Rapport du secrétaire général de l’ONU A/80/366 S/2025/554

Afghanistan 2025 : apartheid de genre & crise humanitaire — ce que dit le rapport de l’ONU
Quatre ans après la prise de pouvoir des Talibans, l’ONU dresse un constat accablant : répression systémique des femmes et des minorités, insécurité alimentaire massive, services de santé en panne et isolement international.
Femmes & filles
- Exclusion de l’éducation, de l’emploi et de la vie publique.
- Arrestations pour « mauvais hijab » ; mahram exigé pour des soins.
- Universités et salons de beauté fermés aux femmes.
- Mandats de la CPI pour persécutions fondées sur le genre.
Crise humanitaire
- 9,5 M en insécurité alimentaire ; 1,6 M en phase d’urgence.
- Programmes nutritionnels réduits : 1,2 M d’enfants sans traitement.
- Maladies en hausse : rougeole, diarrhées aiguës, dengue suspectée.
- Accès humanitaire entravé, restrictions sur les travailleuses.
État & société
- Verrouillage par la charia ; police de la vertu active.
- Censure : débats politiques, poésie, images, médias.
- Opposition contenue ; violences contre minorités.
- Espace civique réduit, santé mentale des jeunes en alerte.
Économie
- Croissance ~2,5 % insuffisante face à la pauvreté chronique.
- Exportations en baisse ; déficit commercial en hausse.
- Informel dominant ; isolement financier persistant.
- Projet ferroviaire trans-afghan : faisabilité lancée.
Drogues
- ~27 000 usagers dans l’espace public (dont femmes & enfants).
- Héroïne & stimulants en hausse ; 75 % partagent les seringues.
- Éradication du pavot = affrontements et protestations.
- Alternatives agricoles encore insuffisantes.
Appels de l’ONU
- Mettre fin aux expulsions ; respecter le non-refoulement.
- Ouvrir des voies sûres de protection / réinstallation.
- Financer d’urgence santé, nutrition et éducation.
- Lever les discriminations systémiques contre les Afghanes.
Afghanistan 2025 : le dernier rapport de l’ONU dresse un tableau accablant
Le Secrétaire général des Nations Unies a présenté son rapport trimestriel sur la situation en Afghanistan (A/80/366 – S/2025/554), rendu public le 5 septembre 2025. Ce document, examiné par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, analyse l’évolution politique, sécuritaire, humanitaire et économique du pays, quatre ans après le retour au pouvoir des Talibans. Le constat est sévère : l’Afghanistan s’enfonce dans un isolement croissant, une crise humanitaire hors de contrôle et un système de répression institutionnalisée que certains qualifient désormais de véritable apartheid de genre.
Un régime verrouillé autour de la charia
Le rapport montre comment les Talibans, désormais entrés dans leur cinquième année de pouvoir, consolident leur emprise en imposant une vision radicale de la charia. Le chef suprême, Haibatullah Akhundzada, réunit régulièrement ses responsables à Kandahar et insiste sur « l’obéissance » et la stricte application de ses ordres. Les mesures restrictives se multiplient : interdiction de l’usage du smartphone, censure des débats politiques, limitation des prêches religieux et interdiction de funérailles pour les personnes suicidées. La police de la vertu et du vice renforce ses actions, imposant hijab et barbe, fermant l’Afghan Film Organization, interdisant les images d’êtres vivants et surveillant les réseaux sociaux. Les nominations dans l’administration se poursuivent, exclusivement masculines et majoritairement pashtounes. Les femmes sont exclues des professions juridiques : aucune avocate n’a plus le droit d’exercer, alors qu’elles étaient près de 300 avant 2021. Les universités, quant à elles, restent interdites aux étudiantes.
Une opposition muselée et une société sous pression
Les forces de résistance – Afghanistan Freedom Front, Front national de résistance, Afghanistan Liberation Movement – revendiquent quelques attaques, mais sans remettre en cause le contrôle territorial des Talibans. L’État islamique – Province du Khorasan (IS-K) a réduit ses actions, mais la violence religieuse persiste, avec notamment l’assassinat d’un imam chiite en juin. La population exprime son mécontentement par des protestations sporadiques : retraités privés de pensions depuis quatre ans, paysans sanctionnés par l’éradication forcée du pavot, communautés chiites empêchées de célébrer l’Achoura. Les manifestations sont réprimées, parfois dans le sang, comme en Badakhshan où des protestataires ont été tués et blessés par balles. L’espace civique rétrécit à vue d’œil. Les jeunes interrogés par l’ONU évoquent l’explosion des troubles psychologiques, alimentés par la surveillance, le chômage et l’absence de perspectives.
