Par Nigara Mirdad
La remise de l’ambassade d’Afghanistan en Allemagne aux talibans
Par Nigar Mirdad
Diplomate afghan en Pologne Ambassade d’Afghanistan
À une époque où la démocratie, les droits de l’homme et la lutte contre l’extrémisme sont les pierres angulaires de la politique étrangère européenne, la décision de l’Allemagne de remettre l’ambassade d’Afghanistan à Berlin à des représentants des talibans marque un tournant troublant et régressif. Cette décision est non seulement en contradiction avec la position officielle de l’Union européenne, mais elle a également de graves conséquences juridiques, sécuritaires et humanitaires pour les réfugiés afghans et pour la crédibilité des normes et des institutions internationales.
En tant que membre fondateur de l’Union européenne, l’Allemagne s’est longtemps positionnée comme un défenseur mondial des droits de l’homme et de la justice internationale. Le fait de confier la représentation officielle de l’Afghanistan à un groupe qui s’est emparé du pouvoir par la force et qui est accusé de violations généralisées des droits humains sape l’autorité morale et la crédibilité de l’Allemagne. L’Union européenne a souligné à maintes reprises que toute reconnaissance des talibans doit être subordonnée à une gouvernance inclusive, à la protection des droits des femmes et au respect des normes démocratiques, que les talibans continuent de violer systématiquement.
Cette décision risque également de saper le travail de la Cour pénale internationale (CPI), qui enquête actuellement sur des allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Afghanistan. L’Allemagne, fervent partisan de la CPI, pourrait maintenant être considérée comme légitimant le groupe même accusé d’avoir perpétré ces crimes. Une reconnaissance diplomatique – de facto ou de jure – pourrait affaiblir les mécanismes internationaux de justice et enhardir les acteurs qui opèrent en dehors de l’État de droit.
Sur le plan géopolitique, cette décision pourrait déstabiliser davantage l’équilibre fragile entre l’Est et l’Ouest dans leur approche de l’Afghanistan. Des pays comme la Russie, la Chine et l’Iran ont déjà pris des mesures pour engager le dialogue avec les talibans pour des raisons stratégiques. Si les nations démocratiques emboîtent le pas, cela érodera le consensus mondial selon lequel les régimes extrémistes doivent être isolés et non normalisés. Au lieu de contenir l’extrémisme, ce changement risque de le renforcer.
La menace la plus urgente pour la sûreté et la sécurité des citoyens afghans vivant en Allemagne et dans toute l’Europe est peut-être la plus urgente. Beaucoup de ces personnes sont des journalistes, des militants de la société civile, d’anciens employés du gouvernement ou des défenseurs des droits des femmes, des personnes qui ont fui précisément parce qu’elles ont été prises pour cible par les talibans. En donnant aux talibans une présence physique et légale en Europe, il existe un risque réel que l’ambassade devienne un outil de surveillance, d’intimidation et de répression transnationale. L’histoire a montré que les régimes autoritaires ont souvent recours à des missions diplomatiques pour surveiller et réduire au silence les dissidents à l’étranger. Il est peu probable que les talibans fassent exception.
Les conséquences s’étendent également au domaine juridique et bureaucratique, en particulier pour les demandeurs d’asile. Des milliers de réfugiés afghans en Europe dépendent des services consulaires pour la vérification de leur identité, le renouvellement de leur passeport ou la délivrance de documents d’état civil. Si ces services étaient placés sous le contrôle des talibans, cela créerait un dilemme moral et juridique : soit s’engager avec les représentants du régime qu’ils ont fui, soit perdre l’accès aux procédures juridiques essentielles. Un tel scénario violerait les normes internationales protégeant les réfugiés et marginaliserait davantage une population déjà vulnérable.
Une préoccupation particulièrement alarmante est l’accès potentiel des talibans à des bases de données sensibles et à des informations personnelles stockées à l’ambassade. Ces documents comprennent les noms, les adresses et le statut juridique des Afghans en Europe, dont beaucoup ont été directement menacés par le régime. Si les talibans avaient accès à ces bases de données, le risque de menaces ciblées, de harcèlement ou de représailles contre les dissidents et leurs familles augmenterait considérablement. Cela constituerait une violation grave des lois sur la protection des données et un manquement moral de la part des pays d’accueil.
Compte tenu des antécédents des talibans, il est également probable que le groupe puisse collaborer avec des réseaux criminels transnationaux. Les groupes criminels organisés et les entités extrémistes trouvent souvent un terrain d’entente dans le trafic, la contrebande ou l’élimination des menaces perçues. L’accès des talibans à l’infrastructure des ambassades en Europe pourrait être utilisé pour se coordonner avec de tels réseaux afin d’identifier, d’enlever ou de nuire aux dissidents. Cela représente non seulement un risque pour les individus, mais aussi une menace plus large pour la sécurité publique et l’intégrité du système juridique du pays hôte.
En somme, la remise de l’ambassade afghane à Berlin aux talibans est bien plus qu’une décision administrative. Il s’agit d’un renversement des principes démocratiques fondamentaux et d’une capitulation devant un régime qui n’a montré aucun engagement envers les valeurs que l’Europe défend. La société civile, les médias, les experts juridiques et les défenseurs des droits humains doivent agir de toute urgence pour remettre en question et contester cette initiative avant qu’elle ne crée un dangereux précédent. La protection des droits et de la vie des citoyens afghans, et la préservation de la crédibilité du droit international, n’exigent rien de moins.
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