Justice et oppression en Afghanistan : bilan du Rapporteur spécial de l’ONU

Rapport du Rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme en Afghanistan, Richard Bennett, présenté à la 59e session du Conseil des droits de l’homme en juin 2025. Ce document est centré sur l’accès à la justice et à la protection pour les femmes et les filles, dans un contexte de régression sans précédent sous le régime taliban.
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Une justice transformée en instrument d’oppression
Depuis le retour des Talibans au pouvoir en août 2021, l’Afghanistan vit une déconstruction systématique de tout cadre juridique protecteur des droits humains, en particulier ceux des femmes. Le Rapporteur spécial parle sans ambiguïté d’un apartheid de genre, et d’un système juridique devenu l’un des piliers de la répression.
Les Talibans ont suspendu la Constitution de 2004, mis fin à l’indépendance de la justice, et remplacé les lois de la République par une interprétation extrême et idéologisée de la charia. Dans ce système, la justice n’est plus un droit mais un privilège octroyé selon des critères politiques, religieux et de genre. Les femmes sont méthodiquement exclues de la vie publique, du secteur judiciaire et des mécanismes de plainte et de recours. Ce régime de persécutions systématiques est qualifié par l’ONU de crime contre l’humanité fondé sur le sexe.
La disparition programmée des femmes de la justice
Avant 2021, l’Afghanistan comptait des centaines de femmes juges, avocates ou membres de l’AIHRC (Commission indépendante des droits humains). Aujourd’hui, elles ont été bannies, menacées, contraintes à la clandestinité ou à l’exil. Aucune femme n’a plus le droit d’exercer la profession d’avocate ; les anciennes juges ont été remplacées par des hommes, souvent sans formation, choisis pour leur loyauté envers le régime taliban.
Les institutions de protection – tribunaux spécialisés, unités contre les violences basées sur le genre, systèmes d’aide juridique – ont été démantelées. L’accès à la justice pour les femmes est devenu pratiquement impossible, d’autant plus que le ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice impose une surveillance morale permanente, fondée sur la peur et les sanctions arbitraires.
Criminalisation des victimes et déni de recours
Le rapport détaille les nouvelles pratiques judiciaires : flagellations publiques, exécutions, accusations de zina (relations sexuelles hors mariage) visant les femmes ayant fui des mariages forcés ou subi des viols. Les femmes accusées n’ont pas de recours, sont jugées sans avocat, et condamnées sur de simples présomptions. Les avocats sont eux-mêmes harcelés, particulièrement dans les affaires sensibles ; le droit à un procès équitable est systématiquement violé.
Le décret de 2024 sur la « vertu » et le « vice » permet de punir une femme pour avoir voyagé sans mahram, pour son apparence ou sa seule présence dans un espace public. Il permet également de punir les hommes responsables de femmes jugées « non conformes ».
Des discriminations croisées, une oppression renforcée
Si toutes les femmes afghanes subissent cette violence systémique, les femmes des zones rurales, des minorités ethniques (Hazaras, Ouzbeks, Turkmènes), les femmes handicapées ou LGBTQ+, sont encore plus exposées à l’exclusion, à la violence et à l’invisibilité juridique. La notion de « justice », pour nombre de femmes interrogées, ne signifie même plus accéder à un tribunal, mais simplement vivre sans peur, être entendue, ou échapper à la violence domestique ou étatique.
Le Rapporteur note l’absence totale de mécanismes institutionnels indépendants permettant de contester une décision. Il déplore également l’absence de réponse des Talibans à ses demandes d’information, et leur refus de lui accorder un visa, malgré l’ampleur des violations.
La société civile en résistance
Face à cet effondrement, le rapport reconnaît le courage et la ténacité de nombreuses femmes défenseures des droits humains qui, malgré les menaces, continuent à documenter les abus, à soutenir juridiquement et moralement les victimes, ou à maintenir un lien avec la justice clandestine. Certaines anciennes avocates continuent à conseiller des femmes depuis l’exil ou la clandestinité, contribuant à préserver des bribes de protection.
Ce combat des femmes afghanes, leur dignité, leur résistance, est au cœur du message de Richard Bennett. Il appelle la communauté internationale à soutenir leur voix et leurs initiatives, à reconnaître les crimes commis, et à ne pas se rendre complice, par l’inaction ou l’indifférence, d’un système d’apartheid et de terreur.
Un appel à la mobilisation internationale
Le rapport ne se contente pas de dénoncer. Il appelle les États à reconnaître que le régime taliban viole le droit international, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), et à agir en conséquence. Cela inclut :
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la reconnaissance du caractère criminel du système taliban vis-à-vis des femmes,
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le soutien aux femmes défenseures des droits humains et aux avocates en exil,
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la création de voies de recours pour les victimes,
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et la réactivation de mécanismes internationaux de justice, y compris la Cour pénale internationale.
