septembre 4, 2025

Le Baloutchistan : Épicentre d’un Conflit Complexe

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L’État islamique revendique l’attentat meurtrier au Baloutchistan
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Un kamikaze a tué quinze personnes et blessé 38 autres lors d’un meeting politique à Quetta. L’explosion a ciblé les membres du Balochistan National Party réunis dans un stade.

Analyse du Conflit au Baloutchistan : Le Rôle de Jaish al-Adl

Le Baloutchistan : Épicentre d’un Conflit Complexe

Une analyse visuelle de l’insurrection baloutche, du groupe militant Jaish al-Adl et des tensions géopolitiques qui en découlent.

Carrefour Stratégique

Le Baloutchistan s’étend sur 3 nations (Iran, Pakistan, Afghanistan) et borde le détroit d’Ormuz, une artère vitale du commerce mondial.

Richesse Naturelle

La région abrite d’importantes réserves inexploitées de gaz, d’or et de cuivre, attisant les convoitises et les griefs locaux.

Instabilité Chronique

Depuis 1948, de multiples vagues d’insurrection ont secoué la région, alimentées par un sentiment de marginalisation.

Jaish al-Adl : Un Acteur Hybride

Nationalisme Baloutche

Lutte pour l’indépendance et les droits du peuple baloutche face à la marginalisation.

+

Jihadisme Sunnite

Guerre sectaire contre le gouvernement chiite iranien, perçu comme un oppresseur.

Une Double Idéologie

Jaish al-Adl (l’Armée de la Justice) est né en 2012 des cendres de Jundallah. Le groupe fusionne des revendications ethno-nationalistes avec un agenda jihadiste sunnite. Cette dualité le distingue des autres mouvements séparatistes baloutches, plus laïcs, et définit ses cibles : principalement l’État iranien et les symboles de son autorité chiite. Cette idéologie hybride lui permet de mobiliser sur deux fronts : l’identité ethnique et l’affiliation religieuse.

Chronologie d’une Escalade Violente

Les attaques de Jaish al-Adl ont gagné en sophistication et en létalité au fil des ans, passant d’embuscades frontalières à des assauts coordonnés sur des bases militaires.

Octobre 2013: Embuscade contre des gardes-frontières à Saravan. 14 morts.

Février 2019: Attentat-suicide contre un bus des Gardiens de la Révolution. 27 morts.

Avril 2024: Attaques coordonnées contre des postes militaires à Rask et Chabahar. 11 membres des forces de sécurité tués.

Juillet 2025: Attaque contre un bâtiment de la justice à Zahedan. 9 morts, dont 6 civils.

Comparaison des Mouvements Insurgés

La lutte baloutche n’est pas monolithique. Les différents groupes ont des idéologies, des cibles et des zones d’opérations distinctes. Ce graphique compare les cibles principales des trois acteurs majeurs, illustrant la focalisation de Jaish al-Adl sur l’Iran, tandis que les autres ciblent principalement le Pakistan et les intérêts chinois.

Le Coût Humain de la Répression

La réponse étatique, en particulier au Pakistan, est marquée par de graves violations des droits humains. Les disparitions forcées sont une tactique courante, le Baloutchistan représentant une part disproportionnée du total national, ce qui alimente le cycle de la violence et le recrutement par les groupes militants.

Un Écheveau de Relations Géopolitiques

Le conflit est exacerbé par un réseau complexe d’alliances, de rivalités et d’accusations entre acteurs régionaux et internationaux. Les actions de Jaish al-Adl ont provoqué des frappes militaires directes entre l’Iran et le Pakistan, démontrant la fragilité de la stabilité régionale.

