Kandahar, carrefour des ambitions talibanes et du retour d’Al-Qaïda
Par la rédaction — 3 mai 2025
À Kandahar, le cœur du pouvoir taliban bat plus fort que jamais. En l’espace de quelques jours, la ville est redevenue le centre stratégique d’une double manœuvre aux implications majeures : d’un côté, une réorganisation sécuritaire d’ampleur décidée par le chef suprême des talibans ; de l’autre, la réapparition discrète mais déterminée du haut commandement d’Al-Qaïda sur le sol afghan. Deux dynamiques étroitement liées qui dessinent les contours d’un avenir lourd de menaces.
Une refonte sécuritaire précipitée par l’urgence
Le 27 avril dernier, Cheikh Hibatullah Akhundzada a convoqué à Kandahar une réunion de crise rassemblant les piliers de l’appareil sécuritaire de l’Émirat islamique. Le mollah Fazel Akhund, adjoint au ministère de la Défense, le mollah Taj Mir Jawad, figure centrale du renseignement, ou encore Sadr Ibrahim du ministère de l’Intérieur étaient présents, aux côtés des responsables provinciaux et de la police.
L’ambition affichée était claire : repenser l’organisation des forces de sécurité dans un contexte de pressions budgétaires et de méfiance grandissante au sein de la population. En toile de fond, la multiplication des incidents armés et la résurgence de poches de résistance politique, notamment dans les zones urbaines. Parmi les mesures annoncées, une réaffectation massive des effectifs entre les villes et les campagnes, une fusion des commandements de police et de renseignement, et une réduction brutale des effectifs. En clair, une volonté de faire plus avec moins — au risque de désorganiser les forces sur le terrain.
Une arrivée coordonnée au sommet d’Al-Qaïda
Mais le plus inquiétant ne venait peut-être pas des annonces de réforme. Deux jours plus tard, le 29 avril, trois figures de premier plan du réseau Al-Qaïda faisaient leur entrée en Afghanistan par la province de Nimruz. Passés par l’Iran, ces hauts responsables ont rallié Kandahar et pris leurs quartiers dans un lieu hautement symbolique : l’ancienne résidence du mollah Omar, fondateur du mouvement taliban.
Parmi eux, Abu Muawiyah Sattam Al-Dimashqi, formateur militaire d’origine syrienne, Abdula Fattah Abu Hamza, coordinateur du renseignement et des flux financiers, et Qari Gulbuddin Abdul Rahim, responsable de la coordination régionale en Afghanistan. Leur présence à Kandahar ne tient pas du hasard. Elle s’inscrit dans un plan beaucoup plus vaste de réactivation opérationnelle du réseau sur le territoire afghan.
Vers une nouvelle architecture du djihad international
Selon un rapport de renseignement daté du 1er mai, cette visite marque le coup d’envoi d’une nouvelle feuille de route stratégique d’Al-Qaïda. Il s’agit notamment de transférer des combattants depuis la Syrie, de développer des camps d’entraînement, de structurer une nouvelle hiérarchie de commandement et d’établir des bases résidentielles protégées dans plusieurs provinces, notamment Helmand, Farah, Ghazni, Nangarhar, Kunduz et le Badakhshan.
Le but est clair : redonner à l’Afghanistan sa fonction de sanctuaire opérationnel, à l’image de ce qu’il représentait avant 2001. L’ambition est aussi symbolique que pratique. Kandahar, ville-mère du pouvoir taliban, redevient l’épicentre d’un projet transnational assumé.
Une alliance organique entre talibans et Al-Qaïda
Les liens entre les talibans et Al-Qaïda n’ont jamais été réellement rompus. Mais selon plusieurs sources concordantes, ils se sont désormais renforcés à un niveau inédit. Des personnalités du réseau djihadiste auraient intégré discrètement des postes au sein de l’administration de l’Émirat islamique. Les structures de renseignement, les conseils religieux et les circuits financiers seraient aujourd’hui en partie influencés — voire contrôlés — par des membres affiliés à Al-Qaïda.
Les rencontres prévues entre la délégation venue de Syrie et les plus hauts responsables talibans, dont le cheikh Hibatullah lui-même, confirment une convergence d’intérêts stratégiques. Cette coopération remet en cause les engagements pris par les talibans dans le cadre des accords de Doha, notamment la promesse de rompre avec les groupes terroristes étrangers.
Un scénario inquiétant pour la sécurité internationale
L’alliance ainsi renouvelée entre les talibans et Al-Qaïda, dans un contexte de fragilité sécuritaire interne, représente un défi majeur pour la stabilité régionale et mondiale. La restructuration précipitée des forces de sécurité pourrait créer des brèches exploitables par Daech-K et d’autres factions rivales. En parallèle, la reconstitution d’un réseau terroriste global, soutenu discrètement par les structures de l’Émirat islamique, redonne à l’Afghanistan son rôle de plateforme du djihad international.
Alors que le monde détourne peu à peu les yeux du pays, Kandahar envoie un signal d’alerte clair. Ce qui s’y joue aujourd’hui dépasse largement le cadre local : il s’agit du possible retour d’un axe taliban-Al-Qaïda, plus pragmatique, plus discret, mais potentiellement plus dangereux encore qu’il ne l’était par le passé.
Comments are closed