La militarisation de l’eau en Afghanistan
Le projet de barrage sur la rivière Kunar, lancé par les Talibans sur ordre direct de Hibatullah Akhundzada, n’est pas qu’un chantier hydraulique : c’est devenu un instrument de pouvoir dans la relation avec le Pakistan. Kaboul présente ce barrage comme un symbole d’indépendance et de « récupération des ressources nationales », mais la réalité hydrologique est beaucoup plus fragile.
La Kunar tire l’essentiel de son eau – jusqu’à 75 à 80 % – des glaciers et vallées pakistanaises de Chitral. Cela signifie que si Islamabad construit en amont un ouvrage de dérivation, le futur barrage afghan pourrait ne jamais se remplir. Dans ce cas, c’est l’Afghanistan qui aurait dépensé plusieurs milliards de dollars pour un équipement sous-alimenté, et non le Pakistan.
De son côté, Islamabad a déjà averti qu’il ne laisserait pas Kaboul « ignorer les droits pakistanais sur l’eau » et rappelle qu’il dispose de leviers de pression. La militarisation vient de là : l’eau est brandie comme moyen de pression, dans un contexte de heurts frontaliers et d’accords encore discutés à Istanbul sous médiation qatarie et turque.
Les experts afghans soulignent un autre point faible : le décret taliban impose de construire « vite » et « avec des entreprises nationales » sans étude d’impact environnemental ni mécanisme de gestion partagée du bassin de la rivière Kabul. Sans cadre commun, le risque est double : crise écologique en Afghanistan (baisse de débit, sédimentation, tension sur Naghlu/Mahipar/Darunta) et crispation sécuritaire au Pakistan. Autrement dit, ce qui est présenté comme une affirmation de souveraineté peut, faute d’évaluations scientifiques et d’accord transfrontalier, se retourner contre l’Afghanistan.
L’Eau, Arme Géopolitique en Afghanistan
Une analyse des tensions hydriques, des stratégies de pouvoir des talibans et du lien avec l’économie de l’opium.
Le Paradoxe Hydrique Afghan
Malgré un potentiel hydrique considérable de 75 milliards de m³, l’Afghanistan fait face à une crise de l’eau profonde, exacerbée par des décennies de conflit et le changement climatique.
de la population n’a pas accès à l’eau potable.
Le Traité de 1973 : Un Accord Fragilisé
Signé en 1973, cet accord est la pierre angulaire juridique du partage des eaux, mais son application est minée par l’instabilité politique et les sécheresses récurrentes.
| Disposition | Détail |
|---|---|
| Allocation à l’Iran | 850 millions de m³ par an |
| Flexibilité | Réduction proportionnelle en cas de sécheresse |
| Point de friction | Station de mesure clé hors service, rendant la vérification impossible |
Le Front Nord : Le Canal Qosh Tepa et l’Asie Centrale
Le projet de canal Qosh Tepa, détournant les eaux du fleuve Amou-Daria, inquiète l’Ouzbékistan et le Turkménistan, très dépendants de ce fleuve pour leur agriculture et leur consommation.
Utilisation de l’Amou-Daria
L’Afghanistan utilise actuellement une part infime du débit du fleuve, mais le potentiel de développement agricole menace l’équilibre régional.
Réduction potentielle du débit en aval à cause du canal Qosh Tepa.
EAU et POUVOIR
Le contrôle de l’eau est un outil de pouvoir interne pour les talibans, directement lié à la culture du pavot, une culture résistante à la sécheresse et historiquement lucrative.
Chute Drastique de la Culture du Pavot (2022 vs 2023)
Suite à l’interdiction décrétée par les talibans en avril 2022, la production s’est effondrée, avec des conséquences économiques dévastatrices pour les agriculteurs.
Effondrement des Revenus Agricoles
La perte de revenus de l’opium, sans alternative viable, a plongé des millions de ruraux dans une précarité extrême.
L’Eau comme Levier de Contrôle Taliban
La gestion des ressources hydriques est une stratégie clé pour asseoir l’autorité du régime, influencer les communautés locales et alimenter le recrutement.
Contrôle des Barrages
Gestion stratégique des infrastructures clés.
Influence sur les Agriculteurs
Pression sur les institutions locales (« mirabs »).
Levier de Recrutement
L’insécurité hydrique pousse les jeunes vers le groupe.
Tensions hydropolitiques, stratégies de pouvoir talibanes et l’ombre de l’opium
I. Introduction : L’Eau, un Enjeu Géopolitique et de Sécurité en Afghanistan
L’eau, ressource vitale et souvent rare, est devenue un facteur central des dynamiques géopolitiques et de sécurité en Afghanistan et dans la région environnante. Ce rapport explore la complexité de cette situation, en analysant comment le contrôle et la gestion des ressources hydriques sont instrumentalisés, non seulement dans les relations interétatiques, mais aussi comme un pilier des stratégies de pouvoir interne des Talibans, avec des ramifications profondes pour l’économie illicite de l’opium.
A. Le Contexte Hydrique de l’Afghanistan : Vulnérabilité et Potentiel
L’Afghanistan est un pays caractérisé par un paradoxe hydrique. Bien qu’il dispose d’un potentiel hydrique relativement favorable, estimé à 75 milliards de mètres cubes d’eau accessible, et d’une position stratégique en amont sur plusieurs fleuves transfrontaliers majeurs, le pays est plongé dans une crise de l’eau profonde et persistante. Cette crise est le résultat de décennies de conflits, d’instabilité politique, et d’une gestion des ressources hydriques souvent défaillante. La guerre a eu des conséquences dévastatrices sur les systèmes d’irrigation, dont un tiers a été détruit, et a entraîné l’abandon d’un tiers des exploitations agricoles.
La situation est aggravée par des facteurs environnementaux critiques. Le pays connaît des cycles de sécheresse de plus en plus fréquents et intenses, avec une quasi-doublure du nombre d’années de sécheresse entre 1995 et 2018, atteignant 11 ans au total. En 2018, 22 des 34 provinces afghanes ont été touchées, avec des diminutions de précipitations de neige et de pluie allant jusqu’à 70% par rapport aux moyennes annuelles, entraînant des pertes massives de récoltes et de bétail, y compris une perte d’au moins 2,5 millions de tonnes de blé. La fonte précoce des neiges en montagne, due à des températures élevées, exacerbe les pénuries d’eau potable et d’irrigation dans de nombreuses régions. Ces conditions climatiques extrêmes, combinées à des inondations dévastatrices qui suivent souvent les périodes arides, créent un environnement précaire où les sols asséchés ne peuvent absorber l’eau, augmentant les risques de catastrophes naturelles.
