Afghanistan, juillet–septembre 2025 : la codification de l’oppression

Afghanistan — Juil–Sept 2025 : Cartographie de la répression (UNAMA)
Période couverte : 1 juillet → 30 septembre 2025
Arrestations/Detentions arbitraires (PVPV)
456
+ 44 cas de mauvais traitements
Châtiments corporels publics
242
191 hommes, 48 femmes, 3 mineurs
Civils touchés par frappes pakistanaises
22
5 tués, 17 blessés (août)
Ex-ANDSF & ex-officiels visés
14
exécutions extrajudiciaires recensées
Femmes & filles : fermeture de tous les espaces
  • 7 sept : Afghanes (y c. employées/visiteuses ONU) bloquées aux compounds; personnel féminin contraint au télétravail.
  • Madrassas : fermetures à Kaboul (23 août) pour « cours modernes »; Badakhshan : >13 ans interdites; Paktika : >10 ans/au-delà du grade 6 bannies.
  • Hijab & mahram : rafles à Kaboul/Hérat (60+ femmes détenues); accès aux marchés, transports et soins refusé sans tuteur masculin.
  • Santé : consignes d’exiger un mahram pour soignantes & patientes; dentistes hommes interdits de soigner des femmes (22 sept).
Mécanique répressive
  • PVPV : police morale omniprésente, contrôles, menaces, détentions.
  • Exemples : Kandahar (1–12 juil) « centaines » d’hommes arrêtés pour barbes taillées; Kunar (12 sept) peines de prison à des barbiers.
  • Flagellations hebdomadaires, souvent cumulées avec des peines de prison.
Censure universitaire
  • Liste de 679 livres interdits (démocratie, droit const., banque, Iran, etc.).
  • Interdiction d’enseigner/recommander des ouvrages écrits par des femmes.
Médias & réseaux sociaux
  • Réduction du privé, arrestations liées aux posts; journalistes femmes humiliées.
  • 24 juil : 3 formateurs arrêtés (ateliers avec femmes), détenus par le GDI.
Religion & minorités
  • Arrestation d’un leader soufi (6 sept); peine de mort pour « blasphème » réduite en appel.
  • Badakhshan : pressions sur Ismaéliens (conversion, amendes 20k–100k AFN; aide sociale conditionnée; scolarisation en madrassas sunnites imposée).
Institutionnalisation
  • Multiples lois publiées (comptabilité, contrats, tarifs, etc.).
  • Ministère de la Justice : tout le corpus pré-2021 déclaré « annulé »; seuls les textes de l’Émirat « en vigueur ».
Stratégie nationale 1404–1408
  • Institutionnalisation complète de la charia comme base du droit et des décisions.
  • Aucune mesure pour femmes/filles — invisibilisation structurelle.
Message central : la répression n’est plus conjoncturelle — elle est devenue un système juridique total, articulé par la PVPV, et appliqué contre les femmes, les minorités, les ex-forces républicaines, la presse et le savoir.
Sources officielles (sélection) : UNAMA, 11 sept 2025 · Stratégie nationale 1404–1408
📘 Télécharger le rapport complet de l’UNAMA
Update on the Human Rights Situation in Afghanistan, July–September 2025
Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (UNAMA)
⬇️ Télécharger le rapport (PDF)

Le dernier rapport trimestriel de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (UNAMA) dresse un constat glaçant : loin de s’atténuer, la politique de répression des Talibans se renforce, se systématise et s’inscrit désormais dans un cadre juridique cohérent avec leur vision idéologique. Entre juillet et septembre 2025, la situation des droits humains s’est encore détériorée, confirmant la transformation du pays en un espace de ségrégation totale fondé sur le sexe, la croyance et l’obéissance politique.

