Afghanistan : des millions de filles privées d’éducation menstruelle

Le 28 mai, Journée mondiale de la santé menstruelle, passe sous silence en Afghanistan. Dans un pays où les Talibans ont interdit l’école aux filles au-delà du primaire, le mot « règles » est devenu un tabou social, un non-dit médical, une menace silencieuse pour la santé de millions de jeunes femmes. La privation de savoir n’est pas qu’un outil d’oppression idéologique ; elle tue à petit feu, dans les corps comme dans les esprits.
L’exclusion des filles, un effacement du savoir
Depuis août 2021, l’Afghanistan a plongé dans une forme extrême d’apartheid de genre. Les écoles sont fermées aux adolescentes, les programmes éducatifs féminins démantelés, les centres de santé en sous-effectif. L’une des premières victimes invisibles de cette politique est l’éducation à la santé reproductive. Pour les adolescentes, l’arrivée des premières règles se vit dans l’ignorance, la peur, la honte.
Mahsa, 15 ans, raconte que personne ne lui avait jamais expliqué ce qu’étaient les menstruations. Elle a utilisé un tissu qu’elle ne changeait que toutes les quatre heures. Résultat : infection utérine, douleurs chroniques, sentiment de saleté. Sa mère, analphabète, ignorait tout de ces questions. Elle n’avait pas transmis le savoir qu’elle n’avait pas reçu.
Zakia, 16 ans, a vu ses règles apparaître sans même connaître le mot. Quant à Noria, 14 ans, elle est restée prostrée des heures dans un jardin, incapable d’entrer chez elle, terrorisée par ce sang qu’elle ne comprenait pas.
Quand la peur contamine les corps
L’absence d’éducation se double de précarité extrême. Beaucoup de filles ne peuvent acheter des protections hygiéniques, trop coûteuses, ou périmées. Elles se rabattent sur des morceaux de tissu sales, réutilisés, mal séchés — parfois encore humides — augmentant les risques d’infections fongiques, de mycoses, d’infertilité.
Fatema, 16 ans, a gardé la même serviette hygiénique pendant 12 heures. Fawzia, 17 ans, cachait ses tissus humides sous son lit. Aysha, 14 ans, a utilisé le linge usagé de sa sœur, rongée par la honte. Son corps l’a punie d’un silence imposé.
Les médecins tirent la sonnette d’alarme. Le docteur Najm-ul-Sama Shafajo affirme que 70 % des cas d’infertilité en Afghanistan sont dus à une hygiène menstruelle déplorable. Les infections pelviennes chroniques, les kystes ovariens et les maladies inflammatoires de l’utérus sont en forte augmentation, selon plusieurs gynécologues de Kaboul.
Le poids du silence, la honte comme héritage
Mais au-delà de la douleur physique, le traumatisme psychologique est profond. Batool Haidari, psychologue universitaire, déplore « une tragédie majeure ». Pour elle, vivre ses premières règles sans explication mène à une peur du corps, à une haine de soi, à une négation de la féminité. « Sans soutien familial et scolaire, les filles sont laissées seules à l’un des moments les plus critiques de leur développement. »
Et ce silence est héréditaire. Des mères, elles aussi privées d’éducation, perpétuent l’ignorance. La parole sur les menstruations est jugée honteuse, sale, indigne. Elle est absente des écoles, des programmes radio, des espaces communautaires. C’est tout un pan de la vie des femmes qui est ainsi nié, confisqué, déshumanisé.
Des solutions simples… mais rendues impossibles
Pourtant, les solutions existent. Les professionnelles de santé, les militantes et les psychologues interrogées appellent à :
- la réouverture des écoles avec un programme d’éducation à la santé menstruelle,
- la distribution gratuite de protections hygiéniques,
- la formation des mères et des filles dans des centres communautaires ou par les médias,
- et surtout, la fin du silence culturel.
Mais ces pistes se heurtent à l’idéologie talibane, qui nie aux filles le droit à l’école, aux femmes le droit à la parole, et aux corps féminins le droit à l’autonomie.
Un sang invisible
L’Afghanistan est devenu un territoire où les règles sont un crime sans nom, un mal honteux que l’on tait, même entre sœurs. Derrière les murs, dans les cuisines, les cours d’école fermées ou les dispensaires silencieux, des millions de jeunes filles saignent dans l’ombre, avec douleur, avec solitude, parfois avec mort à la clé.
Ce que les Talibans ont volé, ce n’est pas seulement l’éducation, c’est la possibilité pour une génération de femmes de se comprendre elles-mêmes. Le sang menstruel, marqueur biologique de la vie fertile, est devenu le stigmate d’un système qui préfère l’ignorance à la dignité.
Sources :
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