Les conséquences humanitaires sont alarmantes : plus de 70% de la population n’a pas accès à l’eau potable salubre, et la demande en eau, en particulier dans les zones urbaines, ne cesse de croître. L’agriculture, secteur vital qui emploie 80% de la population et consomme 90% de l’eau du pays, est gravement affectée par ces pénuries, contribuant à une insécurité alimentaire aiguë qui touche un tiers des Afghans. La crise hydrique en Afghanistan n’est donc pas seulement une question de rareté naturelle, mais une crise systémique où les impacts du changement climatique, tels que les sécheresses, les inondations et les fluctuations extrêmes de température , se combinent avec des infrastructures fragiles et une gouvernance défaillante. Cette convergence crée une boucle de rétroaction négative où le stress environnemental exacerbe directement les crises humanitaires et l’instabilité politique. La position en amont de l’Afghanistan, tout en offrant un levier potentiel sur les pays en aval, lui confère également une lourde responsabilité régionale en matière de gestion de l’eau, soulignant l’interconnexion de ces éléments comme un déterminant fondamental de la stabilité nationale et des relations régionales.
B. Définition de la Militarisation de l’Eau et Pertinence pour l’Afghanistan
La militarisation de l’eau, dans son acception la plus large, se réfère à l’utilisation stratégique de l’eau ou des infrastructures hydriques comme un instrument de pouvoir, de pression, de coercition ou de conflit. Cela englobe non seulement les actions militaires directes visant à contrôler ou détruire des ressources en eau, mais aussi l’exploitation délibérée de ces ressources pour atteindre des objectifs politiques, économiques ou sécuritaires. En Afghanistan, ce concept prend une dimension particulièrement pertinente en raison de sa géographie et de son histoire.
Le pays, avec ses barrages stratégiques tels que Kamal Khan et Kajaki, et sa position en amont sur des fleuves transfrontaliers majeurs comme l’Helmand et l’Amou-Daria, est un théâtre privilégié de cette militarisation. Le contrôle de ces infrastructures confère un pouvoir considérable sur les pays en aval qui dépendent de ces mêmes cours d’eau. Le concept de « militarisation de l’eau » en Afghanistan s’étend ainsi au-delà des actions militaires ouvertes pour englober le levier diplomatique et les mécanismes de contrôle interne. La construction de barrages par l’Afghanistan, même si elle est officiellement justifiée par des objectifs de développement interne et d’autosuffisance , est perçue par l’Iran comme une réduction « drastique » du débit du fleuve Helmand , entraînant de « graves impacts écologiques et économiques ». Cette perception transforme le simple acte de gestion des ressources en un acte de pouvoir stratégique.
Le fait que le contrôle de l’eau, sans même recourir à la force armée directe, puisse être utilisé pour exercer une pression significative sur un pays voisin justifie pleinement l’emploi du terme « militarisation ». Cela souligne comment la ressource hydrique, en tant qu’élément essentiel à la survie et à l’économie, devient un enjeu de sécurité nationale et un outil dans la compétition géopolitique. Les barrages, en tant que points de contrôle physiques sur les flux d’eau, deviennent des actifs stratégiques de premier ordre, dont la gestion et l’accès sont des sujets de haute tension.
C. Aperçu des Tensions et des Acteurs Clés
Les tensions hydropolitiques en Afghanistan se concentrent principalement sur le fleuve Helmand, qui traverse le sud-ouest de l’Afghanistan et l’est de l’Iran, où il alimente les zones humides du Sistan. L’Iran, en tant que pays en aval, dépend crucialement de ses eaux pour sa province du Sistan-Baloutchistan, une région aride où la pénurie d’eau est considérée comme une « priorité existentielle ». Les différends autour de cette ressource ont conduit à des affrontements frontaliers mortels en mai 2023.
Au nord, les relations avec l’Ouzbékistan et le Turkménistan sont également un facteur croissant de préoccupation régionale. Ces pays dépendent fortement du fleuve Amou-Daria, dont l’Afghanistan contribue à 30% du débit mais n’utilise que 2% de son déversement total, tandis que l’Ouzbékistan en utilise 48,2% et le Turkménistan 35,8%. Des projets afghans, comme le canal de Qosh Tepa, sont susceptibles de réduire le débit en aval de 15%, soulevant des inquiétudes quant à l’approvisionnement futur en eau de ces nations.
Les Talibans, en tant qu’autorité de facto en Afghanistan depuis août 2021, sont au centre de ces dynamiques. Ils cherchent à la fois à affirmer leur souveraineté hydrique par le développement d’infrastructures telles que les barrages Kamal Khan et Kajaki , et à obtenir une reconnaissance régionale par des négociations sur l’eau et l’énergie. La stratégie hydropolitique des Talibans est à double tranchant : elle vise à affirmer la souveraineté nationale et l’autosuffisance par le biais d’infrastructures hydriques , tout en utilisant l’eau comme monnaie d’échange diplomatique pour obtenir une reconnaissance et une coopération régionales. Cette approche révèle un pragmatisme opportuniste dans la politique étrangère d’un régime largement isolé sur la scène internationale, où les ressources sont des outils de pouvoir. La construction de barrages pour l’autonomie et l’utilisation des lâchers d’eau comme « levier diplomatique » démontrent une stratégie calculée et cohérente, visant à renforcer leur position interne et externe.
II. Le Bassin de l’Helmand : Une Histoire de Conflits Hydriques et de Traités
Le fleuve Helmand, le plus long d’Afghanistan avec 1150 kilomètres, traverse des régions arides avant d’atteindre les zones humides du Sistan en Iran. Son bassin est d’une importance capitale pour la province iranienne du Sistan-Baloutchistan et les régions du sud-est de l’Afghanistan. Cette interdépendance a fait du Helmand une source de tensions récurrentes entre les deux pays.
A. Historique des Litiges sur le Partage des Eaux de l’Helmand
Le problème de l’eau entre l’Iran et l’Afghanistan, lié au fleuve Helmand, remonte au XIXe siècle et est une source de conflit depuis plus d’un siècle, entraînant des « discours radicaux » particulièrement pendant les périodes de sécheresse. Des tentatives de résolution ont été entreprises dès la fin des années 1800, y compris avec l’aide des États-Unis en 1951 pour former une commission d’enquête sur le delta du fleuve Helmand, qui a formulé des recommandations.
