Mandats d’arrêt contre les Talibans : quand la justice piétine face aux refuges de l’impunité
L’annonce de mandats d’arrêt émis par la Cour pénale internationale contre Mollah Hibatullah Akhundzada, chef suprême des Talibans, et son juge en chef Mollah Haqqani Hakim, marque un tournant historique dans la reconnaissance internationale des crimes commis par le régime islamiste au pouvoir en Afghanistan. Mais faut-il vraiment y voir une victoire judiciaire ou seulement une promesse fragile suspendue aux aléas de la géopolitique ? Le Front pour la liberté de l’Afghanistan salue cette initiative tout en dénonçant avec lucidité ce qu’elle est : une réponse insuffisante.
Car la justice, surtout lorsqu’elle vise des criminels de guerre retranchés au sommet d’un État dévoyé, avance rarement à grands pas. L’expérience des précédentes poursuites internationales le rappelle cruellement. Slobodan Milošević, mis en accusation en 1999, ne fut arrêté qu’en 2001 et mourut dans sa cellule sans jugement définitif. Omar el-Béchir, inculpé dès 2009 pour génocide et crimes contre l’humanité au Darfour, circule encore librement dans plusieurs pays africains, accueilli par des gouvernements complices. Il a fallu plus de dix ans pour que la justice parvienne à juger quelques-uns des bourreaux de l’humanité. Et encore, dans des cas où le contexte politique avait fini par se retourner contre eux. Rien de tel pour l’instant en Afghanistan.
Les deux figures visées aujourd’hui par la CPI — Akhundzada et Hakim — incarnent la radicalisation théocratique du régime taliban. Ce sont eux qui ont donné la caution religieuse aux lois de l’apartheid de genre, aux exécutions sommaires, à l’effacement des femmes de l’espace public et à la mise en place d’un État fondé sur la terreur, la délation et l’humiliation. Mais leur inculpation ne garantit en rien leur arrestation. Le droit international, aussi noble soit-il, reste tributaire de la coopération des États. Et c’est précisément là que le bât blesse.
La quasi-totalité des voisins de l’Afghanistan se sont, depuis vingt ans, rendus complices de la sanctuarisation du mouvement taliban. Le Pakistan, qui a servi de base arrière logistique, militaire et diplomatique aux talibans depuis les années 1990, n’a jamais caché sa préférence pour une « profondeur stratégique » islamiste en Afghanistan. L’Iran, tout en affichant sa méfiance à l’égard des talibans, leur a ouvert des canaux de négociation officieux. La Chine, la Russie, les pays d’Asie centrale… tous, à des degrés divers, ont préféré composer avec l’Émirat islamique plutôt que de l’isoler. En 2024, les Émirats arabes unis ont même accueilli des délégations officielles talibanes avec tous les honneurs dus à un gouvernement légitime.
Comment, dans ce contexte, espérer que ces pays livrent un jour Akhundzada ou Hakim à La Haye ? Rien ne l’indique. Pire encore : ces mandats risquent d’être ignorés comme l’ont été tant d’autres, dès lors que les chefs inculpés sont utiles à certaines puissances. La justice internationale n’est pas seulement lente. Elle est aussi sélective, dépendante des rapports de force, et trop souvent incapable de résister aux intérêts géopolitiques qui lui dictent sa marge de manœuvre.
Il faut dire aussi que les deux accusés savent se faire invisibles. Akhundzada n’est apparu en public que quelques fois depuis sa désignation en 2016, toujours dans des conditions hautement contrôlées, et il n’existe à ce jour aucune photographie récente fiable de lui. Son image reste un objet de spéculation, presque mythologique. Ce n’est pas un hasard. Le pouvoir taliban cultive l’effacement médiatique de ses chefs suprêmes comme une stratégie de dissimulation, mais aussi d’intimidation. On gouverne mieux par la peur quand on se cache derrière un voile d’inaccessibilité.
Cette invisibilité contribue à leur impunité. Comment arrêter un homme dont on ne sait même pas à quoi il ressemble, ni où il vit ? Dans les cercles du pouvoir taliban, tout est organisé pour protéger les figures clés du régime. Akhundzada et Hakim sont des fantômes d’État, protégés par un réseau d’alliances tribales, de sanctuaires militaires, et surtout par le silence complice de ceux qui, tout en condamnant le régime dans leurs discours, continuent de dialoguer avec lui en coulisses.