IRAN

ATTAQUE

→

←

RIPOSTE

PAKISTAN

↓

Cible Jaish al-Adl sur le sol pakistanais (Jan. 2024)

↓

JAISH AL-ADL

Base arrière présumée au Pakistan

L’Iran coopère avec les Talibans contre JAA

TALIBANS (AFG)

Hostiles à Jaish al-Adl

Analyse Géopolitique de Jaish al-Adl et de l’Insurrection Baloutche dans un Contexte Régional Tendu

Contexte Géographique et Géopolitique du Baloutchistan

Le Baloutchistan est une région vaste et stratégiquement cruciale, s’étendant à travers les frontières de l’Iran, du Pakistan et de l’Afghanistan. Bien que peu peuplé, ce territoire semi-désertique est un carrefour géopolitique majeur.1 Il recèle d’immenses réserves de ressources naturelles non exploitées, notamment du gaz, de l’or et du cuivre, parmi les plus importantes d’Asie.2 La région est divisée administrativement en provinces du Sistan-Baloutchistan en Iran et du Baloutchistan au Pakistan, avec une continuité ethnique du peuple baloutche de part et d’autre des frontières.4 Cette division coloniale et l’importance de ses frontières poreuses sont des facteurs fondamentaux de la dynamique de conflit qui y règne. La proximité avec l’Afghanistan, en particulier, et le débouché sur le détroit d’Ormuz et le golfe Persique, confèrent au Baloutchistan une importance géostratégique considérable, qui attire l’attention et les investissements des puissances régionales et internationales.1

Problématique et Cadre de l’Analyse

Le présent rapport a pour objectif d’analyser en profondeur l’émergence et les opérations du groupe militant Jaish al-Adl (JAA). Il cherche à déterminer comment les actions de ce groupe s’inscrivent dans la lutte armée historique et multiforme du peuple baloutche et quelles sont les implications de cette dynamique sur la stabilité régionale. L’analyse ne se limite pas à la simple description du groupe, mais explore également ses motivations idéologiques, ses stratégies opérationnelles, ses relations avec d’autres mouvements baloutches, et surtout les dynamiques interétatiques complexes qu’il génère.

Aperçu des Principaux Acteurs et Mouvements

Jaish al-Adl, dont le nom signifie « Armée de la Justice » en arabe, est au cœur de cette étude. Il se distingue par une double orientation : il est à la fois une organisation nationaliste baloutche qui milite pour les droits de sa communauté, et un groupe jihadiste sunnite qui mène une guerre sectaire contre l’Iran, majoritairement chiite.4 D’autres mouvements, tels que l’Armée de libération du Baloutchistan (BLA) et le Front de libération du Baloutchistan (BLF), opèrent dans la région. Ces derniers sont principalement motivés par le nationalisme ethno-séparatiste et ciblent les intérêts pakistanais, chinois et les « non-Baloutches » résidant dans la province pakistanaise.6 En distinguant ces différents acteurs et leurs idéologies, ce rapport propose une lecture nuancée du conflit, allant au-delà de la perception monolithique d’une simple « lutte baloutche ».

Chapitre 1 : Jaish al-Adl (JAA) : Genèse, Idéologie et Modus Operandi

Filiation et Émergence

Jaish al-Adl est né en 2012, de la scission et de la restructuration de l’ancien groupe militant sunnite Jundallah (qui signifie « Soldats de Dieu »).4 Jundallah, fondé en 2002 ou 2003, avait été considérablement affaibli à la suite de l’opération menée par les forces iraniennes en 2010 qui a abouti à la capture et à l’exécution de son chef, Abdolmalek Rigi.4 JAA est ainsi perçu comme le successeur le plus actif et le plus influent de Jundallah.10 En tant que tel, il a hérité de la désignation de Jundallah en tant qu’organisation terroriste par de nombreux États, dont l’Iran, la Chine, le Japon, la Nouvelle-Zélande, le Pakistan, la Russie et les États-Unis.4

Idéologie et Revendications : Une Alliance de Nationalisme et de Jihadisme

L’idéologie de Jaish al-Adl est une fusion complexe de deux courants distincts : le nationalisme baloutche et l’islamisme sunnite. Sur le plan nationaliste, JAA affirme être un groupe séparatiste luttant pour l’indépendance de la région du Sistan et du Balouchistan et pour de plus grands droits pour le peuple baloutche, qui se sent marginalisé par le gouvernement central iranien.4 Cette aspiration est illustrée par la déclaration du groupe sur l’attaque d’avril 2024, qui visait à « contrecarrer le plan de développement côtier de Makran » du gouvernement iranien. Ce plan prévoyait de déplacer des millions de chiites dans des colonies côtières au Baloutchistan, un projet que JAA perçoit comme une menace démographique et culturelle pour le peuple baloutche.4

