Voix des résistants, en Afghanistan et en exil
15 juin 2025 En Afghanistan, la résistance perdure face aux Talibans, et est notamment incarnée par Ahmed Massoud, le fils du Commandant Massoud assassiné en 2001. Nous l’avons rencontré.

L’Afghanistan est sous occupation des talibans et de leurs alliés terroristes depuis quatre ans. L’ennemi a non seulement franchi les frontières, mais a également visé la volonté nationale. La pauvreté, la répression, les privations et les déplacements ont épuisé et frustré la population. Dans un tel contexte, les forces qui se considèrent comme opposées aux talibans ne devraient pas se contenter de déclarations et de réunions.
Les champs de bataille, qu’ils soient politiques ou militaires, exigent rapidité et coordination.
Chaque jour de retard renforce les lignes ennemies et affaiblit nos capacités. Notre responsabilité aujourd’hui est d’aller au-delà des mots et d’agir de manière cohérente, organisée et déterminée. Une action qui rassemble les volontés politiques et militaires et les fait avancer vers un objectif commun. L’histoire séparera sans aucun doute les rangs des guerriers des spectateurs passifs.
JOUR de DEUIL

La diplomate qui a fait ses adieux en larmes à la République
par Nigara Mirdad
15 août : une date ancienne, mais toujours vivante dans la mémoire collective du peuple afghan. Pour moi, ce jour n’est pas seulement une date politique, mais une blessure profonde au cœur qui, pendant des années, a battu pour l’Afghanistan. Je suis une femme d’une génération qui a grandi à l’ombre de la guerre, mais qui a étudié avec espoir, construit, combattu, et qui, finalement, a assisté à l’effondrement.
J’avais consacré quinze années de ma vie à la diplomatie afghane. À chaque signature, chaque rapport, chaque réunion officielle, c’était comme si j’adressais un sourire à la petite fille que j’avais été, celle qui, un jour, avait pleuré derrière les portes closes de l’école ; cette enfant qui, en exil, les mains vides mais le cœur plein de rêves, avait couru après le savoir, dans l’espoir qu’un jour elle pourrait contribuer à reconstruire son pays. Et moi, cette fille, j’ai fini par enfiler l’habit diplomatique ; non par fierté, mais par fidélité à une mission enracinée dans mon cœur.
Mais le jour de la chute, tout a disparu. J’étais en mission, dans un pays lointain, quand j’ai appris que le président avait fui. L’image des talibans au palais présidentiel a transpercé mon cœur comme une lame. Pendant quarante-huit heures, je n’ai pas dormi. Mes larmes ne cessaient pas de couler, mon esprit ne trouvait aucun repos. C’était comme si toutes ces années à me battre, tenir bon et souffrir s’étaient soudainement volatilisées.
Je connaissais bien les talibans ; pas par les médias, mais par ma vie même. J’étais une enfant de la génération victime de leur premier règne. Le bruit des explosions, la peur de mettre un pied dehors, les rêves interrompus par les cris de ma mère faisaient partie de mes souvenirs d’enfance. En tant que femme sur le marché du travail, chaque jour, chaque pas, chaque vêtement que je portais, chaque mot que je prononçais était une lutte. J’étais toujours prête à ne pas revenir. Le matin, je rangeais la maison, sachant qu’il se pouvait qu’il n’y ait pas de retour. J’ai survécu à plusieurs explosions, mais mon âme revenait chaque fois plus meurtrie.
Les talibans, pour moi et pour le peuple afghan, n’étaient pas et ne sont pas un simple groupe politique. Le taliban est l’assassin de nos rêves, de nos valeurs, de notre culture, de notre religion, de nos familles. Dans l’histoire de la mienne, ils ont laissé des enfants orphelins, des mères privées de leurs enfants, des pères en deuil, et des femmes réduites au silence, privées de sourire. Ils n’ont même pas épargné notre terre : des vignes brûlées dans le Nord aux crimes de guerre et à l’apartheid de genre. Le taliban n’est pas un mauvais souvenir ; c’est une plaie ouverte qui saigne encore chaque jour.
Ma lutte n’était pas solitaire. Notre combat venait des montagnes de l’Hindou Kouch et des rues de Kaboul ; là où ses enfants courageux entraient en scène avec la même douleur, la même colère et le même espoir. Moi, dans les tranchées de la diplomatie, eux, au cœur des montagnes et des ruelles. Nous étions les narrateurs d’une douleur commune. Nous combattions ensemble ; non pour la politique, mais pour sauver un avenir pillé.
