Afghanistan : Armes perdues, pouvoir renforcé — l’héritage explosif du retrait américain
Afghanistan : Armes perdues, pouvoir renforcé — l’héritage explosif du retrait américain
Trois ans après le retrait chaotique des forces américaines, l’Afghanistan est devenu l’épicentre d’un inquiétant trafic d’armes, d’une gouvernance autoritaire et d’une résurgence terroriste. Une série d’enquêtes — de l’ONU, de la BBC et du New York Post — révèle un tableau aussi accablant que dérangeant.
Des stocks d’armes américains dans la nature
Le dernier volet du scandale est signé BBC : près d’un demi-million d’armes laissées par les États-Unis sont aujourd’hui introuvables. Mieux (ou pire) encore : elles sont revendues, selon plusieurs sources concordantes, à des groupes affiliés à Al-Qaïda, au Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP) ou au Mouvement islamique du Turkestan oriental. L’information, que les talibans ont discrètement reconnue devant une commission de l’ONU à Doha, confirme l’effondrement du contrôle sur les équipements de guerre.
À Kaboul, Kandahar ou sur des groupes WhatsApp cryptés, les armes circulent. Humvees, M4, M16, lunettes thermiques — tout y passe. Certains commandants locaux, bénéficiant d’une relative autonomie, auraient été autorisés à conserver jusqu’à 20 % des armements capturés, selon un rapport de l’ONU de 2023. Une forme de récompense qui alimente directement un marché noir incontrôlé.
Des vidéos de propagande aux marchés clandestins
La BBC a identifié l’existence, pendant un an après la chute de Kaboul, d’un marché aux armes ouvert à Kandahar, aujourd’hui déplacé sur des canaux plus discrets. Des négociants y échangent en toute impunité des armes américaines, neuves ou usagées. Si les talibans affirment officiellement avoir sécurisé ces arsenaux, les témoignages sur le terrain racontent une autre réalité.
Le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, se félicite régulièrement, dans les médias d’État afghans, de la « prise de guerre » issue des stocks américains. Ces équipements sont brandis comme des trophées dans des vidéos de propagande, notamment sur l’ancienne base aérienne de Bagram.
Mais malgré cette mise en scène, une grande partie des équipements lourds — hélicoptères Black Hawk, véhicules blindés MRAP — reste inutilisée, faute de techniciens formés. Ce sont les armes légères et les Humvees qui font désormais le cœur de l’arsenal taliban, utilisé aussi bien contre les groupes rivaux que pour écraser toute dissidence.
Une situation déjà dénoncée dès 2022
L’article du New York Post avait déjà lancé l’alerte : selon les chiffres du Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR), plus de 7 milliards de dollars de matériel militaire ont été abandonnés. Des scanners biométriques sont même tombés aux mains des talibans, qui les utiliseraient pour traquer d’anciens collaborateurs afghans des États-Unis.
Le rapport pointait du doigt l’impréparation de l’administration Biden, incapable de désactiver ou d’évacuer ces équipements avant le retrait. L’ancien président Donald Trump, de retour sur la scène politique, s’est emparé de l’affaire pour dénoncer une « capitulation » et promettre — sans précision — de récupérer ces armes.
Mais pour John Sopko, ex-directeur du SIGAR, l’affaire est entendue : « Le coût de récupération dépasserait la valeur réelle. » Autrement dit, ces armes sont perdues pour de bon.
Talibans : entre réarmement et légitimation
Loin d’être une armée de fortune, les talibans ont aujourd’hui constitué une force militaire redoutable, mieux équipée que leurs ennemis régionaux, comme le Front national de résistance ou les djihadistes de l’État islamique-Khorasan (ISKP). Avec la bénédiction implicite de leur hiérarchie, des commandants locaux se livrent à un clientélisme armé, consolidant ainsi leur autorité tribale.
La situation met en lumière un échec stratégique : non seulement les talibans ont récupéré les armes de leurs ennemis, mais ils les utilisent pour imposer un ordre autoritaire, contre lequel la communauté internationale reste largement passive.
Un désengagement aux conséquences durables
L’Afghanistan est devenu une zone grise de l’armement mondial. Si le pays ne figure pas (encore) dans les classements des plus gros exportateurs d’armes, il en est sans doute aujourd’hui l’un des plus grands bazars clandestins. Et chaque arme qui s’y vend pourrait, demain, se retrouver entre les mains d’un groupe terroriste dans la région… ou ailleurs.
L’abandon de ces équipements n’est pas qu’un scandale logistique. C’est un legs toxique, qui alimente la terreur, la répression et l’instabilité bien au-delà des frontières afghanes.
sources :
https://www.bbc.com/news/articles/cr78nkg548lo https://documents.un.org/doc/undoc/gen/n23/125/36/pdf/n2312536.pdf https://nypost.com/2024/09/09/us-news/biden-left-taliban-7b-in-weapons-fingerprint-scanners-used-to-hunt-us-allies-damning-report/?utm_source=twitter&utm_medium=social&utm_campaign=nypost
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