Parallèlement, JAA se positionne comme une organisation jihadiste sunnite, avec une forte composante sectaire anti-chiite.4 Le groupe se présente comme un « défenseur de la communauté sunnite baloutche contre l’oppression chiite ».9 Cette idéologie se manifeste par des attaques contre des civils chiites 10 et par des prises de position, comme la dénonciation de l’intervention de l’Iran dans la guerre civile syrienne.4 Cette dualité idéologique, combinant la lutte pour l’indépendance et une vision religieuse sectaire, est une caractéristique fondamentale qui distingue JAA des groupes nationalistes baloutches plus laïcs.

Modus Operandi et Chronologie des Attaques Majeures

Les tactiques de Jaish al-Adl sont variées et de plus en plus sophistiquées. Elles incluent des embuscades, des enlèvements, des assassinats ciblés, des raids transfrontaliers et des attentats-suicides.10 Le groupe utilise des armes légères, des roquettes et des engins explosifs improvisés, dont des véhicules piégés et des ceintures d’explosifs.10 Les cibles principales du groupe sont les forces de sécurité iraniennes, notamment les gardes-frontières et le Corps des Gardiens de la Révolution islamique (IRGC), mais aussi des responsables gouvernementaux et des civils chiites.10 L’évolution des attaques illustre une escalade progressive de la violence et de l’audace du groupe.

Le tableau ci-dessous synthétise une sélection des attaques les plus notables attribuées à Jaish al-Adl ou à son prédécesseur Jundallah, mettant en évidence la nature et l’évolution de leurs opérations.

Date	Lieu	Cible	Bilan (estimé)	Revendication / Motivation
25 octobre 2013	Saravan, Iran	Gardes-frontières iraniens	14 morts	En représailles à la condamnation à mort de 16 prisonniers baloutches 4
13 février 2019	Province du Sistan-Baloutchistan, Iran	Bus de l’IRGC	27 morts, 18 blessés	Attentat-suicide contre des forces de sécurité 10
4 avril 2024	Villes de Rask et Chabahar, Iran	Postes militaires et de police	11 forces de sécurité tuées	Pour contrer le « plan de développement côtier de Makran » iranien 4
13 septembre 2024	Mirjaveh, Iran	Gardes-frontières iraniens	3 morts	Attaque dans une ville frontalière près du Pakistan 4
26 octobre 2024	Province du Sistan-Baloutchistan, Iran	Convoi de police	10 policiers tués	Attaque dans la région 4
10 novembre 2024	Saravan, Iran	IRGC	5 soldats tués	Ambush d’un poste de guet près de la frontière pakistanaise 4
26 juillet 2025 22 aout 2025	Zahedan, Iran Frontière iranienne	Bâtiment de la justice 9 policiers iraniens tués	9 morts (6 civils, 3 assaillants)	Le groupe djihadiste sunnite Jaish al-Adl a revendiqué l’attaque

Le tableau met en évidence un schéma d’escalade. Initialement concentré sur des embuscades de gardes-frontières en 2013 4, le groupe a montré une capacité croissante à mener des attaques coordonnées et complexes sur des installations militaires et de police, comme en avril et en octobre 2024.4 Cette évolution confirme l’analyse selon laquelle JAA est devenu « plus audacieux dans ses attaques » et qu’il est capable de frapper de manière plus ciblée et létale qu’auparavant.9

Organisation, Leadership et Financement

Le groupe a connu des changements importants à sa tête. Son chef, Salahuddin Farooqui, a été tué en 2024 dans une opération conjointe menée par le Pakistan et l’Iran.4 Son frère, Amir Naroui, également un leader de l’organisation, a été tué en 2024 lors d’affrontements avec les Talibans en Afghanistan.4