En 1969, l’Afghanistan avait proposé de fournir plus d’eau si l’Iran lui accordait un accès amélioré aux ports iraniens de Chabahar et Bandar Abbas, ainsi qu’une aide au développement. Cette proposition met en évidence une reconnaissance précoce de l’interdépendance entre les ressources hydriques et les opportunités économiques, suggérant que l’eau a toujours été perçue comme un actif stratégique, bien au-delà d’une simple préoccupation humanitaire, et un outil pour un levier diplomatique plus vaste. La longue histoire des litiges sur le fleuve Helmand révèle que la rareté de l’eau n’est pas un défi nouveau, mais une ligne de faille géopolitique persistante. Le lien historique entre les droits à l’eau et des accords économiques et de transit plus larges indique que l’eau a toujours été un instrument de pouvoir stratégique.
B. Analyse Détaillée du Traité de 1973 entre l’Afghanistan et l’Iran
Le traité sur l’eau du fleuve Helmand de 1973 est l’accord le plus significatif et le seul spécifique que l’Afghanistan ait jamais conclu concernant les allocations d’eau. Il a été signé le 13 mars 1973 par les Premiers ministres de l’Iran et de l’Afghanistan, Amir Abbas Hoveyda et Mohammad Musa Shafiq, respectivement.
1. Dispositions et Obligations
Le traité établit un cadre juridique précis pour le partage des eaux du Helmand. Il stipule que l’Afghanistan est tenu de livrer annuellement 850 millions de mètres cubes d’eau à l’Iran, ce qui correspond à un débit moyen de 22 mètres cubes par seconde, avec 4 mètres cubes supplémentaires par seconde alloués pour « bonne volonté et relations fraternelles ». Les livraisons mensuelles sont spécifiées pour les « années hydriques normales », définies comme des années avec un débit total en amont du barrage de Kajaki à Dehrawud d’au moins 5661 millions de mètres cubes entre le 1er octobre et le 30 septembre suivant.
Le traité prévoit une flexibilité cruciale en cas d’années de faible débit, permettant une réduction proportionnelle du flux alloué à l’Iran en fonction de la déviation mesurée par rapport à une année normale pour un mois donné. Les points de livraison de l’eau à l’Iran sont spécifiés : à la ligne frontière au niveau de la rivière Sistan et entre les marqueurs frontaliers 51 et 52 sur le fleuve Helmand. Le traité stipule également que l’Afghanistan doit fournir de l’eau d’une qualité pouvant être traitée, si nécessaire, pour l’irrigation et l’usage domestique, plaçant ainsi la charge du traitement sur l’Iran.
Un aspect fondamental du traité est qu’il limite clairement les revendications de l’Iran sur les eaux du Helmand : l’Iran ne peut faire « aucune revendication sur l’eau du fleuve Helmand au-delà des quantités spécifiées dans ce traité, même si des quantités supplémentaires d’eau peuvent être disponibles dans le delta inférieur de l’Helmand et peuvent être utilisées à bon escient ». Cela signifie que l’Iran serait en violation du traité s’il prenait plus de 811 millions de mètres cubes par an. Pour administrer ces dispositions, le traité établit une nouvelle Commission de l’Helmand, composée de commissaires et de leurs adjoints nommés par chaque partie, dont l’autorité et les devoirs sont définis dans un protocole complémentaire.
En cas de différend concernant l’interprétation ou l’application du traité, les parties doivent d’abord tenter de le résoudre par des négociations diplomatiques, puis par les bons offices d’une tierce partie. Si ces efforts échouent, le différend doit être soumis à l’arbitrage. Le traité est conçu pour être perpétuel, sans clause de caducité, ce qui signifie qu’il est censé exister à jamais.
2. Interprétations et Points de Friction
Malgré son cadre juridique détaillé, le traité de 1973 n’a pas pu être pleinement mis en œuvre en raison d’une série d’événements politiques majeurs et de défis environnementaux. Le coup d’État militaire de 1973 en Afghanistan, la Révolution islamique de 1979 en Iran, et l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979 ont tous contribué à empêcher sa pleine application.
Aujourd’hui, l’Iran accuse constamment l’Afghanistan de ne pas respecter le traité et de réduire l’approvisionnement en eau, notamment en raison de la construction de barrages en amont, ce qui a conduit à des affrontements frontaliers mortels en mai 2023. Le président iranien Ebrahim Raisi et son ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian ont publiquement exigé que les autorités afghanes ouvrent les vannes du barrage de Kajaki pour que l’eau atteigne l’Iran.
En revanche, l’Afghanistan, y compris le régime taliban, nie constamment ces accusations. Les autorités afghanes affirment que même si les vannes du barrage de Kajaki étaient ouvertes, il n’y aurait pas assez d’eau pour atteindre l’Iran en raison de la sécheresse sévère qui affecte la région. Cette situation a exposé des « fissures » dans la relation déjà fragile entre les Talibans et Téhéran, avec des échanges de reproches et une augmentation de l’activité militaire le long de la frontière.
Un point de friction majeur réside dans la vérification des débits d’eau. La station hydrométrique de Dehrawud, cruciale pour la mesure des débits et la vérification de la conformité aux termes du traité, est hors service depuis de nombreuses années. Cette absence de données vérifiables et mutuellement acceptées complique la surveillance et alimente la méfiance entre les deux parties. Le traité de 1973 sur le fleuve Helmand, bien que juridiquement contraignant et perpétuel , est largement inefficace en raison d’une combinaison d’instabilité politique, de l’absence de mécanismes d’application (comme les stations de surveillance défaillantes ) et des effets exacerbants du changement climatique. Cela crée un état perpétuel d’ambiguïté et de blâme, où les deux parties peuvent revendiquer l’adhésion ou la non-conformité en fonction de leur interprétation des années « normales » ou de « faible débit » et de la disponibilité de données vérifiables.
C. L’Impact des Changements Climatiques et des Sécheresses sur le Débit du Fleuve
Les changements climatiques ont un impact profond et croissant sur le régime hydrologique du fleuve Helmand, transformant un défi hydropolitique historique en une crise existentielle urgente pour les deux nations. Les sécheresses récurrentes et l’augmentation des températures ont considérablement réduit les débits du Helmand, rendant difficile le respect des quotas du traité, quelle que soit la volonté politique des parties. La fonte précoce des neiges en montagne, source principale du fleuve, due aux températures élevées pour la saison, aggrave les pénuries d’eau potable et d’irrigation dans de nombreuses régions du pays.
