Quand les billets afghans sont imprimés… en France

L’un des aspects méconnus — mais révélateurs — de la souveraineté limitée de l’Afghanistan est la provenance de ses billets de banque. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’Afghani, monnaie nationale, n’est pas produit localement. Il est, depuis plusieurs années, imprimé en France, dans les ateliers de la société Oberthur Fiduciaire, spécialiste de la fabrication sécurisée de devises.

Une délégation de souveraineté monétaire

L’externalisation de l’impression des billets afghans n’est pas un simple choix logistique. Elle illustre une dépendance structurelle de la Da Afghanistan Bank (DAB), la banque centrale afghane, vis-à-vis de pays étrangers pour garantir la continuité de son système fiduciaire. Cette dépendance s’est révélée critique après la chute de Kaboul en août 2021 : plusieurs cargaisons de billets déjà imprimés ont été bloquées à l’étranger, notamment en Pologne, en Allemagne… et, selon certaines sources, en France, bien que Paris n’ait jamais confirmé publiquement sa position.

La production de ces billets, commandée avant le retour des Talibans au pouvoir, représentait une valeur faciale importante. Un contrat d’impression en cours portait notamment sur un montant total de 10 milliards d’afghanis, soit environ 129,9 millions d’euros.

Contrôle, image et pouvoir

Cette situation soulève une contradiction : les Talibans, qui prétendent incarner la souveraineté islamique et nationale de l’Afghanistan, ne peuvent pas produire leur propre monnaie sans l’aide technique et industrielle de pays occidentaux qu’ils dénoncent par ailleurs. Le maintien en circulation d’une monnaie conçue, imprimée et partiellement contrôlée à l’étranger constitue un paradoxe frappant pour un régime qui tente de projeter l’image d’un Émirat autonome et anti-occidental.

Par ailleurs, le fait que la monnaie nationale soit physiquement produite en Europe a donné à ces pays un levier discret mais stratégique : suspendre les livraisons permet de restreindre la masse monétaire disponible, d’accentuer la pénurie de liquidités et d’augmenter la pression économique sur un régime dont la légitimité internationale est contestée.

Des billets absents, une crise visible

Depuis 2021, l’absence de nouveaux billets aggrave la crise économique intérieure. Le système bancaire est asphyxié, les petites coupures sont rares, et les billets en circulation sont usés au point d’être parfois refusés dans les transactions. Les Talibans, bien qu’ils contrôlent le territoire, ne disposent pas des moyens techniques ou diplomatiques pour renouveler la monnaie nationale, ce qui limite leur capacité à gouverner efficacement l’économie.

🎯 Le paradoxe français

Malgré les affirmations répétées des puissances occidentales — à commencer par la France — selon lesquelles elles n’auraient plus aucun levier de pression sur les Talibans, la réalité dit tout autre chose. La France, en autorisant sur son sol l’impression de billets destinés à l’Afghanistan, dispose bel et bien d’un moyen de pression discret mais décisif. Car dans un pays sans ressources institutionnelles locales, contrôler le flux monétaire revient à contrôler une partie du destin économique.

C’est ce silence stratégique, cette « influence qui ne dit pas son nom », qui mérite aujourd’hui d’être pleinement interrogée.

Lire aussi :

AIDE FINANCIÈRE AMÉRICAINE AUX TALIBAN VIA LES ANNEXES SECRÈTES DE L’ACCORD DE DOHA : LES BILLETS DE BANQUE AFGHANIS
https://lalettrehebdo.com/aide-financiere-americaine-aux-taliban-via-les-annexes-secretes-de-laccord-de-doha-les-billets-de-banque-afghanis/


📚 Bibliographie



Abonnez vous à La Lettre


Vous pouvez vous désabonner à tout moment

Merci !

Vous recevrez régulièrement notre newsletter

Comments are closed