Avec le retour des talibans, ce n’est pas seulement un régime qui est tombé, c’est le rêve d’une nation qui a été volé. Les femmes ont disparu ; des bureaux, des salles de classe, de la scène politique. Et moi, une femme qui avait lutté des années pour que sa voix soit entendue, j’ai vu, en un instant, tout devenir silence. Ma famille était restée à Kaboul. Nous appartenions à une communauté qui avait payé un lourd tribut, et cela redoublait mon inquiétude. Les messages nocturnes de ma famille m’étouffaient ; peur, abandon, incertitude. Mais, dès la troisième nuit, ma décision était prise. Je ne me rendrai pas. Si je n’avais plus rien avec quoi me battre, ma voix, ma plume et mes souvenirs étaient toujours vivants.
Je suis partie. J’ai écrit. J’ai pris la parole. Dans chaque rencontre, chaque conférence, chaque média qui m’ouvrait ses portes, j’ai parlé de l’Afghanistan ; des filles privées d’école, des femmes effacées, des gens pris entre deux ténèbres. La diplomatie n’avait plus la structure ordonnée d’autrefois. Les ambassadeurs de la République se sont dispersés ; certains ont baissé la tête devant les talibans, d’autres sont restés isolés, sans ligne claire ni soutien. Mais partout où nous nous tenions, au nom de la République, avec le souvenir de ces jours, nous avons construit un bastion. Certains ont flanché, d’autres se sont lassés, mais il reste encore une faible lueur d’espoir.
Il reste encore des combattants qui refusent que notre flambeau s’éteigne. Parfois, je me dis que si ce jour de chute n’était pas arrivé, je serais peut-être encore noyée dans les réunions officielles, encore derrière les murs prudents de la diplomatie. Mais aujourd’hui, je suis plus libre ; non libérée de la douleur, mais de la peur de me taire.
Le 15 août est pour moi un jour de deuil ; le jour où des milliers de mères, de pères, d’enfants et de femmes ont enterré leurs rêves. Mais ce jour porte aussi en lui la graine de l’espoir. Si nous sommes encore en vie, si nous écrivons encore et que nous parlons encore, cela signifie que le taliban n’a pas gagné, même s’il n’a pas perdu.
Ma voix, celle des femmes d’Afghanistan, se fait toujours entendre. Et tant qu’une femme en Afghanistan vit et écrit, la liberté respire encore. Je continue ma route ; avec les larmes, avec les souvenirs, avec la douleur, mais surtout avec la foi. Je suis toujours la fille qui a pleuré derrière les portes closes de l’école, et qui est devenue diplomate. Aujourd’hui, en exil, je suis toujours cette fille ; simplement avec une plume plus aiguisée et une voix plus forte. L’Afghanistan vit encore, bien que blessé.
Manifestations individuelles et actions en justice, où que nous soyons et dans toutes les circonstances, nous écoutons la voix et le cœur battant de notre pays. Le 15 août n’est pas un jour de deuil, c’est un jour d’éveil et de renaissance. Le jour du serment de rester ferme dans notre volonté et de changer l’histoire.

À propos du 15 août (le jour noir et la chute de l’Afghanistan) Durant les vingt années de la république, les forces de sécurité afghanes, partout dans le pays, ont affronté le pire ennemi dans les pires conditions, au prix de leur vie, défendant honnêtement leur patrie et leur peuple, et s’acquittant de leur devoir religieux. C’est une grande injustice de faire porter la responsabilité de cette chute à ces héros.
Un héros afghan se relève une fois de plus
La poussière flotte dans l’air, l’écho d’une explosion résonne encore à ses oreilles. Un convoi de Humvees afghans s’arrête brusquement, et les camarades de Hamid évaluent immédiatement les conséquences d’un engin explosif improvisé (IED). Les IED sont l’arme de prédilection des insurgés le long de cet itinéraire périlleux.
Les forces frontalières afghanes s’étaient levées tôt, le matin du 6 juin 2020, pour un convoi entre les provinces de Jowzjan et Balkh, au nord de l’Afghanistan. Si de nombreux obstacles peuvent se présenter lors de ce type d’opération, le lieutenant-colonel Hamid Saifi, commandant du 1er bataillon frontalier de la 6e brigade du 209e corps, se concentrait sur le passage d’un goulot d’étranglement bien connu : une bande étroite de route sans itinéraire alternatif.
« C’était le point de notre route qui m’inquiétait le plus », confie Hamid.
Il respira un peu mieux lorsque le premier véhicule du convoi franchit l’endroit. Mais, quelques secondes plus tard, il se retrouva suspendu la tête en bas, coincé dans une carcasse à peine reconnaissable comme étant le deuxième Humvee à avoir traversé le passage.