Cette réalité climatique sape la prémisse même du traité de 1973, qui a été conçu pour des « années hydriques normales ». Les années de faible débit, autrefois considérées comme des exceptions, sont devenues la nouvelle norme, intensifiant la lutte pour des ressources en diminution et augmentant la probabilité de conflit. La situation est d’autant plus critique que la province iranienne du Sistan-Baloutchistan, en aval, considère l’eau comme une « priorité existentielle » , et que la réduction du débit a déjà entraîné la désertification des zones humides du Hamoun, avec des conséquences écologiques et économiques graves, y compris des migrations forcées et une menace sur la productivité agricole. Le changement climatique agit comme un « multiplicateur de menaces » dans le différend du Helmand, rendant le respect du traité pratiquement impossible et alimentant la crise.
Table 1: Dispositions Clés du Traité sur l’Eau de l’Helmand de 1973
| Caractéristique | Détail |
| Date de Signature |
13 mars 1973 |
| Parties |
Afghanistan et Iran |
| Quantité Allouée à l’Iran |
850 millions de m³ par an (22 m³/s + 4 m³/s pour bonne volonté) |
| Point de Livraison |
Ligne frontière à la rivière Sistan et entre les marqueurs 51 et 52 sur le Helmand |
| Flexibilité en Cas de Sécheresse |
Réduction proportionnelle du débit alloué à l’Iran |
| Qualité de l’Eau |
Doit être traitable pour l’irrigation et l’usage domestique |
| Mécanisme de Résolution des Différends |
Diplomatie, bons offices d’un tiers, arbitrage par l’ONU si désaccord sur l’arbitre |
| Durée |
Perpétuelle, sans clause de caducité |
| Station de Mesure Clé |
Dehrawud (mentionnée comme hors service) |
Ce tableau fournit une référence concise et faisant autorité au fondement juridique du litige sur l’Helmand. En présentant clairement les dispositions clés du traité, il permet de saisir rapidement le cadre officiel, par rapport auquel les revendications et contre-revendications actuelles peuvent être évaluées. Il met en évidence à la fois les mécanismes de coopération prévus et les points de défaillance spécifiques, tels que la station de Dehrawud hors service, qui sont cruciaux pour comprendre les tensions actuelles et les difficultés de mise en œuvre.
III. Les Barrages Stratégiques : Kamal Khan et Kajaki au Cœur des Tensions
Les barrages en Afghanistan, en particulier Kamal Khan et Kajaki, ne sont pas seulement des infrastructures de développement ; ils sont devenus des symboles de souveraineté nationale et des points névralgiques de tensions hydropolitiques, en particulier avec l’Iran. Leur construction et leur gestion reflètent les ambitions afghanes d’autosuffisance et la complexité des relations régionales.
A. Le Barrage Kamal Khan : Symbole de l’Autonomie Afghane
Le barrage Kamal Khan, situé sur le fleuve Helmand dans le district de Chahar Burjak, province de Nimroz, près de la frontière iranienne, est l’un des projets d’infrastructure les plus importants d’Afghanistan. Inauguré en mars 2021, ce méga-barrage a été présenté par le président afghan de l’époque comme un élément clé pour transformer l’économie du pays.
1. Importance Stratégique pour l’Économie et l’Énergie de l’Afghanistan
Le barrage Kamal Khan est conçu pour renforcer considérablement l’autonomie de l’Afghanistan dans la gestion de ses ressources en eau, réduisant ainsi sa dépendance vis-à-vis des pays voisins pour l’approvisionnement en eau. Cette indépendance hydrique est perçue comme un pas fondamental vers la souveraineté nationale. En outre, avec sa capacité hydroélectrique de 6 mégawatts, le barrage contribue à augmenter la production nationale d’énergie, diminuant la dépendance de l’Afghanistan à l’égard de l’électricité importée.
Depuis leur retour au pouvoir, les Talibans (l’Émirat islamique d’Afghanistan) ont fait de l’infrastructure et de la mise en œuvre de projets nationaux prioritaires, comme le barrage Kamal Khan, un objectif clé de leur administration. Le succès de tels projets est vu comme une démonstration de la capacité du gouvernement à mener des initiatives d’infrastructure de grande envergure, agissant comme un catalyseur pour attirer davantage d’investissements et d’aide internationale. Le barrage Kamal Khan incarne le pivot stratégique de l’Afghanistan vers le nationalisme des ressources et l’autosuffisance. Bien que présenté comme un projet de développement , son impact principal est d’affirmer le contrôle afghan sur l’eau transfrontalière, défiant directement l’accès historique de l’Iran à l’eau et transformant une ressource partagée en un outil de souveraineté nationale et de levier diplomatique.
2. Conséquences sur le Débit Aval et les Relations avec l’Iran
La construction du barrage Kamal Khan, à l’instar d’autres barrages et canaux de dérivation en Afghanistan, tels que Kajaki et Arghandab, a eu pour conséquence une « réduction drastique » du débit du fleuve Helmand en aval. Cette diminution significative du flux d’eau a entraîné la désertification des zones humides internationales du Hamoun, qui sont vitales pour l’écosystème et l’économie de la province iranienne du Sistan-Baloutchistan. Les conséquences écologiques et économiques pour l’Iran sont graves, incluant une menace directe sur la productivité agricole de la région et une augmentation des migrations forcées des populations dépendantes de ces ressources.
Face à ces impacts, les Talibans ont utilisé la libération d’eau du barrage Kamal Khan comme un levier diplomatique dans leurs tentatives de rapprochement avec l’Iran. Par exemple, en janvier 2022, ils ont libéré de l’eau du barrage vers une région sèche du sud-est de l’Iran. Cette action démontre une utilisation calculée de l’eau non seulement comme un moyen d’affirmer la souveraineté afghane, mais aussi comme un outil de négociation dans les relations bilatérales, cherchant à apaiser les tensions tout en maintenant le contrôle sur la ressource.
B. Le Barrage de Kajaki : Un Point Chaud Historique
Le barrage de Kajaki, construit entre 1951 et 1953 sur le fleuve Helmand, à environ 161 km au nord-ouest de Kandahar, est une autre infrastructure hydrique d’une importance capitale pour l’Afghanistan. Il a été érigé par la firme américaine Morrison–Knudsen dans le cadre du projet de la vallée de l’Helmand.
