La mobilisation numérique des Talibans : 700 « plumes émiraties » pour conquérir les réseaux

Au cours des deux dernières années, les Talibans ont recruté des centaines d’individus pour promouvoir leur vision de l’islam et de la politique sur les réseaux sociaux. D’après les informations recueillies par le journal 8 Sobh,

ces agents de propagande numérique sont désignés par le titre de « plumes combattantes de l’Émirat » (qalamwal-e-mobarez-e-emarati). En échange de leurs services, ils reçoivent un salaire mensuel et bénéficient de formations tactiques prodiguées par les Talibans.

La majorité de ces utilisateurs opèrent sous des pseudonymes féminins, souvent accompagnés de noms de famille comme Panjshiri, Badakhshani, Ghaznavi, Mujahid ou Afghani. Les directions provinciales de l’Information et de la Culture sont chargées de transmettre aux “plumes” les instructions officielles du régime taliban.

Si le nombre exact d’agents de cette propagande n’est pas connu, des sources proches estiment qu’au moins 700 personnes seraient actives dans ce réseau. Il leur a été récemment proposé une formation à Kaboul, organisée en groupes de 100 personnes.

La stratégie des Talibans : une propagande systématique

À l’instar du précédent gouvernement républicain qui avait employé des propagandistes surnommés les « Facebook-tchélonakis », les Talibans cherchent à créer une illusion de soutien populaire en ligne. Ils exploitent notamment la précarité et le chômage des jeunes pour les recruter contre rémunération, les chargeant de publier des louanges à l’égard du régime sur Facebook, X (Twitter) et YouTube.

Chaque membre de cette équipe reçoit un salaire mensuel variant entre 5 000 et 20 000 afghanis, en fonction du nombre de comptes actifs et de leur niveau d’engagement. Lors d’événements spécifiques, ils relaient en masse des hashtags créés par le bureau du porte-parole des Talibans.

En temps normal, ils rédigent des articles, des commentaires, et partagent des informations sur les “réalisations” du régime. Ils sont directement alimentés en contenus par des groupes WhatsApp gérés par les porte-paroles et les directeurs provinciaux de la culture.

Un réseau hiérarchisé, structuré en pyramide

Chaque province dispose de son propre groupe WhatsApp, composé du directeur local de l’Information et de la Culture et de vingt “plumes” affiliées. Les instructions sont transmises depuis Kaboul, où se situe le sommet de la pyramide. Ces contenus sont ensuite diffusés sur les réseaux sociaux locaux selon une stratégie coordonnée.

Des dizaines de comptes Facebook et X falsifiés ont été identifiés par 8 Sobh, portant des noms féminins et des patronymes du nord du pays. Par souci de ne pas amplifier leur visibilité, les identifiants de ces comptes ne sont pas publiés.

Cette instrumentalisation cynique du genre est d’autant plus choquante que les Talibans, depuis leur retour au pouvoir, ont éradiqué la présence des femmes de tous les espaces publics, les excluant de l’éducation, du travail et de la vie sociale.

Héritage de la République et continuité de la propagande

Ce type de stratégie n’est pas une nouveauté : sous le gouvernement de l’ex-président Ashraf Ghani, des équipes similaires avaient été mises en place par le Conseil national de sécurité, dirigé à l’époque par Mohammad Hanif Atmar. Ces « Facebook-tchélonakis », opérant avec de faux comptes, étaient rémunérés pour défendre la présidence Ghani, insulter les opposants, et exagérer les prétendues réussites de l’administration.

Mais depuis la chute de la République, ces anciens propagandistes sont quasiment absents des réseaux. Les Talibans ont récupéré cette machinerie de propagande, l’ont structurée dans les 34 provinces, et l’ont mise au service de leur régime.

Désinformation et contrôle de la narration

Grâce à leur accès généralisé à Internet, les Talibans exploitent les réseaux sociaux pour diffuser des informations biaisées, voire mensongères, et pour consolider leur pouvoir. Déjà lors de la guerre contre le gouvernement précédent, cette propagande numérique avait affaibli le moral des forces de sécurité. Aujourd’hui encore, elle sert à légitimer leur régime et à projeter une image de stabilité.

Malgré quelques restrictions imposées par Facebook, comme la fermeture des comptes des médias étatisés contrôlés par les Talibans (Radio-Télévision nationale, agence Bakhtar), la plateforme X (anciennement Twitter) n’a pas pris de mesures concrètes. Plusieurs campagnes ont bien été lancées pour appeler à restreindre l’accès des Talibans à X, mais aucune action significative n’a été entreprise.

 

 



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