Paroles de terrain contre discours de salon / 1

Je me présente, je m’appelle Sophie, j’habite le Sud de la France et je viens ici, vous raconter ma merveilleuse aventure qui dure depuis trois ans avec un groupe de jeunes afghans.

En 2022, je venais tout juste de prendre ma retraite et je me demandais à quoi désormais, j’allais bien pouvoir occuper mes journées.

Pas encore grand-mère, pas très tournée vers les clubs de loisirs, je décidai donc de proposer mes services dans un CADA (centre d’hébergements pour demandeurs d’asiles ) de ma ville.

Lorsque j’ai poussé la porte de cet établissement j’étais loin d’imaginer que j’allais vivre la plus belle expérience humaine de ma vie.

Ce CADA accueille des demandeurs d’asile et des réfugiés de tous horizons.

De nombreuses communautés s’y côtoient.

Après m’avoir présenté la structure et son fonctionnement, la personne responsable des bénévoles m’a proposé de donner des cours de français à de jeunes migrants et j’avoue que sur l’instant je ne me suis pas sentie légitime dans ce projet n’ayant jamais reçu de formation dans ce domaine.

Mais elle a su me convaincre et, malgré mes craintes, j’ai aussitôt démarré cette expérience qui s’est avérée formidable.

Mes premiers élèves furent deux jeunes afghans, pachtounes de Nangarhâr.

Bien entendu c’est le hasard qui les avait réuni, ils occupaient le même logement et ils sont parvenus à faire bon ménage, pourtant issus de deux milieux sociaux très différents, l’équilibre entre eux fut trouvé assez facilement.

Je revois la scène comme si c’était hier, nous étions tous les trois un peu intimidés mais la glace fut très vite rompue.

L’ Afghanistan, que savais-je sur ce pays ? en fait très peu de choses.

Qu’il était loin, carrefour de l’Asie, de confession musulmane, envahi à plusieurs reprises par des forces étrangères, qu’il était malmené depuis longtemps, que nos cultures étaient diamétralement opposées, que les talibans venaient pour la seconde fois de reprendre le pouvoir. J’avais lu quelques livres sur le commandant Massoud, globalement mes connaissances s’arrêtaient là.

Comment allais-je bien pouvoir m’y prendre? Comment créer une relation satisfaisante pour nous trois.

L’ alchimie entre nous a pourtant bien fonctionné et nous avions beaucoup de plaisir à nous retrouver deux fois par semaine.

Ils ont très vite progressé et de ce fait, de mon côté je prenais confiance en moi.

Mais rapidement, j’ai remarqué que l’un des deux n’allait pas bien, très pâle, les yeux cernés, il se plaignait d’une douleur lancinante sur le flanc droit.

L’infirmière salariée du CADA étant elle-même en arrêt maladie j’ai demandé la permission de l’accompagner dans son périple médical.

Le premier rendez-vous fut avec un généraliste chez Médecins du Monde qui demanda une radio, puis une échographie, une prise de sang et enfin un scanner.

Personne ne parvenait à poser un diagnostic sur la raison de ses douleurs.

Au bout de trois mois de souffrance, le dernier médecin qu’il fallait consulter était un urologue.

Perplexe lui aussi à la lecture du scanner, il préféra demander l’avis d’un confrère radiologue de l’hôpital. Ultime précaution qui lui fut salutaire.

En effet, après une deuxième lecture plus approfondie du scanner le verdict est tombé: Tuberculose très avancée, logée dans le rein droit.

Hospitalisé immédiatement en infectiologie il y restera un mois.

Il était temps, après la batterie d’examens obligatoires la médecin cheffe me convoqua pour m’annoncer que, sans ma persévérance, il lui restait environ quinze jours à vivre avant septicémie.

Merci aux soignants de l’avoir sauvé, merci à mon pays de permettre ces miracles, il n’avait que vingt ans.

Je lui ai rendu visite chaque jour, en essayant d’améliorer l’ordinaire, et lui tenir compagnie.

Pour autant, il ne s’est jamais plaint, les infirmières et les aides soignantes l’on chouchouté, il était le plus jeune patient du service infectiologie.

Elles ont toutes craqué sur son joli sourire et sa gentillesse.

Nous avons fêté son anniversaire sur son lit d’hôpital et partagé le gâteau avec les infirmières. Au bout d’un mois avec un suivi infirmier à l’extérieur, il est sorti. Eureka! Notre relation, après cet épisode difficile s’est transformée et les liens tissés sont devenus  indestructibles. Il était très reconnaissant d’avoir échappé à la mort grâce à la médecine française.

Au bout de trois mois le groupe s’est étoffé petit à petit et très vite ils furent une vingtaine à assister à mes cours que j’essayais de rendre joyeux et peu académiques. A ce moment là ils avaient tous entre 20 et 25 ans.

Tout comme mes deux premiers élèves, Ils étaient en France depuis très peu de temps après un long et dangereux périple. Je n’avais, en cours de français, principalement que de jeunes afghans, pachtounes et daris. Pas question pour moi d’endosser un costume d’enseignante que je n’étais pas. Le but était qu’ils puissent rapidement s’exprimer sur les fondamentaux du quotidien. Je n’étais pas leur unique «professeure» et j’avais envie de créer avec eux une relation douce, bienveillante et apaisante. Les autres «enseignantes» bénévoles étaient plus classiques dans la méthode employée et nous nous complétions parfaitement en bonne intelligence.

A chaque début de cours j’avais pris l’habitude de leur écrire une phrase philosophique sur le tableau qu’ils traduisaient ensuite dans leur langue et cela donnait lieu à de nombreuses questions.

Par exemple: « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux»

Antoine de Saint-Exupéry.

ou «Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends»

Nelson Mandela. Etc. . .

Je leur racontai l’histoire de France, un peu de législation, leurs droits et devoirs…la condition de la femme ici, l’école obligatoire, la contraception, qu’est-ce qu’une démocratie, le monde du travail, etc. . .

Puis j’ai décidé de traduire avec eux des chansons. D’abord nous écoutions la chanson, puis, je distribuais les paroles de la chanson préalablement imprimée et j’essayais de leur apprendre des mots nouveaux de cette façon. Ainsi, ils ont découvert Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman, Céline Dion, Françoise Hardy, Lara Fabian et France Gall.

J’avais noté les dates de leur anniversaire, même si, ces dates sont sans doutes approximatives. Pour chacun, je confectionnais un gâteau et ils soufflaient les bougies pour la première fois de leur vie. À la fin du cours ! Mais aussi, chaque semaine j’apportais des thermos de thé, de café, des fruits et des biscuits, méthode implacable pour fidéliser ces jeunes gens. Le responsable du CADA s’étonnait de voir mon cours suivi avec autant d’assiduité jusqu’à ce qu’il découvre ma ruse.

A Noël, j’ ai offert à chacun un petit plaid, j’avais voulu pour l’occasion un cadeau doux et chaud, une sorte de doudou en quelque sorte, auquel j’ai ajouté des paires de chaussettes. J’avais en effet observé que beaucoup n’en portaient pas malgré le froid de décembre. Je crois qu’ils ont apprécié.

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