1. Rôle dans l’Irrigation et la Production Électrique
Le barrage de Kajaki a une double fonction essentielle : il fournit de l’électricité, avec une capacité de production pouvant atteindre 151 mégawatts, et il irrigue environ 263 045 hectares de terres arides, soit 1 800 kilomètres carrés. Il joue un rôle crucial dans le contrôle du débit du bassin versant principal qui alimente le bassin du Sistan, une zone d’importance vitale pour l’Iran en aval.
Des projets de modernisation et de réparation ont été entrepris par le Corps des ingénieurs de l’armée américaine (USACE), avec un investissement d’environ 205 millions de dollars, visant à améliorer le débit de l’eau pour l’irrigation et la production d’électricité. Ces efforts comprenaient la réparation des structures d’admission et des vannes, dont certaines étaient inopérantes, empêchant la maintenance et le contrôle des flux d’eau. Malgré les efforts passés, la gestion de l’eau à Kajaki a été complexe, notamment en raison de l’absence de vannes installées dans l’évacuateur de service, ce qui signifie que le barrage laisse passer toute l’eau du réservoir au-dessus d’une certaine élévation.
2. Les Tensions Récentes et les Affrontements Frontaliers avec l’Iran
Le barrage de Kajaki est une source de tension constante entre l’Afghanistan et l’Iran, exacerbée par les sécheresses et les revendications iraniennes sur les droits à l’eau. Des affrontements frontaliers mortels ont été signalés le 27 mai 2023, à la frontière entre la province iranienne du Sistan-Baloutchistan et la province afghane de Nimroz. Chaque partie a accusé l’autre d’avoir tiré le premier, avec des images sur les réseaux sociaux montrant des armes lourdes talibanes se dirigeant vers la frontière.
L’Iran accuse les Talibans de ne pas respecter le traité de 1973 en ne libérant pas la quantité d’eau spécifiée du barrage de Kajaki. Le ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, a exigé des autorités afghanes d’ouvrir les vannes du barrage pour que l’eau atteigne l’Iran, afin que « les populations d’Afghanistan et d’Iran puissent être hydratées ». Le président iranien Ebrahim Raisi a également averti l’émirat taliban de la nécessité de respecter les droits à l’eau de l’Iran et a déclaré que l’Iran était prêt à défendre l’application du traité.
Les Talibans, de leur côté, ont constamment nié ces accusations, affirmant que même si les vannes étaient ouvertes, il n’y aurait pas assez d’eau pour atteindre l’Iran en raison de la sécheresse sévère. Cette situation a créé des « fissures » dans la relation fragile entre les Talibans et Téhéran, avec des échanges de reproches et une augmentation de l’activité militaire le long de la frontière. Les discussions bilatérales ont gagné en dynamisme, les deux nations exprimant leur engagement à renforcer la coopération, mais le différend sur le fleuve Helmand reste un point focal de tension, la gestion de l’eau en amont par l’Afghanistan affectant considérablement la sécurité hydrique de l’Iran.
IV. Dynamiques Régionales : Négociations et Coopération sur l’Énergie et l’Eau
Au-delà des tensions bilatérales avec l’Iran, la gestion de l’eau et de l’énergie en Afghanistan s’inscrit dans un cadre de dynamiques régionales plus larges, impliquant des acteurs comme l’Ouzbékistan et le Turkménistan. Ces interactions révèlent des intérêts convergents et divergents, ainsi que des tentatives de coopération dans un environnement géopolitique complexe.
A. Les Négociations Tripartites Talibans-Iran-Ouzbékistan
Les Talibans, bien que largement non reconnus internationalement, cherchent activement à établir des relations pragmatiques avec les pays voisins pour des raisons économiques et de sécurité. Des négociations régionales sur l’énergie et l’eau impliquant les Talibans, l’Iran et l’Ouzbékistan ont eu lieu, notamment à Doha en septembre 2020.
1. Contexte des Rapprochements et Intérêts Communs
Le rapprochement entre les Talibans, l’Iran et l’Ouzbékistan s’inscrit dans un contexte de recherche de stabilité régionale et d’opportunités économiques. L’Iran et l’Ouzbékistan ont signé quatre nouveaux accords en mai 2025 pour élargir leur coopération bilatérale, avec un commerce bilatéral atteignant 500 millions de dollars américains en 2024. Les Talibans ont également maintenu des contacts formels avec l’Iran depuis leur prise de Kaboul en 2021, et l’ambassade afghane à Téhéran a été remise aux Talibans en février 2023. De même, l’Ouzbékistan a accepté les lettres de créance d’un ambassadeur taliban en octobre 2024, devenant le troisième pays à le faire après la Chine et le Turkménistan.
Un consortium d’entreprises, incluant des entités russes, iraniennes et pakistanaises, a été mis en place par l’administration talibane en février 2023 pour élaborer un plan d’investissement axé sur l’énergie, les mines et les infrastructures. Ces développements signalent une volonté de coopération pragmatique malgré les différences idéologiques ou les tensions passées. L’Iran, traditionnellement un adversaire des Talibans, a vu ses relations se renforcer avec le régime de facto pour combattre des organisations terroristes comme l’État islamique-Khorasan (ISKP) et répondre aux sanctions occidentales.
2. Projets de Transit et d’Infrastructure (Chabahar, Amou-Daria)
Un projet clé dans cette dynamique régionale est le projet de transit de Chabahar. Initié en 2016 par l’Inde, l’Iran et l’Afghanistan, l’Ouzbékistan a récemment rejoint ce projet. Le port de Chabahar, le seul port océanique de l’Iran sur le golfe d’Oman, facilite le transit de marchandises entre l’Afghanistan et l’Inde. En raison des tensions avec le Pakistan, les Talibans espèrent utiliser davantage cette route commerciale. La distance entre Zaranj (Afghanistan) et Chabahar est d’environ 700 kilomètres, ce qui est plus accessible que le port de Karachi au Pakistan (plus de 1000 kilomètres). L’Iran construit également une ligne de chemin de fer de 625 kilomètres reliant Chabahar à Zahedan, ce qui accélérera le transit des marchandises le long du couloir nord-sud.
Concernant l’eau, l’Ouzbékistan et les Talibans ont signé un accord sur les ressources en eau et la coopération économique. L’Afghanistan, dont la partie nord fait partie du bassin de l’Amou-Daria, fournit la plus grande partie de l’eau au fleuve après le Kirghizistan. Bien que l’Afghanistan effectue actuellement de très faibles ponctions, le retour de la paix pourrait entraîner des prélèvements substantiels pour le développement agricole, ce qui réduirait les ressources disponibles pour les pays en aval.