La question du financement de Jaish al-Adl fait l’objet de diverses allégations. Les médias d’État iraniens ont accusé à plusieurs reprises l’Arabie saoudite et les États-Unis d’être les principaux soutiens du groupe, fournissant des armes et de l’équipement.4 Ces accusations sont cependant remises en question par d’autres analyses. Un journaliste pakistanais et analyste du terrorisme ont affirmé que ces allégations étaient « largement infondées » et qu’elles ignoraient les politiques oppressives de l’Iran, qui constituent la cause profonde de la résistance.9 Selon ces analystes, les principales sources de revenus de JAA proviennent des « Baloutches influents et riches » basés dans les États du Golfe persique et d’une « source substantielle » de revenus issue du trafic de drogue.9 L’Iran se trouve en effet sur une importante route de contrebande d’opium reliant l’Afghanistan à l’Europe.9 Le groupe aurait également bénéficié de la prolifération d’armes qui se sont « retrouvées entre les mains de divers groupes militants » à la suite du retrait américain d’Afghanistan en 2021.9 Le recours par le groupe à des initiatives de collecte de fonds via des cryptomonnaies sur son site web et sa chaîne Telegram est également un indicateur de ses méthodes de financement.9

Chapitre 2 : La Dynamique du Conflit en Afghanistan et les Relations avec les Talibans

L’Assertion sur Kandahar : Démystification et Réalité

La question de savoir si Jaish al-Adl est hébergé à Kandahar, en Afghanistan, est un point central de la requête. L’examen des informations disponibles révèle que cette assertion est factuellement inexacte et ne reflète pas la complexité des relations entre les différents acteurs. Bien que JAA opère dans les « zones à majorité baloutche d’Afghanistan » 10, une information cruciale vient contredire l’idée d’un hébergement par les Talibans : le frère d’un leader de JAA, Amir Naroui, a été tué par les Talibans en Afghanistan.4 Le groupe n’est donc pas un allié de la milice afghane, mais au contraire un de ses adversaires.

Cette exécution, loin de suggérer une alliance, révèle une dynamique plus nuancée et pragmatique. L’Iran et les Talibans, bien que historiquement opposés, ont développé une relation de coexistence et de coopération pour des raisons d’intérêts mutuels.14 Les deux entités considèrent l’État islamique Province du Khorassan (ISKP) et les États-Unis comme des menaces communes plus importantes.14 L’Iran a d’ailleurs cultivé des liens avec de hauts commandants talibans à Kandahar, le bastion du groupe.14 Jaish al-Adl, en tant que groupe sunnite anti-iranien, constitue une menace pour les intérêts stratégiques de Téhéran. Le fait que les Talibans aient agi contre un chef de JAA peut être interprété comme une démonstration de leur volonté de s’aligner sur les intérêts sécuritaires de l’Iran. Cette action illustre un calcul d’intérêts qui transcende les différends idéologiques et ethniques, suggérant que les Talibans sont prêts à éliminer les menaces perçues contre leurs alliés iraniens afin de préserver une relation qui leur est mutuellement bénéfique.

Chapitre 3 : L’Insurrection Baloutche : Une Lutte Armée Historique et Multiforme

Les Origines et les Vagues de Rébellions

L’insurrection baloutche est un mouvement qui s’inscrit dans une longue histoire de résistance, débutant avec la division du territoire par les Britanniques.8 Le nationalisme baloutche est né en opposition à l’annexion forcée du Khanat de Kalat par le Pakistan nouvellement formé en 1948.3 Depuis lors, la région a connu plusieurs vagues de rébellions : en 1948, 1958-1960, 1962-1963, 1973-1977, et la cinquième, qui a débuté au début des années 2000 et qui est toujours en cours.8

Les griefs du peuple baloutche sont multiples et profonds. Ils dénoncent une exploitation systématique de leurs vastes ressources naturelles sans retombées économiques pour la population locale, qui reste majoritairement pauvre.2 De plus, les Baloutches se sentent marginalisés sur le plan politique, accusant l’État pakistanais de les exclure des fonctions clés et de les priver de représentation fédérale proportionnelle à leur territoire.3 Le sentiment de dépossession s’est intensifié avec l’afflux de populations pachtounes et pendjabies, exacerbant les tensions ethniques.3

La Diversité des Mouvements Armés Baloutches

Il est essentiel de comprendre que la lutte baloutche n’est pas un mouvement unique. Les différentes organisations armées peuvent être distinguées en fonction de leurs idéologies, de leurs cibles et de leurs stratégies. Il est ainsi possible de faire la différence entre les groupes à motivation nationaliste et ceux à motivation religieuse.