L’éradication du féminin

Le rapport ouvre sur la question des droits des femmes, réduits à néant dans les sphères de l’éducation, du travail et de la vie publique. Depuis septembre 2025, les Talibans ont interdit aux employées afghanes, y compris au sein des agences des Nations Unies, d’accéder aux locaux de l’ONU. Cette mesure parachève l’exclusion professionnelle des femmes afghanes, déjà bannies des ONG depuis 2022.
L’enseignement religieux, dernier espace où certaines filles pouvaient encore apprendre au-delà du primaire, est à son tour visé : fermeture de madrassas à Kaboul pour avoir enseigné les « sciences modernes », interdiction pour les filles de plus de dix ans d’assister aux cours en Paktika, limitation stricte en Badakhshan. Il ne s’agit plus d’un déni temporaire mais d’une extinction programmée du savoir féminin.
La Ministère de la Propagation de la Vertu et de la Prévention du Vice (PVPV) poursuit sa campagne de terreur quotidienne. Des rafles pour non-respect du hijab ont été menées à Kaboul et Hérat : plus de 60 femmes arrêtées arbitrairement, leurs proches contraints de signer des engagements écrits pour leur libération. À Kandahar, des inspecteurs ont interdit aux femmes de voyager, de se rendre dans les marchés ou même d’accéder à un hôpital sans tuteur masculin (mahram). Certaines cliniques ont reçu l’ordre de ne pas soigner les patientes non accompagnées, et les dentistes masculins n’ont plus le droit de soigner des femmes — alors même que celles-ci n’ont plus accès aux études médicales depuis 2024.

Une idéologie appliquée comme loi

Ce qui se dessinait en 2022 comme une série d’édits religieux isolés devient aujourd’hui un véritable système légal. En août, le chef suprême taliban a officialisé la PVPV comme ministère de référence chargé de l’application de la loi islamique, y compris dans le traitement des personnes souffrant de troubles mentaux — une mesure qui permet potentiellement la détention arbitraire de citoyens jugés « déviants ».
UNAMA a recensé 456 arrestations arbitraires et 44 cas de mauvais traitements imputables à cette police morale, concernant aussi des hommes accusés de « coiffure occidentale », de barbe taillée, ou d’écoute de musique. Les tribunaux talibans appliquent chaque semaine des châtiments corporels publics : 242 personnes, dont 48 femmes et 3 mineurs, ont été fouettées entre juillet et septembre, parfois en plus d’une peine de prison. Les « crimes » vont de la fuite du domicile au simple contact téléphonique entre hommes et femmes.

Les minorités religieuses sous pression

L’UNAMA signale la persistance de pressions sur la minorité ismaélienne dans le Badakhshan, sommée de se convertir au sunnisme sous peine d’amendes ou d’exclusion de l’aide sociale. À Kaboul, un cheikh soufi a été arrêté pour « pratiques non islamiques », et un homme condamné à mort pour blasphème après avoir défendu l’éducation moderne — sa peine n’a été réduite qu’en appel. Ces cas illustrent la réduction du pluralisme religieux à une orthodoxie unique : le hanafisme imposé comme norme nationale.

La censure intellectuelle et la mort du savoir

La censure universitaire s’étend. Le ministère taliban de l’Enseignement supérieur a publié une liste de 679 livres interdits, couvrant la démocratie, le droit constitutionnel, le journalisme d’investigation, l’histoire de l’Iran ou la banque. Les universités ont reçu instruction d’exclure tout ouvrage écrit par une femme, quelle qu’en soit la nature. Dans le même temps, les médias indépendants s’effondrent, étranglés par la répression et la pauvreté. Depuis mai, la PVPV surveille aussi les réseaux sociaux : plusieurs internautes ont été arrêtés pour des publications jugées « immorales ». Les rares journalistes femmes subissent harcèlement et humiliation publique ; certaines voient leurs micros coupés lors de conférences de presse.

L’impunité organisée

Sous couvert d’amnistie, les Talibans poursuivent leurs anciens adversaires. L’UNAMA documente 14 exécutions extrajudiciaires, 21 arrestations arbitraires et 3 cas de torture de membres des forces de sécurité de l’ancienne République. Des arrestations de retour d’exil sont signalées : d’anciens policiers remis par l’Iran ou le Pakistan ont été immédiatement détenus par les services talibans. Dans certains cas, les familles n’ont reçu aucune information. Le pouvoir continue pourtant d’affirmer sur X (ancien Twitter) que « personne n’est inquiété pour ses actions passées ».
Le 22 août, la police a traîné dans les rues de Hérat le corps d’un homme tué, suspendu à un char pour « l’exemple » : une scène de barbarie assumée, photographiée et relayée sur les réseaux sociaux par les autorités elles-mêmes.

Lecture complémentaire – Oppression en Afghanistan

L’Afghanistan, laboratoire d’un apartheid de genre
Analyse complète de la transformation du pays en un système légal et social fondé sur la ségrégation sexuelle et la disparition du féminin.