B. Les Intérêts et Préoccupations de l’Ouzbékistan et du Turkménistan
Les pays d’Asie centrale, notamment l’Ouzbékistan et le Turkménistan, sont fortement dépendants des ressources hydriques transfrontalières, en particulier de l’Amou-Daria. Les actions de l’Afghanistan en amont ont des implications directes pour leur sécurité hydrique et économique.
1. Dépendance à l’Amou-Daria et Impacts du Canal de Qosh Tepa
L’Ouzbékistan et le Turkménistan dépendent de l’Afghanistan pour 73% de leur approvisionnement énergétique, l’Ouzbékistan fournissant 57% et le Turkménistan 17%. Cette dépendance énergétique est un facteur important dans leurs relations avec les Talibans. L’Ouzbékistan est confronté à de graves pénuries d’eau dues au changement climatique, avec une diminution des niveaux des rivières et des précipitations réduites, et sa consommation d’eau par habitant a diminué de moitié entre 2008 et 2022. Le Turkménistan, classé comme un pays « extrêmement stressé par l’eau », dépend fortement des rivières transfrontalières, l’Amou-Daria fournissant de l’eau à 80% de sa population via le canal du Karakum.
Le projet afghan du canal de Qosh Tepa, dans le nord de l’Afghanistan, est une source majeure de préoccupation pour ces pays. Bien que ce projet ait été retardé par les attaques des insurgés talibans avant leur prise de pouvoir, il a été relancé par le régime actuel dans le but de résoudre la crise de l’eau en Afghanistan. Le canal de Qosh Tepa devrait réduire le débit en aval de l’Amou-Daria de 15%, soulevant de sérieuses inquiétudes quant à l’approvisionnement futur en eau des pays en aval. La situation a considérablement changé depuis la prise de pouvoir des Talibans, et les voisins du nord de l’Afghanistan s’inquiètent de plus en plus de la sécurité de l’eau, en particulier du débit de l’Amou-Daria vers leurs territoires.
2. Levier Énergétique et Nécessité de Coopération
La dépendance énergétique de l’Afghanistan vis-à-vis de l’Ouzbékistan et du Turkménistan pourrait servir de levier dans les négociations sur les droits à l’eau. Ces pays pourraient utiliser leurs ressources énergétiques comme monnaie d’échange pour encourager le régime taliban à s’engager dans des pourparlers diplomatiques sur les questions d’eau.
La coopération régionale est essentielle pour éviter que la crise de l’eau ne dégénère en conflit. La communauté internationale ne peut ignorer le droit de l’Afghanistan à l’eau, mais il est crucial de minimiser l’impact environnemental de projets tels que le canal de Qosh Tepa. L’Asie centrale est déjà sous pression en raison du changement climatique, et les tensions liées à l’eau ont le potentiel de déclencher des troubles et des conflits. Le régime taliban n’est pas un régime typique qui adhère au droit international, et les dirigeants régionaux doivent adopter une approche pragmatique. L’affrontement mortel entre l’Iran et l’Afghanistan sur l’eau en mai 2023 sert d’avertissement quant à la volatilité de la situation, soulignant que la négociation est la seule voie viable pour éviter une nouvelle escalade et assurer la stabilité régionale.
V. L’Eau comme Outil de Pouvoir Interne des Talibans et Lien avec le Trafic d’Opium
Le contrôle de l’eau en Afghanistan n’est pas seulement un enjeu de politique étrangère ; il est intrinsèquement lié aux stratégies de pouvoir interne des Talibans et à leur relation complexe avec l’économie illicite de l’opium. La gestion des ressources hydriques devient un instrument de gouvernance, d’influence et de financement.
A. Le Contrôle de l’Eau comme Stratégie de Gouvernance Talibane
Depuis leur retour au pouvoir en août 2021, les Talibans ont cherché à consolider leur autorité en s’appropriant la gestion des infrastructures vitales, y compris celles liées à l’eau.
1. Gestion des Barrages et des Infrastructures Hydriques
La politique de gestion des barrages des Talibans, bien que largement similaire à celle du gouvernement précédent, présente une exception notable dans leur approche envers l’Iran. Les Talibans ont utilisé la libération d’eau de certains barrages, comme Kamal Khan, comme un levier diplomatique pour améliorer les relations avec Téhéran. Par exemple, en janvier 2022, ils ont libéré de l’eau du barrage de Kamal Khan vers une région sèche du sud-est de l’Iran, et en août 2022, ils ont accepté de réapprovisionner l’Iran en eau conformément au traité de 1973 sur le fleuve Helmand. Cette approche s’inscrit dans une histoire de coopération et de conflit avec l’Iran sur les ressources en eau partagées.
Les Talibans sont confrontés à des défis pour lancer de nouveaux projets de construction de barrages sans aide internationale. Cependant, ils n’ont pas activement entravé le développement des infrastructures hydriques en cours, comme la construction du barrage de Kajaki. Ils ont également initié des projets d’entretien et de réparation pour des barrages comme le barrage de Qargha et le barrage de Bakhshabad, avec des contributions financières du ministère de l’Énergie et de l’Eau et des résidents locaux. Un problème critique demeure avec les quatre grands barrages d’irrigation afghans à décharge non contrôlée, qui ne peuvent pas influencer leur libération d’eau et sont donc à la merci des conditions météorologiques. Le barrage de Qargha en est un exemple, où les niveaux de son réservoir ont considérablement diminué, un problème qui aurait pu être atténué si le barrage avait des capacités de contrôle de décharge.
2. Rôle des « Mirabs » et Institutions Locales
La gouvernance de l’eau en Afghanistan a traditionnellement reposé sur des institutions locales informelles, telles que les « mirabs », qui sont des intendants de l’eau responsables de la répartition équitable de la ressource. Ces arrangements de gouvernance locale ont persisté comme un moyen efficace d’allocation de l’eau et ont reçu un soutien considérable du dernier gouvernement afghan et de la communauté des donateurs occidentaux.
Les Talibans ont réussi à miner l’autorité de ces institutions en soutenant les agriculteurs qui se tournent vers la production de pavot, une culture illégale sous les règles du gouvernement afghan précédent. Cette stratégie a permis aux Talibans d’influencer les mirabs à agir dans leurs intérêts, exploitant la dépendance des agriculteurs aux cultures de rente dans des conditions de sécheresse.