Le tableau ci-dessous permet de comparer les principales organisations baloutches afin de mettre en lumière leurs différences fondamentales.

Nom du Groupe	Idéologie	Principaux Opposants/Cibles	Lieux d’Opération
Jaish al-Adl (JAA)	Nationalisme baloutche, Jihadisme sunnite, Sectarisme anti-chiite 4	Gouvernement iranien, Corps des Gardiens de la Révolution islamique (IRGC), Civils chiites 4	Iran (Sistan-Baloutchistan), Pakistan (Baloutchistan), Afghanistan 4
Armée de Libération du Baloutchistan (BLA)	Ethno-nationalisme, Séparatisme 7	État pakistanais (forces armées, policiers), Intérêts chinois (projets CPEC), Civils non-baloutches (Pendjabis, Pachtounes) 7	Pakistan (Baloutchistan), Afghanistan 7
Front de Libération du Baloutchistan (BLF)	Ethno-nationalisme, Séparatisme 6	État pakistanais, Sécurité	Pakistan (Baloutchistan) 6

Le tableau illustre la distinction critique entre les groupes. La BLA et le BLF sont des organisations « ethno-nationalistes » qui luttent pour l’indépendance de la province pakistanaise du Baloutchistan et ciblent les intérêts pakistanais et chinois.7 JAA, en revanche, est un groupe « jihadiste sunnite » dont l’agenda inclut une dimension sectaire explicite, ciblant le gouvernement chiite iranien.4 Cette divergence idéologique est si profonde que des groupes comme l’ISKP, qui partagent une idéologie jihadiste avec JAA, ont déclaré la guerre à des groupes nationalistes comme le BLA.20

Conséquences Humanitaires et Radicalisation

La répression étatique est un facteur de déstabilisation majeur dans la région et une cause de la radicalisation. Les rapports de plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, notamment Human Rights Watch et Amnesty International, documentent un nombre alarmant de violations. Entre 2011 et janvier 2024, le Pakistan a enregistré plus de 10 078 cas de disparitions forcées, dont 2 752 dans la province du Baloutchistan seule.21 De nombreuses victimes de ces enlèvements sont torturées, et leurs familles finissent parfois par découvrir leurs corps dans des fosses communes.21 Le cas de l’activiste Mahrang Baloch, dont la disparition a entraîné une vague de protestations 2, illustre de manière emblématique la politique répressive de l’État.

Cette répression systémique n’est pas seulement une réaction à l’insurrection, elle en est un moteur. Les groupes militants baloutches reconnaissent que le mécontentement de la population et les « horreurs des droits humains » infligées par l’armée pakistanaise alimentent le recrutement.16 Le soutien populaire, notamment parmi la jeune génération, ne cesse de croître, nourrissant ainsi les rangs des mouvements armés et non-armés.16 Cette dynamique de violence et de radicalisation, qui s’est intensifiée depuis 2017 16, suggère que tant que les causes profondes de l’oppression et de la marginalisation ne seront pas traitées, le conflit continuera de s’envenimer.

Chapitre 4 : Le Baloutchistan : Un Point Focal des Tensions Géopolitiques Régionales

Un carrefour stratégique et un catalyseur de tensions

La situation du Baloutchistan est intrinsèquement liée à sa position géostratégique. Outre sa richesse en ressources, sa façade maritime sur le détroit d’Ormuz lui confère un rôle clé dans le commerce mondial.1 Cette importance stratégique est à l’origine de projets de développement contestés, comme le Corridor économique Chine-Pakistan (CPEC) et le plan de développement côtier de Makran en Iran.3 Ces initiatives, souvent perçues comme une forme de colonisation économique, exacerbent le sentiment de dépossession de la population locale et en font des cibles privilégiées pour les groupes militants, notamment la BLA qui s’est ouvertement opposée au CPEC.7

Les Relations Iran-Pakistan : Une alliance contre nature?

