Au cœur du pouvoir taliban : guerre de clans, trafics et rivalités internes

Depuis leur retour au pouvoir en août 2021, les Talibans peinent à masquer les fractures qui minent leur mouvement. Derrière la façade d’unité islamique se cachent des luttes intestines, nourries par de profondes divisions tribales, des rivalités politiques anciennes et des enjeux financiers colossaux, notamment liés au trafic de drogue. Ces tensions opposent principalement trois pôles de pouvoir : la direction idéologique de Kandahar autour du mollah Haibatullah Akhundzada, le réseau Haqqani piloté depuis Kaboul par Sirajuddin Haqqani, et en périphérie, Gulbuddin Hekmatyar, acteur historique en quête de revanche.

Le facteur tribal : Durrani, Ghilzai, Zadran

L’Afghanistan est structuré autour de puissants réseaux tribaux. Deux grandes confédérations pachtounes dominent :

  • Les Durrani, historiquement au pouvoir, concentrés dans le sud (Kandahar, Helmand).
  • Les Ghilzai, plus nombreux mais longtemps marginalisés, présents dans l’est et le centre (Kaboul, Ghazni, Nangarhar).

Cette rivalité ancienne structure les tensions au sein du mouvement taliban :

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  • Haibatullah Akhundzada, chef suprême depuis 2016, est un Noorzai, sous-clan Durrani. Reclus à Kandahar, il dirige le mouvement avec une ligne dure, refusant toute concession à la communauté internationale.
  • Sirajuddin Haqqani, chef du réseau éponyme et ministre de l’Intérieur, est un Zadran, tribu de l’Est, plus pragmatique et militarisé, proche de l’ISI pakistanais.
  • Gulbuddin Hekmatyar, de la tribu Ghilzai – Charoti, ancien rival des Talibans, cherche à s’imposer comme une figure de rassemblement alternative, critique envers l’autoritarisme d’Haibatullah.

Lutte d’influence entre Kandahar et Kaboul

Depuis la chute de Kaboul, une guerre froide oppose la direction religieuse de Kandahar et les factions plus actives de Kaboul :

  • Kandahar, bastion de la légitimité religieuse et idéologique, tente de garder le monopole des grandes décisions (éducation, droits des femmes, diplomatie).
  • Kaboul, dominée par les Haqqani et leurs alliés, contrôle les ministères de la sécurité et développe des réseaux économiques autonomes, parfois en contradiction avec la ligne dure de Kandahar.

Des purges silencieuses, des tensions entre ministères, et même des assassinats suspects révèlent un climat de méfiance et de compétition féroce. Chaque faction consolide ses soutiens tribaux et financiers, en vue d’un éventuel affrontement plus direct.

Le trafic de drogue : nerf de la guerre et ligne de fracture

Le trafic de stupéfiants est un élément central de cette guerre d’influence. Comme l’a documenté la journaliste Lynne O’Donnell, les Talibans — et particulièrement le réseau Haqqani — contrôlent aujourd’hui un véritable empire criminel transnational :

a. Héroïne et méthamphétamine

  • Le réseau Haqqani, implanté dans les provinces de Khost, Paktia et Nangarhar, a bâti sa fortune sur l’exportation d’héroïne.
  • Depuis 2021, il s’est massivement tourné vers la méthamphétamine, plus facile à produire et plus lucrative, grâce aux précurseurs importés du Pakistan et d’Iran.
  • Ces drogues sont ensuite acheminées via les réseaux criminels transnationaux vers le Moyen-Orient, l’Europe et l’Asie.

b. Le faux moratoire sur l’opium

En avril 2022, le mollah Haibatullah annonçait l’interdiction de la culture du pavot. Cette décision, loin de freiner le trafic, semble avoir servi plusieurs objectifs :

  • Faire monter les prix sur le marché international en créant une pénurie.
  • Vendre les stocks accumulés par les Talibans à un tarif élevé.
  • Favoriser la transition vers la méthamphétamine, moins visible et moins dépendante des cycles agricoles.

c. Des barons intégrés au régime

Des figures comme Bashir Noorzai, ancien seigneur de la drogue, aujourd’hui libre après un échange avec un otage américain, participent activement à cette économie parallèle. Noorzai a noué des partenariats avec la Chine dans le secteur minier et pétrolier, illustrant le flou entre trafic et économie officielle.

Une économie de guerre entre factions

Ce système mafieux accroît l’autonomie financière des Haqqani face à Kandahar. Il est au cœur de la lutte pour le pouvoir :

  • Le réseau Haqqani, fort de ses ressources, tisse des alliances, finance des réseaux de renseignement, et s’impose comme un État dans l’État.
  • La direction de Kandahar, dépourvue de ces revenus illicites, s’appuie sur une légitimité idéologique et tribale, mais voit son emprise s’effriter.
  • Hekmatyar, en embuscade, joue la carte anticorruption, critiquant les deux pôles tout en courtisant les exclus du régime.

Perspectives : vers une scission ?

À court terme, les Talibans affichent une façade d’unité. Mais :

  • Les rivalités tribales,
  • Les clivages idéologiques,
  • Et les intérêts financiers divergents,

fragilisent les fondations du régime. Une scission, une guerre interne ou l’émergence d’une nouvelle faction ne peuvent être exclus à moyen terme, surtout si la pression internationale ou la résistance intérieure s’intensifie.

En conclusion, le régime taliban n’est pas un bloc monolithique. Il est traversé par des lignes de fracture anciennes, nourries aujourd’hui par une économie criminelle tentaculaire. La véritable question n’est pas de savoir si les Talibans vont s’effondrer, mais comment, quand et sous quelle forme émergera la prochaine mutation de ce pouvoir fragmenté.



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