Le constat est sans appel : la justice afghane n’existe plus pour les femmes. Le droit a été dévoyé en outil de terreur. En dressant un tableau précis, factuel et accablant de la situation, le rapport de Richard Bennett réaffirme l’évidence : il ne peut y avoir de reconnaissance du régime taliban sans trahison des droits humains les plus fondamentaux. Et il ne peut y avoir de paix durable sans justice pour les femmes d’Afghanistan.
Synthèse
Rapport des Nations Unies A/HRC/59/25 (59e session du Conseil des droits de l’homme) concernant la situation des droits humains en Afghanistan, avec un accent particulier sur les violations graves commises contre les femmes et les filles depuis le retour au pouvoir des Talibans.
1. Contexte général du rapport
Le rapport a été présenté par le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme. Il s’inscrit dans le cadre de la résolution 51/20, qui demande un suivi continu de la situation en Afghanistan, en lien avec les normes internationales relatives aux droits humains.
2. Régression drastique des droits des femmes et des filles
Le rapport détaille une politique systématique de discrimination sexuelle, qualifiée de « forme d’apartheid de genre », qui structure l’ensemble du régime taliban :
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Éducation interdite : Les filles sont exclues du secondaire et de l’université.
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Interdictions professionnelles : Les femmes ne peuvent plus travailler pour les ONG, l’administration, la justice ou le secteur privé dans de nombreux cas.
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Restrictions à la liberté de mouvement : Obligation d’un mahram (tuteur masculin) pour se déplacer ; interdiction de voyager seules sur de longues distances.
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Effacement de la vie publique : Les femmes sont bannies des parcs, des hammams, des salles de sport, des salons de beauté ; plusieurs lieux publics sont fermés ou devenus inaccessibles pour elles.
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Vêtements imposés : Port obligatoire du voile intégral dans les espaces publics.
Cette série de décrets constitue une mise à l’écart complète des femmes de la société, en contradiction totale avec les conventions ratifiées par l’Afghanistan, notamment la CEDAW.
3. Violence institutionnalisée et absence d’accès à la justice
Le rapport insiste sur l’absence quasi-totale de recours pour les femmes :
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Élimination de l’ordre judiciaire antérieur : les institutions indépendantes, comme la Haute Commission des droits humains ou les tribunaux de la famille, ont été dissoutes.
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Justice religieuse opaque : Les affaires sont tranchées selon des critères religieux arbitraires, sans procédure équitable, ni représentation juridique.
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Châtiments corporels : Des cas publics de flagellation, d’amputation et d’exécutions sont rapportés, dans une volonté d’intimidation et de contrôle social.
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Victimisation des victimes : Les femmes fuyant la violence domestique ou les mariages forcés sont souvent elles-mêmes arrêtées pour « crime moral ».
4. Mariages forcés et exploitation sexuelle
Le rapport dénonce une augmentation significative des mariages précoces et forcés, aggravée par :
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L’effondrement économique, qui pousse certaines familles à « vendre » leurs filles.
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L’absence de toute autorité de régulation ou de protection.
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Des pratiques de prédation sexuelle, y compris par des responsables talibans.
Certaines femmes, emprisonnées pour « moralité », ont aussi subi des violences sexuelles en détention. Les auteurs jouissent d’une impunité totale.
5. Exclusions massives des femmes du monde du travail
Le secteur humanitaire est directement touché :
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Les interdictions d’emploi pour les femmes dans les ONG limitent l’accès des bénéficiaires femmes à l’aide humanitaire.
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Les Talibans entravent activement les efforts de la communauté internationale en matière de santé, d’éducation et de services sociaux.
En conséquence, les services de base, notamment pour les femmes enceintes, les filles, les veuves et les personnes handicapées, se détériorent gravement.
6. Résistance, protestations et répression
Malgré la répression, des groupes de femmes continuent à protester :
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Manifestations pacifiques : souvent dispersées avec violence.
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Répression ciblée : arrestations arbitraires, disparition de figures militantes, usage de la torture.
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Climat de peur : les familles des militantes sont également menacées.
Le rapport souligne le courage exceptionnel de ces femmes et appelle à une solidarité renforcée.
7. Responsabilité internationale et recommandations
Le Haut-Commissariat conclut à l’existence de violations graves et systémiques du droit international, et formule plusieurs recommandations :
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Reconnaître officiellement l’apartheid de genre comme crime contre l’humanité.
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Soutenir les femmes afghanes par des canaux sécurisés de financement, d’accueil et d’écoute.
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Ne pas reconnaître le régime des Talibans tant qu’il ne respecte pas les normes minimales des droits humains.
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Documenter les violations, soutenir les mécanismes de justice internationale, et garantir la redevabilité des auteurs.
8. Conclusion – Une société brisée par l’exclusion
Le rapport dresse le portrait d’un Afghanistan où la moitié de la population est méthodiquement effacée, non pas comme une conséquence collatérale de la guerre, mais comme le cœur même du projet politique taliban. Les Nations Unies lancent un appel urgent à la communauté internationale pour briser l’impunité, soutenir les victimes, et protéger le droit des femmes à vivre en tant qu’êtres humains à part entière.
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