Les attaques de Jaish al-Adl agissent comme un catalyseur direct de l’escalade des tensions interétatiques. La relation entre l’Iran et le Pakistan est marquée par une coopération sécuritaire, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, mais aussi par une méfiance mutuelle.3 L’incident de janvier 2024 illustre parfaitement cette dynamique : en réponse à une série d’attaques de JAA sur son sol, l’Iran a mené des frappes de missiles et de drones contre des cibles de JAA à l’intérieur du Pakistan.9 Le Pakistan a immédiatement riposté en ciblant des « séparatistes baloutches » en territoire iranien, tuant au moins trois femmes et quatre enfants.22 Cet échange militaire sans précédent démontre comment les actions d’un groupe militant peuvent faire déborder un conflit interne en un affrontement militaire direct entre deux États souverains. Cette escalade révèle la fragilité de la sécurité régionale et la capacité des acteurs non étatiques à déclencher des crises géopolitiques majeures.

Le Jeu des Acteurs Internationaux

La situation est compliquée par les intérêts et les influences d’acteurs internationaux. La Chine, investissant massivement dans le CPEC, a vu ses projets et ses ressortissants devenir des cibles des insurgés baloutches 7, ce qui met en péril ses ambitions régionales.15 Le Pakistan a accusé à plusieurs reprises l’Inde de soutenir et de financer les groupes militants baloutches, comme la BLA, afin d’affaiblir le pays.3 En parallèle, l’Iran accuse ses adversaires comme l’Arabie saoudite et les États-Unis de financer des groupes militants comme Jaish al-Adl 4, bien que les États-Unis aient eux-mêmes désigné JAA comme une organisation terroriste, ce qui rend la situation complexe.4

Conclusion

L’analyse de Jaish al-Adl et du conflit dans la région du Baloutchistan révèle une situation d’une complexité extrême, caractérisée par une superposition d’enjeux locaux, nationaux et internationaux. Jaish al-Adl se distingue en tant que groupe hybride, qui a su fusionner les revendications séculaires du nationalisme baloutche avec une idéologie sectaire jihadiste. Cette dualité le place dans une position unique et explique en partie sa capacité à déstabiliser l’Iran.

L’hypothèse selon laquelle Jaish al-Adl serait hébergé par les Talibans à Kandahar est erronée. Loin d’être des alliés, les deux entités ont des relations conflictuelles, comme en témoigne la mort d’un leader de JAA des mains des Talibans. Cette action s’inscrit dans un calcul d’intérêts mutuels et une volonté de coopérer avec l’Iran pour des raisons de sécurité régionale, notamment face à la menace de l’État islamique.

La lutte armée baloutche n’est pas monolithique, mais se compose de plusieurs factions aux idéologies divergentes. La distinction entre les groupes nationalistes et jihadistes est essentielle pour comprendre la dynamique du conflit. Le moteur de cette insurrection réside dans les griefs profonds de la population, la pauvreté, et une marginalisation politique et économique, des conditions que la répression étatique brutale ne fait qu’aggraver, nourrissant un cycle de violence et de radicalisation.

Enfin, la région du Baloutchistan est un point focal où les tensions interétatiques se cristallisent. Les actions des groupes militants comme JAA peuvent directement provoquer des réponses militaires transfrontalières, comme en janvier 2024, transformant un conflit interne en une confrontation régionale. L’implication d’acteurs internationaux tels que la Chine, l’Inde, l’Arabie saoudite et les États-Unis ajoute des couches de complexité, faisant du Baloutchistan un véritable tinderbox géopolitique. Les solutions sécuritaires n’ayant pas réussi à résoudre le conflit, une résolution durable de l’insurrection baloutche exigera de s’attaquer de manière significative aux causes profondes de la marginalisation et de l’oppression subies par le peuple baloutche.