Rapport du SIGAR – 30 juillet 2025

Rapport trimestriel 30 juillet 2025
L’héritage oublié d’une aide américaine pas si coûteuse
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Le 30 juillet 2025, le Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction (SIGAR) a publié son 68e et dernier rapport trimestriel au Congrès américain. Ce document clôture dix-sept années d’audit et de surveillance de l’aide américaine à l’Afghanistan, depuis le lancement des premiers programmes de reconstruction post-2001 jusqu’à la fin totale de l’assistance américaine en 2025. Ce rapport, à la fois bilan et testament, offre un regard lucide sur les succès limités, les erreurs profondes et les leçons à tirer de l’engagement le plus long de l’histoire militaire et humanitaire des États-Unis.
1. L’ampleur réelle de l’investissement américain
Entre 2002 et 2021, les États-Unis ont dépensé environ 146 milliards de dollars pour la reconstruction de l’Afghanistan, dont 88,8 milliards pour former, équiper et soutenir les forces de sécurité afghanes. Ce chiffre, souvent présenté comme astronomique, doit être relativisé : il correspond à moins d’un cinquième du budget annuel de la défense américaine, qui dépasse aujourd’hui les 800 milliards de dollars. Autrement dit, vingt années d’efforts civils et militaires cumulés ont représenté, pour Washington, un engagement significatif mais non décisif.
SIGAR rappelle que cet argent s’est réparti entre plusieurs volets :
- Formation et équipement de l’armée afghane (Afghan National Defense and Security Forces, ANDSF) ;
- Infrastructures civiles (routes, écoles, hôpitaux, réseaux électriques et hydrauliques) ;
- Soutien humanitaire et sanitaire, notamment à travers l’USAID et le Programme Alimentaire Mondial ;
- Initiatives pour la gouvernance et l’État de droit, incluant la formation de juges, d’avocats et d’administrateurs.
Si le montant paraît élevé, SIGAR souligne qu’à l’échelle des moyens américains, cet effort reste limité. Le contraste entre les ressources engagées et les ambitions affichées explique en partie l’échec stratégique à installer un État stable et autonome.
2. Des réalisations concrètes mais fragiles
Le rapport insiste sur les avancées sociales réelles qu’ont permis ces investissements. Pendant deux décennies, l’Afghanistan a connu une transformation sans précédent :
- Santé publique : la mortalité infantile et maternelle a reculé de façon spectaculaire ;
- Éducation : des millions d’enfants, dont une part importante de filles, ont été scolarisés ;
- Formation professionnelle : une génération entière d’enseignants, de médecins, d’ingénieurs, de juges et d’avocats a émergé, rompant avec l’isolement du pays.
Une étude citée par SIGAR montre que l’aide américaine a contribué à une baisse de 18 % de la mortalité toutes causes confondues entre 2001 et 2021, et à une réduction de 44 % de la mortalité des jeunes enfants. Ces chiffres traduisent un impact tangible sur la vie quotidienne des Afghans.
Mais ces progrès demeuraient dépendants du soutien international. La chute du gouvernement afghan en août 2021, suivie de la prise du pouvoir par les Talibans, a brutalement interrompu la continuité des services publics, laissant apparaître la fragilité systémique des acquis.
3. L’effondrement de la reconstruction et ses cause
SIGAR identifie plusieurs facteurs d’échec :
- Dépendance structurelle : Les forces de sécurité afghanes reposaient sur la logistique, la maintenance et le renseignement américains. Dès le retrait des contractants et des soutiens aériens, l’ANDSF s’est effondrée en quelques semaines.
- Corruption endémique : Les programmes de reconstruction ont été massivement siphonnés par des réseaux politico-financiers afghans, souvent tolérés ou ignorés par les partenaires occidentaux. L’existence de « soldats fantômes » – des effectifs fictifs pour capter les soldes – en est l’illustration la plus connue.
- Incohérences stratégiques : La volonté de construire un État moderne a été contredite par le soutien simultané à des acteurs locaux clientélistes et parfois criminels.
- Isolement des acteurs humanitaires : Après 2021, l’insécurité et les restrictions imposées par les Talibans ont freiné ou empêché la poursuite des opérations humanitaires.
En 2025, avec la décision américaine de mettre fin à toute assistance, la fermeture des programmes a ouvert la voie à des saisies massives d’équipements par les Talibans : véhicules blindés, matériel médical et informatique, voire stocks alimentaires. Ces confiscations rappellent l’extrême vulnérabilité des programmes face à l’absence d’autorité étatique fiable.
4. Les conséquences humanitaires du retrait
Le rapport détaille l’impact dramatique de la suspension de l’aide américaine :
- Perte de financement pour le système humanitaire de l’ONU, qui assurait la survie de millions d’Afghans ;
- Fermeture de centaines de cliniques et de centres nutritionnels, affectant prioritairement les femmes et les enfants ;
- Explosion de l’insécurité alimentaire, aggravée par les sécheresses et par le retour forcé de près de deux millions d’Afghans expulsés d’Iran et du Pakistan.
En parallèle, le retrait américain a entraîné un vide politique et moral. Les Talibans ont consolidé leur régime d’apartheid de genre, menant à des violations massives des droits humains, tandis que la communauté internationale se contente d’une assistance résiduelle.
5. Héritage et leçons de vingt ans de présence américaine
SIGAR conclut son ultime rapport par une double vérité :
- Échec stratégique : Les États-Unis n’ont pas réussi à bâtir un État afghan autonome et durable, ni à empêcher la résurgence d’un régime taliban autoritaire.
- Héritage humain précieux : Malgré l’effondrement politique, l’aide américaine a fait émerger une élite éduquée et connectée au monde, composée de femmes et d’hommes capables de porter un projet de société différent. Professeurs, médecins, juristes et journalistes constituent aujourd’hui la mémoire vivante de vingt ans d’ouverture.
Le rapport insiste sur la nécessité de retenir cette leçon : construire des institutions sans socle social et sans adhésion politique locale ne garantit pas la durabilité, mais investir dans l’éducation et la santé produit des effets qui survivent même à la défaite militaire.
Conclusion
L’histoire retiendra peut-être que les États-Unis n’ont pas « gaspillé » leur argent en Afghanistan. Si 146 milliards de dollars peuvent paraître énormes, ils représentent à peine quelques mois de budget militaire américain. Cet argent, loin d’être perdu, a permis à une génération d’Afghans – filles et garçons, professeurs, médecins, juges, avocats – d’accéder à l’éducation, à la santé et à l’espoir d’un avenir différent.
Il n’a pas permis de construire un État durable, mais il a semé les graines d’une société civile et d’une conscience citoyenne. C’est ce capital humain, et non les chars ou les milliards, qui pourrait un jour offrir à l’Afghanistan une voie vers la liberté et la justice.
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