Croissance des réseaux extrémistes à l’ombre de la politique européenne

Quand la complaisance envers les Talibans devient une menace pour la sécurité mondiale
Le tournant européen : du pragmatisme à la complicité
Sous couvert de “gestion migratoire” et de “réalisme diplomatique”, plusieurs capitales européennes ont engagé depuis 2024 un processus d’ouverture de facto envers le régime taliban. Berlin, Rome ou encore Bruxelles justifient ces contacts par la nécessité de “dialoguer pour stabiliser”, notamment autour des retours forcés de migrants afghans. Mais ce glissement, apparemment technique, marque une rupture stratégique majeure : pour la première fois depuis 2001, des États démocratiques traitent comme un interlocuteur légitime un pouvoir coupable de crimes contre l’humanité.
Le rapport du Rapporteur spécial de l’ONU, Richard Bennett (A/80/432, octobre 2025), dénonce cette dérive comme une “normalisation sans conscience”. Il y voit non seulement une trahison des principes fondateurs de la Déclaration universelle des droits de l’homme, mais aussi un catalyseur de l’extrémisme international. Fermer les yeux sur la persécution des femmes et l’élimination de la société civile afghane, écrit Bennett, “crée un précédent mondial” qui légitime les régimes de domination religieuse et affaiblit la cohérence du système international.
De Kaboul à Berlin : la boucle du fanatisme
L’affaire du consulat de Bonn illustre ce glissement fatal. En acceptant la révocation par les Talibans du consul légitime de la République islamique d’Afghanistan et la prise de contrôle du bâtiment par leurs représentants, l’Allemagne a offert au régime un accès direct aux données de la diaspora. Ces fichiers, qui contiennent des informations personnelles de milliers d’exilés, sont devenus un instrument de traque transnationale.
Quelques semaines plus tard, l’attentat contre Hasina Kohistani, avocate réfugiée en Allemagne, a rappelé que les représailles ne connaissent plus de frontière. En livrant les clés d’un consulat, l’Europe a ouvert une brèche dans sa propre sécurité. Les défenseurs des droits de l’homme, appuyés par les conclusions du rapport Bennett, y voient la première conséquence tangible de la reconnaissance implicite du régime taliban : la peur s’est déplacée de Kaboul à Berlin.
L’avertissement de Bennett : le danger intérieur
Le rapport onusien ne se limite pas à la dénonciation morale. Il établit un lien direct entre la normalisation internationale et la croissance des réseaux extrémistes. En permettant aux Talibans de consolider leur pouvoir sans conditions, la communauté internationale alimente la propagation d’une idéologie de genre, de domination et de violence.
Selon Bennett, cette “indifférence sélective” envoie un message aux mouvements radicaux du monde entier : la répression peut devenir un instrument de pouvoir reconnu. C’est une contagion politique autant qu’idéologique, dont l’Europe, en pleine crise de confiance démocratique, devient le terrain d’accueil.
Masoud Andarabi : “Le terrorisme se nourrit du vide diplomatique”
L’ancien ministre afghan de l’Intérieur, Masoud Andarabi, partage ce diagnostic mais y ajoute une dimension géostratégique. Dans son entretien, il souligne que les Talibans ne sont plus une force isolée mais le centre d’un écosystème transnational de groupes armés : Al-Qaïda, le Tehrik-e-Taliban Pakistan (TTP), le Mouvement islamique d’Ouzbékistan (MIO), et le Mouvement islamique du Turkestan oriental (MITO).
Ces réseaux, dit-il, bénéficient de la tolérance du régime et exploitent la façade d’un gouvernement “en voie de reconnaissance” pour étendre leurs activités. “Un engagement sans conditions ne fait que renforcer l’impunité des Talibans et éroder la sécurité régionale.”
Andarabi avertit aussi que l’Europe, en négociant le retour de migrants avec les Talibans, offre à ces réseaux une couverture politique et une légitimité symbolique. “Les Talibans utilisent la diplomatie comme un bouclier pour masquer leurs alliances terroristes. Chaque discussion sans condition équivaut à leur donner un certificat d’honorabilité.”
