Diplomatie de la trahison, féminisme de façade : quand les élites occidentales blanchissent les talibans

Zalmay Khalilzad aimait à se présenter comme un artisan de la paix. Mais dans la mémoire collective du peuple afghan, il restera celui qui a livré leur pays à un régime obscurantiste, misogyne et brutal. Derrière son sourire diplomatique, il a offert l’Afghanistan sur un plateau d’argent aux talibans. Et dans le même temps, il s’est forgé une image de sauveur dans les médias internationaux, un médiateur raisonnable dans un monde de chaos. En réalité, il a été l’architecte du plus grand désastre politique que le pays ait connu depuis quarante ans.
Mais il ne faut pas oublier l’autre visage du couple. Cheryl Benard, sa femme, intellectuelle en résidence dans les sphères stratégiques occidentales, s’affiche aujourd’hui en féministe globe-trotteuse. Elle donne à voir une Kaboul prétendument stabilisée, tente de relativiser la violence de genre systémique et justifie l’expulsion des réfugiés afghans par la thèse d’un retour à la « normalité ». Elle affirme que l’Afghanistan n’est certes pas la Riviera, mais qu’il va mieux. Une assertion que des millions de femmes privées d’école, de travail, de droits et de liberté réfuteraient avec douleur, si elles avaient encore la possibilité de parler.
Zahra Nader, rédactrice en chef de Zan Times, démonte avec précision les méthodes rhétoriques de Benard. Celle-ci présente la répression talibane comme un mal relatif, comparable à celui que subissent les femmes en Inde ou aux États-Unis. Ce raisonnement, en plus d’être intellectuellement malhonnête, revient à nier l’existence même de l’apartheid sexuel imposé par décret en Afghanistan. Pire, il sert à normaliser un régime qui exclut systématiquement la moitié de la population de toute vie sociale, politique, économique et même médicale.
Benard évoque les écoles privées comme solutions de contournement, alors même qu’elles ont été interdites pour les filles au-delà de la sixième année. Elle se dit « attristée » mais continue de suggérer que les femmes afghanes exagèrent, qu’elles sont « hystériques » dans leur dénonciation. Cette posture, empreinte de condescendance et de relativisme culturel, rappelle une forme perverse de néocolonialisme intellectuel, où les occidentaux prétendent comprendre mieux que les premières concernées ce qu’elles vivent au quotidien.
Pour Nader, ce n’est pas simplement une erreur de jugement. C’est une entreprise de blanchiment. Une stratégie politique visant à construire un récit rassurant pour les chancelleries occidentales, fatiguées d’avoir à assumer leurs responsabilités. Ce récit veut faire croire que les talibans se sont assagis, que le régime est désormais stable, que les femmes exagèrent, que les critiques sont injustes, que l’exil n’est plus nécessaire. Et donc, que l’on peut commencer à coopérer, à envoyer de l’aide, à normaliser les relations.
Ce que Cheryl Benard ne dit pas, c’est que les femmes qu’elle voit dans les rues de Kaboul ne sont pas là grâce aux talibans, mais en dépit d’eux. Elles survivent, elles résistent, elles bravent les interdictions pour nourrir leurs enfants. Et pendant ce temps, d’autres sont emprisonnées, battues, flagellées, parfois violées, simplement pour avoir osé sortir sans mahram ou s’être exprimées sur les réseaux sociaux.
Kaboul, que Benard présente comme le symbole d’un retour à la stabilité, n’est qu’une vitrine. C’est le décor soigneusement mis en scène par les talibans pour tromper les observateurs étrangers. Ceux qui, comme elle, peuvent circuler librement, protégés par leur statut et leur passeport. Le reste du pays, lui, vit sous le joug d’un régime brutal, où les femmes sont enfermées chez elles, où les écoles sont fermées, où la faim et le désespoir poussent à l’immolation.
La critique s’élargit alors à la structure même de l’accord de Doha. Khalilzad, dans cette négociation historique, n’a pas exigé la moindre garantie pour les droits des femmes. Aucun engagement sur l’éducation, l’emploi, la participation politique. Juste un calendrier de retrait américain et une promesse de ne pas attaquer les forces étrangères. L’avenir du pays a été décidé entre hommes en costume, loin des villes, des villages, et des douleurs du peuple afghan.
Aujourd’hui, ce même couple — l’homme qui a négocié la chute de la République et la femme qui tente d’en légitimer les conséquences — tente de réécrire l’histoire. Ils se présentent comme des voix raisonnables, responsables, voire humanistes. Mais leur discours est un affront à la mémoire des morts, aux combats des survivantes, aux cris des mères et aux rêves brisés de toute une génération.
Ce n’est pas une polémique isolée. C’est une alerte. Car à travers leurs mots, c’est la possibilité même d’un retour des talibans sur la scène internationale qui se profile. Avec eux, la propagande se pare des habits du réalisme, le mensonge devient analyse, la soumission devient diplomatie. Et la vérité, elle, est étouffée.
Zalmay Khalilzad et Cheryl Benard n’ont pas besoin de porter d’armes pour faire du tort. Leurs plumes, leurs tribunes, leurs connexions suffisent à justifier l’injustifiable. Ils sont devenus les porte-voix sophistiqués d’un régime barbare. Et à ce titre, leur responsabilité est immense.
Bibliographie :
- Accord de Doha
- U.S. Department of State. Agreement for Bringing Peace to Afghanistan between the Islamic Emirate of Afghanistan and the United States of America. Doha, 29 February 2020. https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf
- Amnesty International.
- Death in Slow Motion: Women and Girls under Taliban Rule. Londres : Amnesty International, 2022–2024.
- https://www.amnesty.org/en/location/asia-and-the-pacific/afghanistan
- Benard, Cheryl.
- Divers articles publiés dans The National Interest, RAND Corporation et plateformes d’opinion américaines, 2021–2024. Citations issues de ses prises de position rapportées et critiquées dans Zan Times, voir ci-dessous.
- Human Rights Watch.
- Afghanistan: Country Reports 2022–2024. New York : HRW.
- https://www.hrw.org/asia/afghanistan
- Nader, Zahra.
- “When ‘Feminism’ Defends the Taliban.” Zan Times, May 2024.
- https://zantimes.com
- United Nations Assistance Mission in Afghanistan (UNAMA).
- Reports on the Human Rights Situation in Afghanistan, 2022–2025.
- https://unama.unmissions.org
- United Nations Human Rights Council.
- Reports of the Special Rapporteur on the Situation of Human Rights in Afghanistan, Richard Bennett, 2022–2025.
- https://www.ohchr.org/en/special-procedures/sr-afghanistan
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