Une autre voie pour la liberté de l’Afghanistan : investir dans la résistance

« Les mots ne suffisent pas. Les dirigeants doivent aller au-delà des déclarations, inclure les femmes afghanes dans la prise de décision et aider à faire de l’apartheid de genre un crime » Malala Yousafzai, Prix Nobel de la Paix
Quatre ans après la chute de Kaboul, l’Afghanistan vit sous un régime qui cumule l’apartheid de genre, la répression politique et l’hébergement actif du terrorisme transnational. Les témoignages convergent : les talibans ne céderont sur rien. Aucune réforme, aucun compromis, aucun adoucissement ne se profile. Face à cette impasse, la question s’impose : quelle alternative existe-t-il, sinon la résistance militaire ?
La voie militaire, une nécessité plus qu’un choix
Le général Sami Sadat, ancien commandant des forces afghanes et désormais chef du Front uni afghan, affirme que la seule solution viable est une campagne militaire lancée de l’intérieur : attaques conventionnelles, guérilla ciblée, neutralisation des chefs talibans. Selon lui, l’Afghanistan ne pourra être libéré que par les Afghans eux-mêmes, sans troupes internationales sur le terrain. Mais cela suppose une aide matérielle et financière : l’accès aux milliards de dollars gelés, la reconnaissance d’une opposition légitime et le soutien logistique de pays alliés.
Le général Yasin Zia, de son côté, insiste sur une leçon essentielle : la reconquête militaire ne peut être dissociée d’une vision politique claire. En 1996, l’Alliance du Nord avait la capacité militaire de reprendre Kaboul, mais refusa d’avancer sans structures administratives solides et sans projet de gouvernance crédible. La même erreur ne doit pas se reproduire. L’Afghanistan ne peut pas se contenter de chasser les talibans pour retomber ensuite dans le chaos : l’action militaire doit s’accompagner d’une préparation politique sérieuse, capable de reconstruire des institutions et de garantir l’unité nationale.
Le Front pour la liberté en Afghanistan a déclaré avoir mené au moins 88 attaques contre des positions talibanes au cours de l’année écoulée, affirmant avoir tué 225 combattants talibans et blessé 147 autres.
Une résistance qui existe déjà
Contrairement aux idées reçues, la résistance armée n’est pas un projet hypothétique : elle existe déjà. Dans 31 provinces, des fronts actifs mènent des opérations, souvent coordonnées, malgré la disproportion des moyens. Ces combattants sont issus des anciennes forces de sécurité, mais aussi de nouvelles générations de jeunes hommes et femmes qui refusent la soumission. Contrairement à l’image véhiculée en Occident, les forces militaires afghanes ne se sont pas éteintes avec la République. Elles sont bien vivantes, enracinées dans leur territoire, et capables de tenir le pays. Mais à une condition : qu’on ne cherche pas à leur imposer une guerre « clé en main » pensée à Washington, Londres ou Bruxelles.
Car l’Afghanistan n’a pas besoin d’une guerre technologique, saturée de drones et d’algorithmes, qui a échoué pendant vingt ans à neutraliser les talibans. Ce dont il a besoin, ce sont des moyens adaptés au terrain : armement léger, équipements de communication sûrs, réseaux logistiques, approvisionnement en vivres et soins pour les zones libérées. Ce sont ces besoins concrets qu’il faut écouter, au lieu de projeter sur les combattants afghans des modèles occidentaux inadaptés.
Les femmes, premières bénéficiaires et actrices du changement
Il faut le dire nettement : les femmes seront les premières bénéficiaires d’un Afghanistan libéré : elles en sont déjà des actrices décisives. Depuis 2021, des réseaux féminins structurent la résistance civile, documentent les crimes, maintiennent la question afghane dans l’agenda international et, dans certains cas, assurent des fonctions de liaison, de soins et de logistique au profit des fronts armés.
Parmi ces réseaux, on peut citer des collectifs de Kaboul et d’Herat qui organisent des manifestations malgré les arrestations ; des groupes qui rassemblent des preuves sur les disparitions forcées et les mariages imposés ; des réseaux d’écoles clandestines pour les filles ; et des militantes en exil qui siègent déjà à des conférences internationales, au Parlement européen ou à l’ONU. Ces actrices ne constituent pas un simple soutien moral : elles incarnent une contre-gouvernance et une légitimité politique que les talibans ne pourront jamais obtenir.
Mais pour passer de l’héroïsme dispersé à une force politique structurante, elles ont besoin de financements, de relais diplomatiques, de sécurité numérique, de logistique, et d’un accès garanti aux instances internationales. Sans elles, aucune alternative politique crédible ne pourra émerger. Avec elles, la résistance militaire trouvera son prolongement civil et politique.
