« Je pense que c’est à nous, Afghanes, de combattre en Afghanistan et partout ailleurs dans le monde pour que les choses changent »
« Je pense que c’est à nous, Afghanes, de combattre en Afghanistan et partout ailleurs dans le monde pour que les choses changent »
Hawa et sa petite-fille Zahra dans « Writing Hawa » de Najiba et Rasul Noori. TAG FILM
Entretien Najiba Noori filme trois générations de femmes de sa famille dont la vie se retrouve bouleversée par l’arrivée des talibans au pouvoir en août 2021.
Najiba Noori est née en 1995 à Bamiyan en Afghanistan. Elle a commencé à travailler pour des médias en tant que bénévole dès l’âge de 15 ans. Après plusieurs formations à la photographie et au reportage, elle collabore avec l’AFP, le Huffington Post, MSF, ou encore ONU Femmes en Afghanistan. En 2019, elle rejoint l’AFP à Kaboul en tant que journaliste vidéo puis doit quitter précipitamment son pays en août 2021 lorsque les talibans reprennent la ville et le pouvoir. Najiba Noori vit désormais à Paris. Dans « Writing Hawa », son premier long-métrage documentaire qui vient d’être récompensé au FIFDH à Genève, la réalisatrice rend hommage à sa mère, Hawa, une femme déterminée qui après avoir été mariée de force à 13 ans et privée d’éducation, a décidé d’entreprendre une nouvelle vie. En 2024, elle a obtenu le Fipresci Award au Festival international du film documentaire d’Amsterdam.
Votre documentaire vient d’obtenir le Prix du Jury des jeunes au Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH). Qu’est-ce que cette récompense signifie pour vous ?
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Najiba Noori. Ce prix revêt à mes yeux un sens très particulier parce qu’il a été décerné par un jury composé de jeunes gens. Or, je pense qu’il est important que cette génération, ici en Europe, sache ce qui se passe dans mon pays pour les jeunes Afghans et surtout les jeunes Afghanes qui n’ont pas le droit d’aller à l’école et de recevoir une éducation comme ailleurs. Lors de la discussion qui a suivi la projection du film pendant le festival, les jeunes présents dans la salle m’ont demandé ce qu’ils pouvaient faire pour mon pays et pour mes compatriotes. C’était très émouvant de les sentir concernés.
Votre mère, Hawa, a été mariée à 13 ans à un homme de trente ans son aîné, elle a eu six enfants qui sont aujourd’hui devenus adultes et à la cinquantaine, elle a décidé de changer de vie…
Ma mère est dotée d’un très fort caractère ! Mon idée, c’était de montrer la vie dont elle a été privée. Lorsqu’elle a décidé d’apprendre à lire et écrire et de se lancer dans la broderie artisanale pour gagner de l’argent, j’ai pensé que c’était le moment pour moi et pour nous six, ses enfants, de l’aider. Elle était fatiguée de devoir rester cloîtrée à la maison et de s’occuper de mon père qui a la maladie d’Alzheimer.
Son histoire, très forte, me semble porter un message qui peut être inspirant pour d’autres personnes mais, surtout, j’ai voulu montrer que dans ce pays à la culture patriarcale où seuls les hommes décident pour les autres, les femmes afghanes ne sont pas uniquement les victimes que les Occidentaux voient en elles. Hawa n’est pas une victime ! En France, les gens n’ont de l’Afghanistan que des images négatives. Bien sûr, la majorité des hommes sont très conservateurs mais mes frères, par exemple, et d’autres jeunes hommes comme eux sont très ouverts d’esprit.
Hawa dans « Writing Hawa » TAG FILM
Vous rappelez que l’Afghanistan est, aujourd’hui, le seul pays au monde où les fillettes et les jeunes femmes ne peuvent pas aller à l’école. Vous avez tout juste 30 ans mais vous, vous avez pu recevoir une éducation scolaire…
En effet, j’ai pu aller à l’école et j’ai même commencé des études agricoles pendant un an. Mais depuis mon adolescence, j’aimais beaucoup faire des photos et filmer avec une petite caméra. Alors, je me suis initiée au reportage et au journalisme notamment en suivant en ligne la formation au cinéma documentaire de l’ONG belge Close Up puis j’ai réalisé des courts-métrages documentaires en free-lance pour des organisations internationales. Ensuite, j’ai rejoint l’AFP à Kaboul et j’ai commencé à travailler sur ce projet de film en 2019.