Les répercussions européennes : infiltration, propagande et radicalisation
Les services de sécurité européens constatent déjà une restructuration silencieuse des réseaux pro-talibans dans plusieurs pays. Ces cercles, souvent présentés comme “communautaires” ou “caritatifs”, recyclent la rhétorique victimaire du régime pour recruter ou financer. Les politiques migratoires ambiguës renforcent ce discours : les Talibans apparaissent comme des acteurs capables de “protéger les musulmans humiliés par l’Occident”.
À cela s’ajoute la propagande numérique, amplifiée par l’accès illégal à des bases de données de la diaspora et par des comptes relais liés à des institutions religieuses sympathisantes. Ce nouvel espace de communication permet au régime d’exercer un soft power inversé : l’idéologie talibane comme outil de mobilisation identitaire au cœur de l’Europe.
La peur exportée : des militants afghans agressés en Europe
Les voix afghanes qui dénoncent les Talibans paient aujourd’hui un prix tragique, y compris sur le sol européen. Derrière les façades de la sécurité occidentale, un autre front s’ouvre : celui des menaces, des intimidations et des agressions visant les réfugiés afghans devenus symboles de résistance. Ces faits isolés forment déjà une tendance : l’ombre du régime taliban s’étend jusqu’aux sociétés qui avaient promis protection et asile.
Natiq Malikzada – Londres, février 2025
Journaliste et intellectuel afghan réfugié au Royaume-Uni, Natiq Malikzada est attaqué au couteau dans un hôtel pour demandeurs d’asile à Aldershot. L’agression, survenue dans la nuit du 13 février, le blesse grièvement à l’épaule et à la poitrine. Quelques jours plus tôt, il avait dénoncé sur les réseaux sociaux « la peur croissante des critiques des Talibans jusque dans les rues de Londres ». La police britannique a arrêté deux suspects, mais la diaspora afghane y voit un avertissement : même au Royaume-Uni, les Talibans ou leurs relais peuvent frapper.
Hasina Kohistani – Allemagne, octobre 2025
Avocate et militante des droits des femmes, Hasina Kohistani avait trouvé refuge en Allemagne après avoir défendu des victimes de violences en Afghanistan. Le 29 octobre, elle est agressée à son domicile par plusieurs individus non identifiés. Quelques semaines plus tôt, les Talibans avaient pris le contrôle du consulat afghan de Bonn, obtenant l’accès aux données personnelles de milliers d’exilés. L’attaque contre Kohistani pourrait être le premier acte de représailles transnationales orchestrées depuis l’Afghanistan. Le message est clair : même à Berlin, Paris ou Oslo, les opposants afghans ne sont plus hors d’atteinte.
Marzieh Hamidi – France, sous protection policière
Championne de taekwondo, Marzieh Hamidi a fui Kaboul en 2021 et s’est imposée comme l’un des visages de la résistance sportive et féminine afghane. En 2025, après plusieurs interventions médiatiques dénonçant l’apartheid de genre, elle reçoit des centaines de menaces de mort et de viol provenant de comptes liés à des sympathisants talibans. Les autorités françaises lui ont accordé une protection rapprochée. « Quand on me dit que je suis libre, je souris : même ici, ils veulent me faire taire », confie-t-elle.
Une stratégie d’intimidation mondiale
Ces attaques traduisent la montée d’une stratégie délibérée : réduire au silence la diaspora et dissuader toute critique du régime à l’étranger. Le rapport Bennett avertissait déjà que « la réduction du soutien international aux défenseurs des droits humains a ouvert la voie à des représailles transnationales contre les Afghans en exil ».
L’Europe face à son propre reflet
Ce que subissent les militants afghans annonce peut-être l’avenir des Européens eux-mêmes. En tolérant l’expansion d’un régime fondé sur la peur et en négociant avec un pouvoir qui pratique la terreur d’État, l’Europe expose ses propres sociétés à la banalisation de la violence idéologique. Aujourd’hui, ce sont Malikzada, Kohistani ou Hamidi qui sont visés. Demain, ce seront peut-être les journalistes, les universitaires ou les défenseurs européens des droits humains. La logique des Talibans est simple : faire taire, partout. Et tant que la communauté internationale parlera avec eux sans condition, la menace continuera de voyager — jusque dans les villes européennes.