« Deux de mes camarades sont sortis immédiatement du véhicule et ont vu que j’avais besoin d’aide pour m’en extraire, » raconte Hamid. « Le tireur de tourelle et un autre passager ont survécu à l’IED, mais deux de mes amis sont morts dans l’explosion. »
La déflagration fut si puissante que le conducteur et un autre passager furent éjectés du véhicule. Le visage ensanglanté, la hanche fracturée et presque incapable de bouger, Hamid dut être dégagé avec précaution du Humvee écrasé par d’autres soldats.
Malgré le choc, Hamid trouva le courage de publier une vidéo de l’incident sur les réseaux sociaux quelques minutes plus tard. Animé d’un esprit de détermination, il prouva à plus de 38 000 abonnés Facebook qu’il en faudrait bien plus pour l’écarter du combat. Non seulement cela remonta le moral de ses camarades, mais la vidéo suscita plus de 7 500 réactions, 1 300 commentaires et 710 partages parmi ses amis et sa famille.
La grande majorité des commentaires lui souhaitaient un prompt rétablissement, le remerciaient pour son service et pleuraient la perte de ses camarades. Les photos de l’explosion montraient un Humvee complètement détruit, laissant beaucoup se demander comment quelqu’un avait pu en réchapper.
Hamid fut rapidement transféré sur la base militaire de l’OTAN de Camp Marmal, à Mazar-e Charif, où il se remet d’une blessure à la hanche et d’autres traumatismes. « Dans le meilleur des cas, il devrait retrouver une condition normale en quelques semaines », explique le lieutenant-colonel allemand Dr Stephan Heidenreich, directeur médical du camp et responsable de l’organisation et des procédures de soins.
Heidenreich, également médecin en soins intensifs, supervise le traitement de Hamid. Ce dernier est de bonne humeur et partage en anglais ses récits de guerre avec le personnel soignant. « Il est très intéressant et raconte à tout le monde que ce n’est pas la première fois qu’il est blessé au combat, » ajoute Heidenreich.
Hamid raconte avec un certain enthousiasme qu’il s’agit de sa quatrième hospitalisation comme soldat afghan. « J’ai déjà été dans deux véhicules touchés par des IED, mais une fois, j’étais trop près d’un tir de mortier de 84 mm et une autre fois, j’ai été blessé par des tirs amis aux côtés d’un collègue britannique. » À chaque fois, il a récupéré suffisamment pour retourner sur le champ de bataille.
« Quand j’enfile mon uniforme, je ressens de la fierté, » confie Hamid. « Cela me donne la force d’être prêt à tout sacrifier pour mon pays. » Même en convalescence après de multiples blessures, sa motivation et son énergie sont contagieuses.
Alors que Hamid et ses camarades, comme l’ensemble de l’Afghanistan, attendent avec espoir les futures négociations intra-afghanes de paix, il affirme qu’il sera prêt à faire tout ce que son pays lui demandera. À 37 ans, il a passé la majeure partie de sa vie à se battre pour la patrie qu’il aime.
Avec un sourire rassurant et déterminé, Hamid conclut : « Quand j’irai mieux, je serai prêt à affronter à nouveau les ennemis de l’Afghanistan sur le champ de bataille. »
Cela montre que les gens et les soldats avaient une forte volonté de se battre. Malheureusement, au niveau de la prise de décision, beaucoup ont trahi leurs devoirs. L’accord de paix entre les États-Unis et les talibans a également conduit à la libération de milliers de prisonniers talibans, tandis que les soldats du gouvernement ont reçu l’ordre d’en haut de ne pas se battre.
N’oublions pas ces récits.
Quatrième anniversaire de la chute de la République et perspectives de la lutte pour la liberté de l’Afghanistan

Général Yasin Zia
Par Yasin Zia
L’arrivée du 24 Asad rappelle l’un des jours les plus sombres de l’histoire contemporaine de l’Afghanistan. Ce que nous avons subi, nous et notre pays, durant ces quatre années de domination talibane, ne saurait en aucun cas être considéré comme un destin mérité pour un peuple qui a sacrifié sans compter pour la liberté, la foi et ses valeurs historiques et culturelles.
L’Afghanistan actuel ressemble à une immense prison dirigée par des groupes terroristes, qui traitent ses habitants comme des captifs et des esclaves, tout en pillant sans relâche ses richesses matérielles et spirituelles.
La volonté de normaliser et de présenter comme normal cet état de fait — entreprise amorcée bien avant ces quatre années — a désormais porté ses fruits : le résultat est l’une des plus grandes tragédies de l’histoire, et elle se déroule dans l’indifférence générale.
Dans cette ère post-républicaine, marquée par les contradictions et les incohérences, l’effort pour maintenir vivante la flamme de la résistance — civile, politique et militaire — contre les Talibans nous a offert des enseignements précieux, que je souhaite résumer ici.
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