Afghanistan : résistances armées et marché noir — autopsie d’un chaos

Afghanistan : résistances armées et marché noir — autopsie d’un chaos

Trois ans après le retrait américain, des centaines de milliers d’armes circulent librement en Afghanistan, entre les mains des talibans, de groupes résistants et sur les réseaux clandestins. Résultat : un réarmement incontrôlé, un rapport de force bouleversé et une menace durable bien au-delà des frontières afghanes.

Des armes fantômes en circulation

Selon plusieurs enquêtes croisées de l’ONU, de la BBC et du New York Post, les talibans ont mis la main en 2021 sur plus d’un million de pièces d’équipement militaire, financées principalement par les États-Unis. Fusils d’assaut M4, M16, Humvees, dispositifs de vision nocturne, mais aussi scanners biométriques : un arsenal abandonné dans le chaos de la chute de Kaboul.

Or, selon des sources citées par la BBC, près de la moitié de ces armes sont aujourd’hui “introuvables”. En réunion à huis clos avec l’ONU à Doha, les talibans eux-mêmes ont reconnu la perte de contrôle sur plusieurs centaines de milliers d’unités.

Certaines de ces armes sont désormais visibles sur des marchés clandestins, notamment à Kandahar, où elles circulent via WhatsApp entre commandants locaux, trafiquants et acheteurs fortunés. L’ONU confirme que des groupes affiliés à Al-Qaïda, au TTP, ou à d’autres mouvements djihadistes d’Asie centrale ont réussi à se procurer une partie de ces équipements via le marché noir.

Les talibans, fournisseurs malgré eux de l’EI ?

Officiellement, les talibans combattent l’État islamique – Province du Khorasan (EI-K) avec acharnement. Les deux groupes s’opposent frontalement depuis 2015 dans une guerre d’usure qui ensanglante l’est du pays. Sur le plan idéologique, les combattants de l’EI considèrent les talibans comme des traîtres islamistes. Sur le terrain, les affrontements sont constants.

Et pourtant, des armes américaines ont bien atterri entre les mains de l’EI-K — mais pas par complicité. Il s’agit d’un effet collatéral du chaos : des armes saisies par les talibans, puis revendues, détournées ou volées, finissent par être récupérées sur le marché noir. L’EI ne les achète pas aux talibans directement, mais en profite, comme d’autres groupes, des failles de sécurité, de la corruption et de la fragmentation du contrôle militaire.

Résistance armée : le recyclage de la guerre

À l’autre bout du spectre, les forces de résistance afghanes — notamment le Front national de résistance (NRF) dirigé par Ahmad Massoud, et le Front de la liberté de l’Afghanistan — ont, eux aussi, réussi à mettre la main sur des armes américaines.

Ces groupes, actifs dans des régions montagneuses comme le Panshir ou Baghlan, ont récupéré des équipements lors de raids sur des dépôts talibans, de batailles locales, ou via des filières d’achat illégales. Kalachnikovs soviétiques, armes artisanales, mais aussi M4 et M16 américains composent aujourd’hui leur arsenal hétéroclite.

Des rapports du Centre international de lutte contre le terrorisme (ICCT) et du SIGAR (inspecteur général américain pour la reconstruction) confirment que des fragments de cet arsenal abandonné ont été recyclés par l’opposition afghane. Ces armes n’inversent pas le rapport de force, mais permettent aux résistants de mener des actions de guérilla plus efficaces.

Le désengagement militaire occidental a laissé derrière lui bien plus qu’un vide politique. Il a injecté des milliards de dollars d’armements dans un écosystème instable, où se côtoient talibans, terroristes, résistants et mafias d’armement. Si les talibans s’efforcent de centraliser leur contrôle, les pratiques locales — dons d’armes entre commandants, ventes sous le manteau, captures sur le champ de bataille — rendent l’effort illusoire.

Pendant ce temps, les États-Unis affirment que la majorité de leurs équipements ont été désactivés. Mais les talibans défilent encore avec ces armes dans leurs vidéos de propagande, et les groupes rivaux se renforcent avec ce qui traîne.

Les armes parlent toujours

L’Afghanistan d’aujourd’hui n’est pas seulement dirigé par les talibans. Il est saturé d’armes. Des armes américaines, égarées dans la débâcle, recyclées dans la guerre, vendues dans l’ombre ou capturées dans le sang. Elles nourrissent à la fois la répression, la résistance et le terrorisme. Loin d’être un lointain accident stratégique, c’est un legs durable, dont les conséquences pourraient encore se faire sentir pendant des années — dans toute la région.



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