L’illusion du réalisme : la diplomatie comme déni
Ce que Bennett appelle “l’inexplicable acceptation de la barbarie” trouve son origine dans une vision réductrice de la diplomatie : croire que parler avec les Talibans suffit à les rendre fréquentables. Masoud Andarabi rejette cette idée : “Chaque geste de reconnaissance sans contrepartie est interprété comme une victoire religieuse, jamais comme une ouverture politique.”
Les Talibans ne cherchent ni la légitimité internationale ni la paix : ils utilisent la diplomatie pour gagner du temps, consolider leur pouvoir et infiltrer les circuits humanitaires et migratoires. L’Europe, aveuglée par sa propre fatigue stratégique, confond gestion du risque et abdication des principes.
Un danger géopolitique global : la banalisation du fanatisme
La Chine et la Russie exploitent déjà cette ambiguïté pour imposer une nouvelle lecture du droit international : un monde où la souveraineté prime sur les droits humains. L’Afghanistan taliban devient ainsi un laboratoire d’un ordre post-démocratique, où la religion sert de légitimation au pouvoir absolu.
Pour Andarabi, cette tendance ne s’arrêtera pas aux frontières de l’Asie : “Les idéologies qui trouvent un refuge étatique finissent toujours par chercher une expansion. L’Europe, en se taisant, prépare le terrain de sa propre vulnérabilité.”
Restaurer le sens de la souveraineté : conditions, neutralité, légitimité
La seule voie réaliste, selon Andarabi, est celle d’un engagement conditionnel : pas de dialogue ni d’aide tant que les Talibans n’auront pas rétabli les droits des femmes, démantelé les camps terroristes et libéré les anciens militaires et juges de la République.
À plus long terme, l’Afghanistan ne retrouvera sa souveraineté qu’en rendant le pouvoir à son peuple. “Aucun État ne peut être souverain en refusant à ses citoyens le droit de choisir leurs dirigeants.” L’alternative à la guerre par procuration n’est pas la soumission, mais la démocratie — et l’Europe, si elle veut rester fidèle à ses principes, doit soutenir cette voie.
L’enjeu moral : entre trahison et résistance
Le rapport Bennett conclut : « Il est injustifiable que l’aggravation des violations massives des droits humains soit désormais accueillie par des signes croissants d’acceptation. »
Reconnaître les Talibans, directement ou indirectement, c’est violer la Déclaration universelle des droits de l’homme, trahir le principe de non-refoulement et renier l’esprit même de Nuremberg. En d’autres termes, c’est préparer la prochaine génération d’extrémistes, en Afghanistan comme en Europe.
Sélection de sources vérifiées (ONU, UN Women, médias internationaux) sur la reconnaissance implicite des Talibans, les pressions européennes, les risques pour la diaspora et l’avertissement de Richard Bennett.
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ONU – Rapport A/80/432 de Richard Bennett (8 octobre 2025)
Interdiction de toute normalisation de facto tant qu’aucune amélioration vérifiable des droits humains n’est constatée. -
KabulNow – “EU States Push for Deal with Taliban to Deport Illegal Afghan Migrants” (octobre 2025)
Vingt États européens, dont l’Allemagne, demandent un accord de retours avec les Talibans. -
Deutsche Welle (DW) – Actualités Allemagne
Confirmation des contacts “techniques” entre le gouvernement allemand et les Talibans. -
UN Women – Gender Alert : Four Years of Taliban Rule (août 2025)
Restriction systémique des droits des femmes ; 92 % des Afghans favorables à l’éducation des filles. -
UNOCHA – Afghanistan Humanitarian Update (mai 2025)
Crise humanitaire aggravée par les coupes budgétaires et les expulsions massives. -
ReliefWeb – NGO Funding Survey (juin 2025)
85 % des organisations affectées par les réductions de fonds. -
La Lettre d’Afghanistan – « Berlin temporise, les Talibans passent en force »
Accès des Talibans aux données du consulat de Bonn et menaces contre la diaspora. -
CPI – Mandats d’arrêt contre Haibatullah Akhundzada et Abdul Hakim Haqqani (8 juillet 2025)
Poursuites pour persécution de genre et crimes contre l’humanité.










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