3. Eau et Recrutement
La persistance de l’insécurité hydrique est un facteur crucial dans le recrutement des Talibans. Dans les zones où la sécurité de l’eau est précaire, les jeunes hommes privés d’opportunités économiques, en raison du déclin des opportunités agricoles, voient souvent l’adhésion aux Talibans comme le seul moyen de subvenir aux besoins de leurs familles. L’incapacité du gouvernement à résoudre l’insécurité de l’eau et alimentaire a contribué à la délégitimation de l’État, soutenant indirectement les Talibans qui se présentent comme une alternative légitime.
Le manque de perspectives économiques, la corruption, l’administration inefficace, l’insécurité et la destruction des biens due aux combats continus exacerbent ce problème. L’agriculture, activité principale dans les zones rurales, est peu fiable en raison des prix de vente bas, de l’insécurité persistante et des infrastructures d’irrigation détruites. Rejoindre les Talibans devient une option viable dans ces circonstances, d’autant plus que les salaires des combattants talibans sont parfois plus réguliers et plus élevés que ceux de l’armée ou de la police nationale.
B. La Relation Complexe entre l’Eau, l’Irrigation et la Culture du Pavot
La culture du pavot en Afghanistan est profondément liée à la gestion de l’eau et aux conditions socio-économiques du pays, formant une narco-économie résiliente.
1. Dépendance de l’Opium à l’Irrigation et aux Conditions Climatiques
L’Afghanistan est depuis longtemps le premier producteur mondial d’opium illicite, fournissant plus de 90% de l’héroïne illicite mondiale et plus de 95% de l’approvisionnement européen en 2021. La culture du pavot est particulièrement répandue dans les provinces du sud, comme le Helmand, où 80% des terres agricoles sont utilisées à cette fin. Ces régions bénéficient d’un climat favorable permettant jusqu’à trois récoltes annuelles.
Le pavot est une culture résistante à la sécheresse, ne se gâte pas lors de longs voyages, est facile à transporter et à stocker, et se vend à un prix élevé. Avec un prix à la ferme d’environ 125 dollars par kilogramme pour l’opium sec (prix de 2007), un agriculteur afghan peut réaliser 17 fois plus de profit en cultivant le pavot (4 622 dollars par hectare) qu’en cultivant du blé (266 dollars par hectare). Cette rentabilité élevée, combinée à la destruction des systèmes d’irrigation traditionnels et à l’absence de crédits agricoles, a rendu la culture du pavot une solution de survie pour des millions d’Afghans ruraux. La réhabilitation et la modernisation des systèmes d’irrigation sont considérées comme une condition sine qua non à la reprise agricole du pays, car 10% de zones irriguées supplémentaires pourraient augmenter la production de blé et créer des emplois.
2. Impact des Politiques Talibanes sur la Culture du Pavot et les Revenus
Les Talibans ont eu une histoire complexe avec les stupéfiants. En 2000, ils avaient déjà interdit la production d’opium, la faisant chuter de plus de 95%. Après leur retour au pouvoir en août 2021, la culture de l’opium a d’abord connu un boom, augmentant de 32% en 2022 pour atteindre 233 000 hectares, la troisième plus grande superficie cultivée depuis le début du suivi. Cependant, en avril 2022, les Talibans ont de nouveau interdit la production de pavot, juste au début de la récolte principale.
Cette interdiction a eu un impact « sans précédent ». Selon l’ONUDC, la culture du pavot a chuté de 95% en 2023, passant de 233 000 hectares à seulement 10 800 hectares. Cette réduction drastique a entraîné une baisse de 95% de l’approvisionnement en opium, passant de 6 200 tonnes en 2022 à 333 tonnes en 2023. Les revenus des agriculteurs provenant de la vente de la récolte d’opium ont chuté de plus de 92%, passant d’environ 1,36 milliard de dollars en 2022 à 110 millions de dollars en 2023.
Cette interdiction a dévasté les perspectives économiques de millions d’agriculteurs et de travailleurs ruraux qui ont peu d’autres options d’emploi. On estime que l’arrêt de la culture du pavot a affecté les moyens de subsistance de près de sept millions de personnes, et les agriculteurs ont perdu environ 1,3 milliard de dollars par an. De nombreux agriculteurs se sont tournés vers la culture du blé, mais cette culture génère des revenus nettement inférieurs à ceux de l’opium, entraînant une perte de revenus potentiels d’environ 1 milliard de dollars en 2023 pour les agriculteurs des provinces du Farah, Helmand, Kandahar et Nangahar.
3. Les Revenus de l’Opium et leur Lien avec le Financement et le Contrôle des Talibans
Historiquement, l’économie de l’opium a été une source majeure de revenus en Afghanistan, générant des recettes estimées à 2,5 milliards de dollars en 2005, soit 35% du PIB du pays. En 2007, le chiffre d’affaires atteignait 2 milliards de dollars. Le trafic d’opium a fait vivre plus de 2 millions d’Afghans et a représenté jusqu’à un tiers de l’économie du pays.
Les Talibans ont tiré d’importants profits de cette économie illicite, notamment par le biais de taxes sur la production et le trafic. L’expansion probable de cette activité sous les Talibans, avant l’interdiction de 2022, aurait pu entraîner une nouvelle augmentation du commerce mondial d’héroïne et consolider la position de l’Afghanistan en tant que plaque tournante du trafic de drogue. Cependant, l’interdiction de 2022 a radicalement modifié ce paysage. Bien que l’interdiction ait considérablement réduit la culture, les drogues produites en Afghanistan continuent d’arriver sur le marché mondial, car les trafiquants vendent leurs stocks existants. Les « rois de la pègre » et les grands propriétaires fonciers ont prospéré grâce à l’interdiction, récoltant les bénéfices des prix qui montent en flèche en vendant leurs stocks.
Les Talibans ont mené une répression sur trois fronts : la répression de la consommation intérieure, la lutte contre les passeurs et la dissuasion des agriculteurs de planter. Ils ont rassemblé les consommateurs de drogues, détruit les champs de pavot et de cannabis, et arrêté certains trafiquants. Cependant, l’impact de cette interdiction sur les revenus des Talibans et sur la stabilité interne à long terme reste une question ouverte. La contraction quasi totale de l’économie de l’opiacé, estimée à 90% en 2023, devrait affecter l’économie afghane à une échelle plus large. Cela pose un défi majeur pour les Talibans en termes de financement et de maintien de la stabilité sociale dans les zones rurales, où des millions de personnes dépendaient de la culture du pavot pour leur subsistance.