Le Front pour la liberté de l’Afghanistan le souligne avec force : tant que la communauté internationale n’adoptera pas une ligne cohérente, ferme et sans ambiguïté contre l’émirat taliban, aucun mandat ne sera appliqué, aucune justice ne sera rendue, et aucune victime ne verra ses droits reconnus. Les sanctions doivent être renforcées. Les leaders talibans doivent être désignés non comme des interlocuteurs politiques, mais comme des criminels de guerre. Il est temps d’en finir avec le langage diplomatique qui, sous couvert de pragmatisme, s’apparente à une capitulation morale.
La CPI a ouvert une brèche. À la société civile, aux résistances afghanes, aux mouvements féminins, à tous ceux qui dénoncent l’apartheid imposé par les talibans, d’y engouffrer une parole forte, soutenue, inlassable. Il n’y a pas de justice possible sans mobilisation. Et il n’y aura pas de paix durable tant que les bourreaux continueront de diriger l’Afghanistan depuis les ténèbres.
Le seul avenir légitime pour Akhundzada et ses complices n’est ni à Doha, ni à Moscou, ni à Islamabad — mais dans le box des accusés d’un tribunal international.
Voici une traduction complète en français du communiqué du Front pour la liberté de l’Afghanistan daté du 8 juillet 2025 (18 Saratan 1404) :
Front pour la liberté de l’Afghanistan
Les mandats d’arrêt contre les chefs talibans sont nécessaires, mais insuffisants !
Le Front pour la liberté de l’Afghanistan accueille favorablement l’émission de mandats d’arrêt par la Cour pénale internationale contre Mollah Hibatullah Akhundzada, chef suprême des Talibans, et Mollah Haqqani Hakim, juge en chef de ce groupe. Il considère cette décision comme une avancée majeure vers la responsabilisation du groupe Taliban pour ses crimes et comme une étape importante en faveur de la justice pour les victimes.
Cependant, le Front estime que cette mesure, à elle seule, est loin d’être suffisante. Tous les dirigeants et chefs talibans impliqués dans la répression, les massacres, la discrimination, les crimes contre l’humanité et les violations des droits humains doivent également être poursuivis en justice. Des sanctions internationales plus sévères doivent être appliquées, et la politique mondiale de récompense du terrorisme et de l’extrémisme doit cesser.
Tout en saluant la décision de la CPI, le Front pour la liberté de l’Afghanistan exprime son inquiétude profonde face aux positions contradictoires de la communauté internationale vis-à-vis des Talibans. Cette ambiguïté est jugée inacceptable.
L’Afghanistan, sous l’autorité de l’Émirat taliban, est devenu un sanctuaire sûr pour les groupes extrémistes et terroristes régionaux et mondiaux. La prétendue lutte des Talibans contre Daech n’est qu’un prétexte exploité par leurs réseaux de lobbying à travers le monde. En quatre ans, les efforts pour rendre les Talibans responsables face aux préoccupations internationales et aux revendications légitimes du peuple afghan n’ont conduit à aucune avancée significative.
La diversité ethnique et confessionnelle de l’Afghanistan ne trouve aucun écho dans la vision des Talibans. Répression, autoritarisme et apartheid de genre demeurent les traits dominants du régime taliban aux yeux du monde. Malgré cela, certains États continuent de rechercher leurs intérêts nationaux à travers une politique de « dialogue » avec ce groupe criminel.
La Fédération de Russie, puissance mondiale, reconnaît désormais de facto la domination illégitime et usurpée des Talibans sur l’Afghanistan. De son côté, l’ONU réduit le processus complexe de Doha à une simple facilitation du « dialogue » avec les Talibans, oubliant totalement les véritables victimes : le peuple afghan, soumis à un pouvoir illégal, tyrannique et brutal.
Dans ce contexte, les mandats d’arrêt de la Cour pénale internationale contre les chefs talibans représentent une lueur d’espoir pour la justice et le respect des valeurs humaines. Le rôle courageux des mouvements de protestation, notamment les luttes menées par les femmes afghanes, a été déterminant et mérite reconnaissance.
Le Front pour la liberté de l’Afghanistan affirme qu’il continuera, avec détermination, à défendre le droit du peuple à décider librement de son destin, à lutter contre le régime taliban, et à œuvrer pour l’établissement d’un système fondé sur la souveraineté populaire, l’état de droit, ainsi que la défense des libertés civiles et des droits fondamentaux dans toutes les sphères – politique, sociale, culturelle et civique.
Le peuple afghan ne mérite pas la domination illégitime et obscurantiste des Talibans. Le seul endroit où les dirigeants talibans doivent être vus par le monde et le peuple d’Afghanistan, c’est devant un tribunal, dans le box des criminels de guerre, des auteurs de crimes contre l’humanité et de violations des droits humains – et à terme, derrière les barreaux.
Front pour la liberté de l’Afghanistan
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