Dans quelles conditions avez-vous quitté l’Afghanistan ?
Quand les Talibans ont pris Kaboul le 15 août 2021, vingt ans après en avoir été chassés par les Américains, j’ai décidé de partir. J’ai pris cette décision en quelques minutes. J’ai fermé mon appartement et j’ai donné la clé à quelqu’un de mon entourage. Pour mon frère, Rasul, co-auteur du film, resté à Kaboul, ça n’a pas été simple de continuer à filmer avec la présence des talibans. Mais pour nous deux, il était primordial de documenter les événements. A mon arrivée en France, loin de ma famille, je me suis sentie triste et déprimée. Comme j’étais déjà allée une fois en France en 2018, j’espérais y retourner un jour pour étudier et travailler sur mon projet mais je n’imaginais pas que ce serait en tant que réfugiée.
Hawa apprend à écrire avec l’aide de son petit-fils dans « Writing Hawa » TAG FILM
A la fin du film, votre famille s’apprête à partir en Iran. Où se trouve-t-elle aujourd’hui ?
Mes frères et mes parents sont d’abord partis en Iran. Puis, une fois qu’ils ont obtenu leurs visas, ils ont pu venir en France. Mes parents ont été logés à Aubenas en Ardèche. A 57 ans, ma mère a réalisé qu’elle allait devoir vivre ici et accepté sa nouvelle vie. Elle a apporté ses broderies et espère pouvoir travailler. Mais surtout, elle s’est mise à apprendre le français et je crois qu’elle va rapidement parler mieux que moi ! Ce n’est pourtant pas évident de s’initier à une nouvelle langue alors même qu’elle venait juste d’apprendre à lire et écrire en dari. Mais elle a beaucoup d’énergie et pour elle, l’éducation est primordiale.
Votre nièce Zahra a été finalement mariée de force à un homme, comme votre mère plus de quarante ans plus tôt. Rien ne change en Afghanistan ?
Oui, l’histoire se répète, hélas… Quand Hawa était enfant, on l’a forcée à se marier et elle ne voulait pas que sa petite-fille subisse le même sort. Alors, elle est allée chercher Zahra dans le village où elle vivait avec son père et son grand-père pour l’amener à Kaboul afin qu’elle puisse étudier. Mais quand les talibans sont revenus à Kaboul, Zahra qui avait 15 ans à l’époque, a dû quitter la capitale et retourner dans son village où son père l’a mariée avec un homme jeune. Moi, au même âge, j’ai eu la chance de pouvoir construire la vie que je voulais avec une relative liberté. C’est pour cette raison que j’ai voulu filmer les trois générations de ma famille. Mais j’ai voulu aussi aborder un aspect plus politique : la manière dont les Américains décident de leur avenir pour les Afghans depuis plus de vingt ans.
En 2021, les Etats-Unis ont fait un deal avec les talibans qui a décidé du sort du pays et de sa population. Mais les talibans au pouvoir actuellement sont encore pires que dans les années 90 ! Et pour ma famille, c’était clair. La situation actuelle est très difficile et il y a peu d’espoir tant qu’ils resteront au pouvoir. Je pense que c’est à nous, Afghanes, de combattre en Afghanistan et partout ailleurs dans le monde pour que les choses changent. Les femmes afghanes sont très courageuses et résistantes même si on ne s’en rend pas vraiment compte à l’étranger. Heureusement, mon film tourne dans de nombreux festivals internationaux et je suis heureuse que beaucoup de gens puissent le voir pour comprendre la situation des Afghans.
◗ « Writing Hawa », documentaire de Najiba et Rasul Noori (2024), 84 min. Diffusion : Arte France, Documents EO
Propos recueillis par Anne Sogno
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