Entretien avec Nigara Mirdad, diplomate afghane
Nigara Mirdad, diplomate reconnue (république islamique d’Afghanistan) est un symbole de résilience et de détermination dans un contexte politique complexe. Lors d’un entretien récent, elle a partagé ses réflexions sur les défis auxquels elle est confrontée en tant que femme dans la politique afghane, ainsi que sur les espoirs qu’elle nourrit pour l’avenir de son pays. Elle a souligné l’importance de l’éducation et de l’autonomisation des femmes comme piliers essentiels pour le développement de l’Afghanistan. De plus, Nigara Mirdad a discuté de son engagement à promouvoir le dialogue et la coopération internationale afin de construire une paix durable.
Entretien réalisé le 20 mai 2025 – La Lettre d’Afghanistan
Votre présence, en tant que femme, lors de la deuxième Conférence de Vienne n’est pas passée inaperçue. Quel rôle y avez-vous joué ? Et où en est aujourd’hui le processus de Vienne ?
Nigara Mirdad : Bien que je n’aie pas pu participer au premier tour de la Conférence de Vienne, j’ai pris part aux deuxième et cinquième sessions — cette dernière s’étant tenue il y a seulement quelques mois.
À mes yeux, le processus de Vienne représente une chance rare et essentielle, longtemps attendue par de nombreux Afghans. C’est une plateforme qui réunit, de façon régulière et inclusive, un large éventail de voix afghanes. Cette initiative est particulièrement significative pour plusieurs raisons :
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Elle est menée par des Afghans. Cela lui confère une véritable légitimité et garantit que les préoccupations exprimées émanent directement des premiers concernés.
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Ce n’est pas un « projet » ponctuel, mais un dialogue continu. Les participants, issus de l’intérieur du pays comme de la diaspora, englobent des figures de la résistance armée, des militantes des droits des femmes, des représentants de la société civile et de l’opposition politique.
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Elle se veut inclusive sur les plans ethnique et social. Tadjiks, Pachtounes, Hazaras, Ouzbeks, entre autres, y sont représentés, offrant un espace de dialogue politique rarement accessible au-delà des clivages factionnels ou idéologiques.
Le processus fait face, bien sûr, à des obstacles. Le principal est le manque de soutien international et régional, qui en limite la portée. Certains potentiels participants refusent même d’y assister en raison de la présence de figures liées à la résistance armée. Malgré tout, le processus de Vienne demeure aujourd’hui l’une des rares plateformes politiques réellement inclusives dont disposent les Afghans.
On a vu sur les réseaux sociaux qu’il existerait un Conseil des femmes au sein du Front national de résistance (FNR). Pouvez-vous nous en dire plus ? Partagent-elles leur travail pour gagner en visibilité ?
Nigara Mirdad : Le FNR défend depuis toujours des valeurs démocratiques fondamentales : justice, égalité et liberté, indispensables à un Afghanistan pacifique et inclusif. Dans ce cadre, le Conseil des femmes joue un rôle clé ; il porte son propre programme, axé sur les droits, la dignité et l’inclusion des femmes afghanes dans la vie politique et sociale.
Le conseil plaide activement pour l’égalité de genre, la justice et la participation des femmes, utilisant toutes les tribunes — nationales et internationales — pour dénoncer l’oppression qu’elles subissent sous le régime taliban. Il se fait la voix des femmes de l’intérieur, en particulier celles qui sont réduites au silence.
Fait essentiel : la direction du FNR soutient pleinement ce Conseil, reconnaissant depuis le début combien la voix des femmes est cruciale dans la résistance et dans l’avenir du pays. L’objectif est clair : faire en sorte que les Afghanes ne soient pas seulement représentées, mais placées au centre de toute solution politique.
L’unification des forces d’opposition anti-talibanes est-elle à la fois nécessaire et possible ? Si oui, à quoi pourrait ressembler une plateforme commune ?
NM : Heureusement, la grande majorité du peuple afghan — ainsi que ses forces politiques, civiles et sociales — rejette l’idéologie extrémiste des talibans. Cette opposition partagée constitue une base solide, mais une plateforme unifiée tarde à émerger pour plusieurs raisons :
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La chute de la République en 2021 a été si soudaine que nombre d’acteurs se sont retrouvés dispersés, traumatisés et dans l’impossibilité de se coordonner.
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Les pays d’accueil de la diaspora imposent souvent des restrictions politiques ou entretiennent leurs propres relations — formelles ou informelles — avec les talibans.
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Aucun État n’offre pour l’instant d’espace politique ni de soutien tangible à la résistance, compliquant la mise en place d’un mouvement cohérent.
Malgré cela, un socle commun existe : État de droit, gouvernance inclusive, justice sociale et égalité des droits. Une future plateforme pourrait s’appuyer sur ces valeurs — des principes plutôt que des personnalités — et embrasser la diversité ethnique, régionale et politique du pays.
Les divers acteurs de l’opposition (groupes armés, militantes féministes, diplomates de l’ancien régime, diasporas) sont-ils prêts à collaborer dans une coalition anti-talibane ? Un gouvernement en exil, capable de porter une opposition diplomatique commune, vous paraît-il réalisable ?
Nigara Mirdad : La pluralité des acteurs reflète le rejet massif des talibans, mais elle complexifie aussi la création d’une coalition cohérente : chacune de ces composantes a ses priorités et sa vision pour l’avenir. Néanmoins, la collaboration me semble non seulement nécessaire, mais de plus en plus possible à mesure que l’urgence s’accentue.
La formation d’un gouvernement en exil est effectivement à l’étude et pourrait voir le jour à trois conditions :
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Une base de principes démocratiques partagés : droits humains, égalité ethnique et de genre, unité nationale.
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Un projet politique clair, dépassant la simple représentation symbolique, pour gagner une double légitimité interne et internationale.
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Une authentique inclusivité, englobant identités ethniques et régionales, mais aussi la variété des acteurs restés fidèles à la souveraineté et au pluralisme afghans.
La méfiance entre factions, l’absence de soutien international et les ingérences régionales demeurent des freins, mais si l’intérêt national prime sur les agendas personnels, un front diplomatique uni est à portée de main.
Les partis d’opposition sont-ils réellement prêts à accorder aux femmes un rôle majeur et à part entière dans un gouvernement en exil ?
Nigara Mirdad : L’inclusion politique des femmes n’est pas qu’un impératif moral : c’est une condition sine qua non pour une alternative légitime et durable au régime taliban. Je constate une reconnaissance croissante, parmi de nombreux groupes d’opposition, de la nécessité pour les femmes d’occuper un rôle véritablement égalitaire et central.
Et cette conviction se traduit déjà : les Afghanes œuvrent comme organisatrices politiques, responsables de la société civile, journalistes, avocates, membres de la résistance. Elles ne réclament pas simplement une place ; elles contribuent déjà à construire la table autour de laquelle s’asseoir.
Certes, des franges plus conservatrices subsistent et l’égalité intégrale demandera un plaidoyer continu, interne comme international. Mais la culture politique évolue : on comprend de plus en plus qu’aucun avenir juste et stable n’est possible sans le leadership et la participation active des femmes.
Pour réussir — gagner en légitimité et mobiliser l’appui nécessaire — un gouvernement en exil devra refléter toute la diversité de la société afghane. Cela implique les femmes non en tant que symboles ou soutiens, mais comme véritables décideuses.
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