Des droits humains en chute libre
Le rapport accorde une large place aux violations des droits fondamentaux. L’ONU documente des exécutions extrajudiciaires, des arrestations arbitraires, des cas de torture, y compris contre d’anciens fonctionnaires et militaires de la République. Les femmes subissent la répression la plus systématique. Depuis mai, à Hérat, le port du chador est obligatoire, et à Kaboul, soixante femmes ont été arrêtées pour « non-respect du hijab ». Les soins de santé sont conditionnés à la présence d’un mahram disposant d’un document officiel. Les salons de beauté, clandestinement rouvert, sont de nouveau fermés. La Cour pénale internationale a émis en juillet des mandats d’arrêt contre Akhundzada et le chef de la justice taliban pour crimes contre l’humanité liés aux persécutions de genre et politiques. Les Talibans rejettent la décision, affirmant que la CPI n’a « aucune légitimité ». Les minorités religieuses sont également visées : restrictions contre les chiites lors de l’Achoura, arrestations arbitraires, exécution d’un notable ismaélien en Badakhshan. Enfin, les prisons sont saturées : près de 29 500 détenus en juillet 2025, dont 1 800 femmes et 1 500 mineurs, souvent pour des délits mineurs ou financiers.
Une économie stagnante et dépendante
Selon la Banque mondiale, la croissance attendue pour 2024-2025 est de 2,5 %. Mais ce chiffre ne reflète pas la réalité d’un pays en pauvreté chronique, avec chômage massif et exode des compétences. Les exportations chutent de plus de 20 % en un an, tandis que les importations augmentent. Le déficit commercial s’accroît dangereusement. Les Talibans affichent leur première « stratégie nationale de développement » centrée sur l’économie islamique, mais elle reste largement théorique. L’économie réelle repose encore sur l’informel : petits commerces, agriculture de subsistance, transferts de fonds et trafics. Le secteur minier et les promesses ferroviaires (projet trans-afghan de 681 km) restent incertains. Malgré tout, les recettes fiscales ont progressé de 13 %, alimentées par de nouvelles taxes et droits de douane. Mais cela ne compense pas l’isolement financier du pays, privé de banques correspondantes et de reconnaissance internationale.
Une crise humanitaire sans précédent
Le tableau est catastrophique. 1,6 million d’Afghans ont été renvoyés de force d’Iran et du Pakistan depuis janvier 2025. 9,5 millions de personnes souffrent d’insécurité alimentaire aiguë, dont 1,6 million en situation d’urgence. Le Programme alimentaire mondial a réduit de 60 % ses programmes nutritionnels, laissant 1,2 million d’enfants et 500 000 femmes sans traitement. L’OMS signale 43 600 cas de rougeole, 46 400 de diarrhées aiguës et la fermeture de 422 centres de santé. L’aide humanitaire n’est financée qu’à hauteur de 27 % des besoins (soit 2,42 milliards de dollars requis). Les humanitaires subissent entraves, arrestations et restrictions liées au mahram. Le Haut-Commissaire pour les réfugiés alerte sur la situation des femmes chefs de famille et des mineurs non accompagnés, particulièrement vulnérables aux violences et aux extorsions.
Drogues : l’autre bombe sociale
Le rapport de l’UNODC dresse un état alarmant : près de 27 000 personnes, dont des enfants, consomment drogues dures dans les rues. Si l’usage du cannabis et de l’opium diminue, celui de l’héroïne et des stimulants explose. Trois quarts des consommateurs injectables partagent leurs seringues. Les Talibans poursuivent leurs campagnes d’éradication du pavot, mais elles provoquent protestations et affrontements meurtriers. Les alternatives agricoles proposées par les Nations Unies restent insuffisantes face à l’ampleur du problème.
Les appels du Secrétaire général
En conclusion, António Guterres souligne que la stabilité relative et la croissance affichée ne doivent pas masquer la réalité d’un peuple qui « survit à peine ». Ses préoccupations majeures : les retours forcés de réfugiés, contraires au droit international, qui aggravent la crise ; le gynocide des femmes et filles, exclues de la vie publique et privées de droits fondamentaux ; le désengagement des bailleurs, qui menace directement la survie de millions d’Afghans ; la répression des minorités religieuses, de la liberté d’expression et de la société civile. Il appelle les États à respecter le principe de non-refoulement, à rouvrir des voies sûres de réinstallation, à financer d’urgence l’aide humanitaire et à soutenir les services de santé et d’éducation, et à exiger des Talibans la fin des discriminations systémiques, en particulier à l’égard des femmes et des filles.
Un pays à la dérive, un test pour la communauté internationale
Le rapport de septembre 2025 confirme ce que dénoncent ONG et résistances afghanes : l’Afghanistan est devenu le laboratoire d’un système de ségrégation de genre sans équivalent contemporain, couplé à une crise humanitaire et économique qui menace la survie de près de la moitié de la population. Pour la communauté internationale, le dilemme reste entier : continuer à engager un dialogue minimal avec un régime qui piétine le droit international, ou risquer l’isolement total d’un peuple déjà brisé. Ce rapport sonne comme un avertissement : ne pas agir reviendrait à entériner le gynocide en cours et à abandonner l’Afghanistan à son effondrement.
🔗 Rapport complet disponible ici : ONU – A/80/366 S/2025/554










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