Afghanistan : de quelles forces militaires disposent les Talibans ?
Après avoir pris le pouvoir en 2021, dans le sillage du retrait des forces occidentales, les Talibans ont récupéré une part significative des ressources militaires disponibles sur le territoire.

Des Talibans célèbrent le troisième anniversaire de la prise de contrôle de l’Afghanistan par le groupe armé islamiste, à Herat, le 14 août 2024. SIPA / © Mustafa Noori/Middle East Images
Les images étaient frappantes. Le dimanche 15 août 2021, Kaboul tombe en seulement quelques heures, scellant la victoire totale des combattants islamistes près de deux décennies après leur éviction. Cette progression éclair, rendue possible par le départ des troupes américaines, témoigne également d’une détermination implacable. Ce jour-là, en prenant la capitale afghane, le mouvement islamique ne s’est pas seulement emparé du pouvoir, il a aussi mis la main sur une partie des ressources militaires de l’armée afghane : des tonnes d’équipement, d’armement, de véhicules en grande partie fournis par les États-Unis.
Mais ce n’est pas tout, avant leur départ à la hâte, les Américains ont laissé une part importante de leur arsenal de guerre, car rapatrier le matériel était trop onéreux. « C’est absolument colossal. C’est une aberration, les forces américaines auraient dû tout détruire », juge Pierre Martinet, ancien agent de la DGSE. Pour preuve, des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des combattants Talibans posant devant des hélicoptères Black Hawk, brandissant des fusils M4 et M16, ou encore des armes de précision M24, et circulant à bord de véhicules blindés armés de lance-roquettes. La prise des capitales provinciales, souvent abandonnées précipitamment par les troupes régulières afghanes, constitue la source principale de ce butin militaire.
Le blog spécialisé Oryxspioenkop.com a recensé les équipements apparaissant dans les images publiées par les Talibans entre juin et août 2021 : 2 082 blindés légers de type Humvee, une cinquantaine de pièces d’artillerie lourde, 60 chars légers, 12 chars lourds, ainsi qu’au moins deux avions et plus d’une vingtaine d’hélicoptères. Certains de ces aéronefs sont désormais pilotés par d’anciens militaires afghans ayant été formés par les Occidentaux. « Des hommes ont acquis des compétences de vol, car ce sont d’anciens soldats de l’armée afghane. Ils ont depuis rejoint les combattants islamiques », explique Pierre Martinet, auteur de Pris en otage, un agent du Service action raconte.
« Les forces américaines auraient dû tout détruire »
Pendant deux décennies, les États-Unis ont investi des milliards de dollars dans la formation et la modernisation de l’armée afghane avec une aide estimée à 83 milliards de dollars. Les forces spéciales afghanes, par exemple, étaient équipées de casques tactiques, de lunettes de vision nocturne et de gilets balistiques similaires à ceux des armées occidentales. Leur armement comprenait des fusils d’assaut américains et les dernières versions de Kalachnikovs russes. Ces équipements modernes s’ajoutent au matériel hérité de l’époque soviétique, comme les armes automatiques, les lance-missiles antichars ou les engins explosifs improvisés (EEI). « Ce sont essentiellement des armes de guérilla classique, des lance-roquettes, armes anti-char et un usage élargi des EEI », précise David Rigoulet-Roze, chercheur à l’Iris et rédacteur en chef d’Orients Stratégiques.
Une milice armée de 80 000 hommes
Aujourd’hui, selon Qari Fasihuddin, chef d’état-major de l’armée de l’Émirat islamique, les Talibans disposent de plus de 80 000 combattants aguerris. « Pendant près de 20 ans, ils ont affronté les États-Unis et d’autres pays comme la France », rappelle Pierre Martinet, notant que 90 militaires français ont perdu la vie en Afghanistan entre 2004 et 2013. « Les Talibans maîtrisent parfaitement leur terrain et emploient des méthodes de combat non conventionnelles, notamment grâce aux EEI. Désormais, ils bénéficient aussi des compétences acquises par l’armée afghane. » Le mouvement ambitionne d’étendre ses forces à 150 000 hommes dans les années à venir, en recrutant parmi les anciens militaires afghans et les civils. « Les Occidentaux avaient formé de nombreux instructeurs au sein de l’armée afghane. Aujourd’hui, certains d’entre eux forment probablement des Talibans dans les camps d’entraînement laissés intacts », ajoute l’ancien agent du renseignement.
Pour financer leurs activités, les Talibans se reposaient jusqu’à récemment sur le trafic de drogue. Selon les Nations unies, l’Afghanistan représentait autrefois plus de 80 % de la production mondiale d’opium, générant jusqu’à 2,5 milliards de dollars par an. Toutefois, après l’interdiction de sa culture en avril 2022, la production a chuté de 95 % en un an, rapporte l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC). Face à cette baisse, le gouvernement islamiste a renforcé la taxation, collectant plus de 1,5 milliard de dollars entre décembre 2021 et octobre 2022, selon la Banque mondiale. Les douanes sont ainsi devenues une source majeure de revenus. « Maintenant que les Talibans contrôlent entièrement les postes-frontières et les administrations, ils peuvent prélever divers types de taxes, notamment sur les importations », observe Ali Houssaini, journaliste afghan à la BBC.
En parallèle, le régime perçoit des contributions religieuses telles que l’ashar et la zakat, des taxes déjà utilisées pour financer leur insurrection. Paradoxalement, les Talibans veulent également développer le tourisme pour diversifier leurs revenus, alors même qu’ils ont détruit des pans du patrimoine afghan tels que les statues géantes de bouddhas à Bamiyan en 2001. « Ils cherchent à multiplier les sources de financement qui leur font défaut », commente David Rigoulet-Roze, spécialisé dans la région du Moyen-Orient, rappelant aussi que 7 000 touristes auraient visité l’Afghanistan en 2024.
Enfin, le régime compte sur des « partenaires par défaut » comme la Chine, sur le plan économique, et la Russie, pour la sécurité en lien avec le terrorisme. Par ailleurs, à leur arrivée en 2021, les Talibans s’étaient engagés dans la lutte contre Daesh, dont la branche afghane, l’État islamique au Khorassan, reste active. Ces relations minimales satisfont de nombreux acteurs internationaux. « Cela arrange un peu tout le monde : les Russes, les Chinois et les Occidentaux », conclut David Rigoulet-Roze.
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