La question cruciale des fonds gelés
Depuis 2021, près de 7 milliards de dollars appartenant à la Banque centrale d’Afghanistan sont gelés aux États-Unis. Ces fonds appartiennent au peuple afghan. Les maintenir sous séquestre, au nom du risque de capture par les talibans, revient aujourd’hui à priver la résistance d’un levier stratégique — tout en condamnant la population à une dépendance humanitaire chronique.
Ces milliards pourraient pourtant transformer la dynamique : financer des hôpitaux de campagne, approvisionner les zones libérées, soutenir les écoles clandestines, équiper les combattants avec des moyens adaptés, protéger les minorités et accueillir les réfugiés expulsés d’Iran et du Pakistan. À l’échelle internationale, ils pourraient aussi doter les réseaux féminins d’un budget de plaidoyer, leur permettant d’incarner une alternative politique crédible et visible.
Les leçons de l’échec et la nécessité de réessayer
Il est vrai que la communauté internationale, et particulièrement les États-Unis, ont déjà versé des dizaines de milliards de dollars à l’Afghanistan entre 2001 et 2021. Une grande partie de ces sommes a nourri la corruption, l’enrichissement personnel de certaines élites et la prolifération d’ONG-clientèles, plutôt que la consolidation de l’État. Mais ce constat, aussi amer soit-il, ne doit pas conduire au renoncement. L’histoire de l’humanité est faite d’échecs renouvelés, de réussites durables et de demi-succès. La question est de savoir si l’on se donne la chance de recommencer autrement, avec plus de lucidité et de rigueur.
Les Afghans, eux, ont appris à leurs dépens la valeur de ce qu’ils ont perdu. Cette expérience douloureuse peut les inciter à accepter aujourd’hui des mécanismes stricts de contrôle et de transparence, condition indispensable pour obtenir un nouveau soutien. L’enjeu n’est pas de répéter les erreurs de la République, mais d’inventer un cadre où chaque dollar sert directement la libération, la protection et la reconstruction.
Une responsabilité internationale
Le dilemme dépasse les frontières. Laisser l’Afghanistan aux talibans, c’est nourrir deux crises : celle des réfugiés — accélérée par les expulsions d’Iran et du Pakistan —, et celle du terrorisme, l’Afghanistan redevenant un sanctuaire pour Al-Qaïda, l’EI et les groupes d’Asie centrale. Renoncer à soutenir la résistance, c’est accepter aujourd’hui les risques de demain.
Le débat n’oppose pas guerre et paix, mais deux réalités : la guerre unilatérale des talibans contre leur peuple, et la guerre assumée d’une résistance pour la liberté. La première se déroule déjà ; la seconde, risquée, est la seule qui ouvre une perspective.
Ne pas abandonner la flamme
L’histoire afghane montre que les régimes fanatiques tombent. Mais elle montre aussi que nulle victoire ne survient sans lutte sur le terrain. Des femmes et des hommes se battent — les unes avec la parole, la plume, la logistique et la rue, les autres avec les armes et la ruse. La vraie question est simple : les laissera-t-on seuls ? Ou reconnaîtra-t-on enfin que leur résistance — militaire, civile, féminine et politique — est la seule voie crédible vers un Afghanistan libre ?
Voici les sources principales et fiables sur lesquelles s’appuie l’éditorial :
Général Sami Sadat
Tribune : It’s time to take Afghanistan back from the Taliban – The Spectator, 15 août 2025
🔗 spectator.co.uk/article/its-time-to-take-afghanistan-back-from-the-talibanGénéral Yasin Zia
Éditorial : Quatrième anniversaire de la chute de la République et perspectives de la lutte pour la liberté de l’Afghanistan – Afghanistan International, 15 août 2025
🔗 Quatrième anniversaire de la chute de la République et perspectives de la lutte pour la liberté de l’AfghanistanRapports de l’ONU et de l’UNAMA
UNAMA, Reports on the human rights situation in Afghanistan (2021–2025)
🔗 undocs.orgDépartement d’État américain
Country Reports on Terrorism 2024 et Human Rights Reports 2024 sur l’Afghanistan
🔗 state.govSIGAR (Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction)
Quarterly Reports to the United States Congress (2021–2025)
🔗 sigar.milRapports d’ONG et d’organisations spécialisées
Human Rights Watch, Afghanistan: Events of 2024
Amnesty International, Afghanistan 2024
International Crisis Group, Afghanistan Reports
Ces sources permettent de :
documenter la situation humanitaire et sécuritaire actuelle ;
établir les liens des talibans avec des groupes terroristes internationaux ;
analyser le rôle et la survie des forces de résistance ;
appuyer les revendications sur l’utilisation des fonds gelés de la Banque centrale d’Afghanistan.
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