontalières. La ligne Durand est devenue un couloir de sang. Islamabad est dépassée, étranglée par l’échec de sa propre géopolitique. Le soutien aux talibans n’a pas créé un allié durable, mais un refuge pour ses ennemis.

La Chine prise à son propre piège

Autre acteur régional ébranlé : la Chine. En pariant sur une reconnaissance diplomatique des talibans, en échange du silence sur les activités ouïghoures, Pékin pensait neutraliser la menace islamiste. Mais l’effet inverse se produit. Les militants ouïghours s’entraînent en Afghanistan et se préparent à frapper le Xinjiang ou les infrastructures du CECP.

Les rêves de connectivité eurasiatique portés par l’Initiative Ceinture et Route se heurtent à la réalité d’une insécurité croissante. La Chine pourrait bientôt payer, dans ses régions les plus sensibles, les conséquences de sa diplomatie d’accommodement.

Iran : entre pression migratoire et insécurité frontalière

L’Iran n’est pas épargné. Confronté à l’arrivée massive de réfugiés afghans, il redoute que des combattants djihadistes infiltrent ses provinces les plus instables, comme le Sistan-et-Baloutchistan. Le risque d’insurrection à caractère confessionnel ou ethnique y est réel.

Les expériences passées montrent que la fermeture des frontières ne suffit pas. Si l’Afghanistan reste un sanctuaire pour les extrémistes sunnites, l’Iran sera forcé d’adopter une posture militaire de plus en plus agressive, au risque d’embraser la région.

L’Occident aveuglé, la menace intacte

Depuis 2021, les priorités stratégiques de l’Occident ont changé. L’Ukraine, Taïwan, la mer de Chine occupent l’attention diplomatique et militaire. Ce déplacement a créé un vide. Les groupes terroristes l’ont comblé. ISIS-K, en particulier, est devenu l’acteur le plus violent et le plus transnational de la région.

Il a mené les attentats de Kerman en Iran, de Crocus à Moscou, et planifie, selon les services occidentaux, une attaque majeure sur le sol européen dans les douze mois à venir. James Snell, ancien conseiller au New Lines Institute, estime que la menace est imminente.

S’allier aux talibans pour contrer ISIS relève de l’illusion. Ces derniers n’ont ni la volonté, ni les capacités de contenir le groupe. Leur propre inefficacité alimente la montée en puissance de l’EI.

Une carte des camps bien connue, mais ignorée

Les rapports de la communauté internationale sont explicites : au moins 25 camps sont actifs en Afghanistan, dont une dizaine affiliés à ISIS-K. Nangarhar, Kunar, Helmand, Badakhshan sont devenus les points nodaux de l’insurrection islamiste.

Au Pakistan, 45 groupes armés opèrent encore en 2025. Les zones tribales, le Baloutchistan, le Punjab sud sont devenus les terrains de jeu du TTP, d’Al-Qaïda, du Lashkar-e-Taiba, et de groupes sectaires chiites. Les autorités savent. Mais elles ferment les yeux, ou coopèrent en silence.

Et l’Inde ? Un voisin vulnérable et exposé

Pour New Delhi, la situation est critique. Les conséquences de la recrudescence djihadiste menacent directement le Jammu-et-Cachemire, mais aussi les corridors stratégiques comme le port de Chabahar ou l’INSTC.

Face à cette instabilité, l’Inde doit repenser son architecture de sécurité. Cela passe par une intensification du renseignement (HUMINT/TECHINT), une coordination plus forte avec les puissances du Golfe, de l’Asie centrale, et une stratégie d’influence régionale plus affirmée.

La menace est structurelle, la réponse doit l’être aussi

L’Afghanistan sous les talibans n’est pas seulement un pays autoritaire. C’est un territoire devenu matrice du terrorisme global. Les camps d’entraînement, les complicités étatiques, le financement par les ressources minières et la drogue composent un cocktail explosif. La menace n’est plus potentielle : elle est active, documentée, et orientée vers l’extérieur.

Face à cela, la communauté internationale ne peut se contenter de condamnations verbales ou d’espoirs diplomatiques. Il faut une stratégie de sécurité multidomaine, incluant renseignement, lutte contre le financement, et pression politique sur les pays complices.

Sinon, les camps d’aujourd’hui deviendront les plaques tournantes des attentats de demain. Et l’Afghanistan, une fois encore, en sera le point de départ.


Sources :



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