VI. Conclusions et Perspectives
L’analyse approfondie de la militarisation de l’eau en Afghanistan révèle une toile complexe d’interdépendances géopolitiques, environnementales, économiques et de gouvernance interne. L’eau, loin d’être une simple ressource, est un instrument de pouvoir stratégique, façonnant les relations régionales et les dynamiques internes du régime taliban.
A. Synthèse des Enjeux et Interdépendances
Les barrages de Kamal Khan et Kajaki sont devenus des symboles de la souveraineté afghane et des points de tension majeurs avec l’Iran, un pays en aval dont la sécurité hydrique est existentiellement menacée par la réduction des débits du fleuve Helmand. Le traité de 1973, bien que juridiquement contraignant, est rendu inopérant par l’instabilité politique persistante, l’absence de mécanismes de vérification fiables et, surtout, par l’impact dévastateur du changement climatique qui transforme les années de sécheresse en une nouvelle norme. Cette situation est exacerbée par les revendications iraniennes et les contre-arguments afghans, créant un cycle de méfiance et de confrontation.
Parallèlement, les négociations régionales impliquant les Talibans, l’Iran et l’Ouzbékistan sur l’énergie et l’eau illustrent une tentative de pragmatisme. Des projets comme le corridor de Chabahar montrent une volonté de trouver des intérêts communs malgré les tensions, notamment pour l’accès aux marchés et la diversification des routes commerciales. Cependant, les projets afghans en amont sur l’Amou-Daria, comme le canal de Qosh Tepa, soulèvent de vives inquiétudes chez les voisins d’Asie centrale, menaçant de créer de nouvelles tensions hydropolitiques dans une région déjà vulnérable.
Sur le plan interne, le contrôle de l’eau est un pilier de la stratégie de pouvoir des Talibans. La gestion des infrastructures hydriques, l’influence sur les institutions locales comme les « mirabs », et la capacité à fournir (ou non) des ressources essentielles, sont autant de moyens de consolider leur autorité et de légitimer leur régime. La crise de l’eau et l’insécurité alimentaire sont des facteurs de recrutement pour les Talibans, exploitant le désespoir des populations rurales.
Enfin, la relation entre l’eau et la culture de l’opium est fondamentale. La culture du pavot, résiliente à la sécheresse et hautement rentable, est devenue une culture de survie pour des millions d’Afghans, en particulier dans les régions où les infrastructures d’irrigation traditionnelles ont été détruites. L’interdiction de l’opium par les Talibans en 2022, bien que réduisant drastiquement la production, a des conséquences humanitaires et économiques dévastatrices pour les agriculteurs, tout en créant de nouvelles opportunités pour les trafiquants qui écoulent les stocks existants. Cette politique, si elle n’est pas accompagnée d’alternatives viables, pourrait fragiliser davantage la stabilité interne et potentiellement saper le soutien au régime.
B. Implications pour la Stabilité Régionale et la Sécurité Humaine
Les enjeux autour de l’eau en Afghanistan ont des implications profondes pour la stabilité régionale et la sécurité humaine. L’intensification des sécheresses et la compétition pour des ressources en diminution augmentent le risque de conflits transfrontaliers, comme en témoignent les affrontements de mai 2023 avec l’Iran. La non-adhésion du régime taliban aux normes internationales et son imprévisibilité compliquent les efforts diplomatiques et augmentent la volatilité de la région.
Sur le plan humain, la crise de l’eau exacerbe l’insécurité alimentaire, la pauvreté et les déplacements de population, tant à l’intérieur de l’Afghanistan qu’en direction des pays voisins, notamment l’Iran et le Pakistan. La dépendance continue à l’aide humanitaire internationale est critique, d’autant plus que les politiques talibanes, comme l’interdiction de l’opium sans alternatives suffisantes, peuvent aggraver la vulnérabilité des populations rurales.
Sélection de sources vérifiées (ONU, agences internationales et médias fiables) concernant la crise hydrique en Afghanistan, la pénurie d’eau à Kaboul d’ici 2030, et la militarisation des ressources par les Talibans.
- ONU Afghanistan – Objectif de développement durable n°6 : Eau propre et assainissement – cadre général sur l’accès à l’eau potable.
- United Nations Strategic Framework for Afghanistan (UNSFA) – stratégie climat, services essentiels et résilience hydrique.
- OCHA Afghanistan – portail humanitaire 2025 – situation, besoins et financements du secteur eau/WASH.
- OCHA – Afghanistan Humanitarian Update (mars 2025) – sous-financement du secteur eau et impact sur les populations.
- OCHA – Humanitarian Needs and Response Plan 2025 – aperçu de la réponse humanitaire (eau, inondations, sécheresse).
- Mercy Corps – Kabul’s Water Crisis: An Inflection Point for Action (mai 2025) – rapport clé sur l’épuisement des nappes.
- Mercy Corps – Crisis Analysis: Kabul Water (avril 2025, PDF) – données complètes et projections d’épuisement d’ici 2030.
- Al Jazeera – Will Kabul become first big city without water by 2030? (5 juillet 2025) – alerte ONU/Mercy Corps sur la pénurie.
- Courrier International – Kaboul menacée par une pénurie d’eau d’ici 2030 (14 juin 2025) – synthèse des rapports Mercy Corps et ONU.
- TV5 Monde – Faut-il craindre une guerre de l’eau en Asie centrale ? – mise en perspective géopolitique de la crise.
- ReliefWeb / WASH Cluster Afghanistan – données consolidées sur l’accès à l’eau et l’assainissement (2025).
- Humanitarian Needs and Response Plan – Afghanistan 2025 – plan de réponse aux inondations liées à la sécheresse.
- UN-Habitat Afghanistan – Global Vision, Local Action (juin 2025) – urbanisation, habitat et pression hydrique à Kaboul.
- TV5 Monde – Afghanistan : crainte d’une guerre de l’eau en Asie centrale – tensions Iran/Pakistan autour des fleuves transfrontaliers.
- Mercy Corps – Crisis Compounded: Afghanistan’s Water Emergency (8 oct. 2025) – montre l’extension de la crise au-delà de Kaboul.
- Down to Earth – Kabul could be first world capital without water before 2030 – reprise détaillée des chiffres ONU et Mercy Corps.
- LiveScience – Why Kabul could be the first modern capital to run out of water – vulgarisation scientifique du risque hydrique.
Liens tous sécurisés (https), vérifiés au 1er novembre 2025. Bloc prêt à intégrer à ton article « La militarisation de l’eau ».










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