Ce que le Nord global peut apprendre du Sud global

La liberté n’a pas de latitude

thediplomat.com
Ce que le Nord peut apprendre du Sud
Natiq Malikzada
https://thediplomat.com/2025/05/what-the-global-north-can-learn-from-the-global-south/

Le Nord est confronté à un moment de vérité, un moment que le Sud connaît bien. La montée en puissance de dirigeants autoritaires, la propagation de la désinformation et l’érosion des normes démocratiques – illustrée par le retour de Donald Trump, suivi par des oligarques milliardaires comme Elon Musk, à la présidence des États-Unis – ont créé un climat où les droits humains sont de plus en plus menacés. Les populations qui se croyaient autrefois à l’abri des violations des droits humains et de la peur de l’incertitude politique sont désormais confrontées à ces crises au sein de leurs propres frontières. Nombre d’entre elles ne savent plus quoi faire.

La réponse : se tourner vers le Sud pour trouver des conseils.

Réponse de la Lettre d’Afghanistan :

La liberté n’a pas de latitude

Le texte de Natiq Malikzada, publié dans The Diplomat, trace une ligne de faille provocante entre un Nord déclinant et un Sud résilient, invitant les sociétés occidentales à puiser dans l’expérience du Sud global pour affronter les menaces croissantes à leurs droits fondamentaux. Ce plaidoyer, puissant et sincère, mérite pourtant d’être complété par quelques nuances essentielles.

Car s’il est vrai que la montée des autoritarismes dans les démocraties occidentales — qu’il s’agisse des États-Unis, de l’Europe centrale ou d’Israël — marque une rupture alarmante, il serait faux de suggérer que les pays du Sud ont franchi ce cap pour devenir des phares en matière de libertés. En réalité, les luttes pour la liberté, la dignité et la souveraineté restent inachevées, voire cruellement réprimées, dans une grande partie du monde non occidental.

L’Afrique reste minée par des régimes militaires ou civils autoritaires, du Sahel à l’Érythrée, de l’Ouganda à l’Égypte. En Iran, les femmes sont battues, emprisonnées, parfois tuées pour une mèche de cheveux mal couverte. En Chine, le système de surveillance de masse cohabite avec des camps de rééducation ethnique. En Russie, l’État instrumentalise la religion et la guerre pour faire taire toute dissidence. Au Venezuela, la misère orchestrée par un pouvoir autoritaire a forcé l’exil de millions de citoyens. Aucun de ces États ne peut servir de modèle crédible en matière de droits humains.

Cela ne signifie pas que les sociétés civiles du Sud soient inactives — bien au contraire. Partout, des militants, des femmes, des enseignants, des artistes défient le silence et le danger, comme le rappelle à juste titre Malikzada. Mais ce n’est pas le Sud en tant qu’entité géopolitique qui mérite admiration ; ce sont les peuples du Sud, leurs résistances, leurs combats souvent solitaires contre des systèmes oppressifs, qu’il faut saluer. De la même manière, dans le Nord, ce sont les peuples — et non les États — qui reprennent aujourd’hui le flambeau de la démocratie, avec leurs propres marches, leurs plateformes citoyennes, leurs combats contre les lois liberticides.

Si l’architecture internationale des droits de l’homme a été fondée dans un esprit hiérarchique — « du haut vers le bas », az bala be pain — il est également réducteur de la considérer uniquement comme un outil de domination néocoloniale. Cette architecture, certes imparfaite, a permis de soutenir des luttes majeures au Sud : contre l’apartheid en Afrique du Sud, pour les droits des femmes au Pakistan, ou contre la torture au Chili. La Charte universelle ne devient coercitive que lorsqu’elle est instrumentalisée par les puissants pour servir leurs intérêts.

Mais un fait demeure : aujourd’hui, le Nord n’a plus de leçon à donner au Sud. Les échecs moraux de certaines démocraties occidentales, leur hypocrisie dans les alliances ou leur silence sur des crimes flagrants, ont sapé leur autorité normative. Et dans un monde multipolaire, la parole doit devenir plurielle.