La loi talibane sur la “vertu” : un instrument de contrôle total
Comment le ministère de la Propagation de la Vertu et de la Prévention du Vice impose un contrôle idéologique sur chaque aspect de la vie afghane.

La purge des savoirs : censure et épuration idéologique
Enquête sur la fermeture des universités, la censure des manuels scolaires et la destruction du savoir comme instrument politique.

Les Talibans et la crise climatique : la destruction du pays
Comment la négligence écologique et la répression sociale se conjuguent pour menacer la survie même de l’Afghanistan.

Extorsions et humiliations : les coiffeuses afghanes face à la terreur
Témoignages sur les violences économiques et sexuelles imposées aux femmes indépendantes dans un système patriarcal totalitaire.

La censure des livres et la purge des enseignants
Le projet d’un État idéologique où toute pensée critique est effacée et la mémoire intellectuelle réduite au silence.

Femmes et filles en crise : analyse genrée des secteurs humanitaires clés
Étude onusienne sur les conséquences sociales, sanitaires et économiques de la politique talibane envers les femmes et les filles.

La diaspora afghane, le deuxième État de l’Afghanistan
L’exil comme dernier espace politique libre et comme force d’opposition intellectuelle et diplomatique face à l’Émirat islamique.

L’institutionnalisation du régime

Le rapport documente aussi la réécriture juridique du pays : en août, les Talibans ont publié six nouvelles lois — sur la comptabilité, les contrats, les tarifs, les rassemblements poétiques, ou encore la lutte contre la contrebande — destinées à « normaliser » l’administration. La page officielle du ministère de la Justice indique que toutes les lois antérieures à août 2021 sont désormais « annulées », remplacées par les textes émis par l’Émirat.
La Stratégie nationale de développement 1404–1408 (2025–2030), adoptée en septembre, confirme la mise en œuvre intégrale de la charia comme fondement du droit, du gouvernement et de l’économie. Elle promet de « renforcer la transparence et la bonne gouvernance », tout en ignorant totalement la question des femmes et des minorités. Ce texte acte la fin de l’État républicain et l’entrée dans un système de gouvernance théocratique total.

Les tensions régionales en toile de fond

UNAMA rapporte aussi plusieurs attaques aériennes du Pakistan sur les provinces de Khost, Nangarhar et Paktika ayant causé 22 victimes civiles, dont des enfants. Les Talibans ont dénoncé ces attaques comme une « violation de la souveraineté », tout en restant incapables d’y répondre autrement que par des déclarations.

Le pays du silence forcé

De la fermeture des écoles à la flagellation publique, tout concourt à une discipline de la peur. La justice n’est plus qu’un instrument d’obéissance religieuse, la vie sociale un champ de surveillance permanente. Le peuple afghan, privé de voix, d’éducation et de recours, vit sous un régime qui se veut à la fois total et moral — un apartheid de genre et de pensée.
À travers la froide précision de ses données, le rapport de l’UNAMA dresse le portrait d’une société où le religieux sert de matrice politique et où la cruauté a été institutionnalisée. Ce n’est plus un effondrement : c’est la mise en ordre du chaos, le visage administratif d’une tyrannie.

Sources officielles :
UNAMA (United Nations Assistance Mission in Afghanistan), Update on the Human Rights Situation in Afghanistan, July–September 2025, publié le 25 octobre 2025.
Conseil de sécurité des Nations Unies, Résolution 2777 (2025), prolongeant le mandat de l’UNAMA.
Communiqué de presse de l’UNAMA, 11 septembre 2025 – Appel à lever les restrictions imposées aux employées afghanes de l’ONU.
Déclaration du ministère taliban de la Propagation de la Vertu et de la Prévention du Vice, 2 septembre 2025 (compte X officiel).
Déclaration du ministère taliban des Affaires étrangères, 27 août 2025, à la suite des frappes pakistanaises en Paktika, Khost et Nangarhar.
Déclaration du ministère taliban de la Défense, 27 août 2025, condamnant les frappes pakistanaises et promettant des « conséquences ».
Afghanistan National Development Strategy 1404–1408 (2025–2030), publiée par le bureau du vice-Premier ministre taliban, 26 août 2025.
UNAMA Human RightsNo Safe Haven: Human Rights Risks Faced by Persons Involuntarily Returned to Afghanistan, 24 juillet 2025.
UNAMA UpdateHuman Rights Situation in Afghanistan, January–March 2025, 1er mai 2025.


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