L’Amérique abandonne l’Afghanistan humanitaire : Autopsie d’un retrait controversé
rapport du SIGAR : 30 AVRIL 2025
Autopsie d’un retrait controversé
Le 30 avril 2025, le Bureau de l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR) a officialisé un bouleversement radical : les États-Unis mettent fin à la quasi-totalité de leur aide humanitaire à l’Afghanistan. Ce retrait survient après un décret du président Donald Trump, signé en janvier, qui instaurait une pause de 90 jours dans toute aide au développement étrangère. L’aide humanitaire, initialement exemptée, a finalement été suspendue en avril, scellant ainsi une décision d’une portée inédite.
Des motifs sécuritaires avancés, une réalité plus complexe
Officiellement, Washington justifie cette décision par la crainte que l’aide internationale ne bénéficie indirectement au régime taliban. Un audit mené par SIGAR souligne que des partenaires d’exécution auraient versé plus de 10,9 millions de dollars en taxes aux autorités de l’Émirat islamique. Le Département d’État évoque également un manque de mécanismes de contrôle rigoureux sur la distribution de l’aide, et des risques avérés de corruption ou de détournement.
Mais derrière cette rhétorique sécuritaire se dessine une réalité plus nuancée : cette suspension marque une volonté politique assumée de rupture avec toute forme d’engagement à long terme en Afghanistan. Le message envoyé est clair : les États-Unis considèrent désormais le pays comme hors de leur sphère d’influence directe, du moins sur le plan humanitaire.
Les victimes collatérales d’une décision géopolitique
La décision frappe de plein fouet les civils afghans. La liste des programmes arrêtés est éloquente : distribution de nourriture, soins de santé maternels et infantiles, campagnes de vaccination, traitement de la tuberculose, programmes éducatifs pour les filles, soutien aux agriculteurs et aides financières directes aux familles.
Selon plusieurs ONG internationales contactées par La Lettre d’Afghanistan, ces coupes risquent de provoquer une recrudescence de la malnutrition infantile, la fermeture de dizaines de cliniques rurales, et l’interruption brutale de projets éducatifs pourtant considérés comme des remparts contre la radicalisation.
L’illusion d’un désengagement propre
Certes, le retrait américain repose sur des raisons valides : la gouvernance talibane n’est ni transparente ni démocratique, et il est établi que certaines aides ont été ponctionnées par les autorités locales. Mais le désengagement total constitue un abandon de fait de la population, sans alternative crédible mise en place.
Aucune structure internationale ou régionale ne semble prête à compenser ce vide. Les Nations Unies, déjà sous-financées, voient leurs capacités logistiques diminuer. Et les puissances régionales, comme la Chine ou l’Iran, bien qu’actives sur le plan diplomatique, n’investissent pas dans l’aide humanitaire à grande échelle.
Deux exceptions : la survie symbolique de l’aide éducative
Deux programmes subsistent, comme pour rappeler les vestiges d’un engagement passé :
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Promote Scholarship Endowment, offrant des bourses universitaires à des jeunes femmes afghanes dans les filières STEM.
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Supporting Student Success in Afghanistan, qui finance l’apprentissage en ligne via l’Université américaine d’Afghanistan.
Mais ces programmes ne concernent qu’un public très restreint, principalement urbain et anglophone. Ils ne sauraient compenser la disparition de l’aide humanitaire de masse.
Un retrait à contretemps ?
Ce retrait intervient dans un contexte critique. Selon les dernières estimations de l’ONU, plus de 23 millions d’Afghans ont besoin d’une forme d’aide humanitaire en 2025. En désertant ce terrain, les États-Unis prennent le risque d’aggraver l’instabilité, de nourrir les réseaux extrémistes, et d’aliéner une population dont une large part reste hostile aux Talibans.
En termes d’image, cette décision renforce aussi l’idée d’un abandon de l’Afghanistan, amorcé dès le retrait militaire de 2021. Elle fragilise les arguments moraux et stratégiques d’une puissance qui prétend défendre les droits humains à l’échelle mondiale.
Conclusion : rupture ou renoncement ?
La fin de l’aide américaine à l’Afghanistan peut s’interpréter de deux manières. Pour ses défenseurs, c’est une mesure de précaution légitime, destinée à ne pas cautionner un régime autoritaire. Pour ses détracteurs, c’est un renoncement cynique, qui sacrifie une population vulnérable sur l’autel d’intérêts électoraux et géopolitiques.
Une chose est certaine : cette page qui se tourne en dit long sur la manière dont l’Occident reconfigure ses priorités. Et pour l’Afghanistan, cela signifie une solitude croissante dans un monde toujours plus fragmenté.
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