Pour autant, il ne faut pas tomber dans un relativisme paresseux où chaque camp prétend à une légitimité équivalente. Car le combat pour les droits humains, partout, converge vers des principes universels : le droit à la dignité, à l’autonomie, à l’expression, à la justice. Ces droits n’ont pas de couleur de peau, pas de continent, pas de religion. Ce que cherche un étudiant de Kaboul, un paysan du Chiapas, une mère de famille à Varsovie ou à Bamako, c’est le droit de vivre librement et de décider pour soi-même, dans la paix et l’équité.

Oui, les peuples du Sud possèdent une expertise durement acquise dans la survie, la solidarité, la reconstruction. Mais cette expertise ne peut porter de fruit commun que si elle rejoint celle du Nord dans un esprit d’égalité véritable. Ce n’est qu’en abolissant les hiérarchies — non pour les inverser, mais pour les dissoudre — que nous pourrons inventer ensemble un nouvel humanisme.

La liberté n’est pas un héritage géographique. Elle est une conquête permanente, fragile et universelle.


Freedom Has No Latitude

Natiq Malikzada’s article in The Diplomat draws a bold and provocative line between a declining Global North and a resilient Global South, urging Western societies to draw inspiration from the South’s experience in confronting growing threats to fundamental rights. This powerful and sincere call, however, deserves to be complemented by a few essential clarifications.

Yes, the rise of authoritarianism in Western democracies — in the United States, Central Europe, and even Israel — is deeply alarming. But it would be inaccurate to suggest that the countries of the South have transcended these challenges and now stand as models of human rights leadership. In reality, the struggle for freedom, dignity, and self-determination remains unfinished — and often brutally suppressed — across much of the non-Western world.

Large parts of Africa are still dominated by military or authoritarian civilian regimes, from the Sahel to Eritrea, from Uganda to Egypt. In Iran, women are beaten, imprisoned, and sometimes killed over a strand of uncovered hair. In China, mass surveillance coexists with ethnic reeducation camps. In Russia, the state uses religion and war to silence dissent. In Venezuela, authoritarian misrule has driven millions into exile. None of these regimes can credibly claim to be a model for human rights.

This does not mean that civil societies in the South are passive — far from it. As Malikzada rightly notes, activists, women, teachers, and artists continue to defy silence and danger. But it is not the South as a geopolitical bloc that deserves admiration — it is the peoples of the South, their courage, and their often lonely resistance to oppressive systems. Likewise, in the North, it is ordinary people — not governments — who are now reclaiming the banner of democracy through protests, grassroots platforms, and struggles against restrictive laws.

If the international human rights framework was indeed shaped in a top-down spirit — az bala be pain — it is equally simplistic to reduce it to a mere tool of neocolonial control. This framework, though imperfect, has helped sustain key struggles in the South: against apartheid in South Africa, for women’s rights in Pakistan, and against torture in Chile. The Universal Declaration becomes coercive only when wielded selectively by the powerful.

One truth, however, stands firm: today, the Global North can no longer claim moral superiority over the Global South. The moral failures of certain Western democracies — their alliances of convenience, their silence in the face of atrocities — have undermined their credibility. In a multipolar world, moral authority must be earned, not assumed.

Yet this is not a call for relativism or false equivalence. The fight for human rights everywhere is grounded in shared principles: dignity, autonomy, expression, justice. These are not Western values. They are human values. What a student in Kabul seeks, what a farmer in Chiapas or a mother in Bamako or Warsaw longs for, is the same: the right to live freely and to decide for oneself, in peace and equity.

Yes, the peoples of the South have developed hard-won skills in survival, solidarity, and reconstruction. But this knowledge can only bear collective fruit if it is welcomed by the North in a spirit of true equality. Only by abolishing hierarchies — not reversing them, but dissolving them — can we co-create a new, shared humanism.

Freedom is not a geographic birthright. It is a permanent, fragile, and universal struggle.



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