La Lettre d’Afghanistan — N°42

8 octobre 2025
🔎 Trois faits essentiels à retenir cette semaine
  1. ONU — Résolution A/HRC/60/L.9 adoptée : création d’un mécanisme indépendant pour documenter et conserver les preuves des crimes internationaux des Talibans, notamment les persécutions fondées sur le genre.
  2. Madrid — Tribunal du peuple (8–10 octobre) : procès citoyen symbolique pour juger moralement les crimes commis contre les femmes afghanes, héritier du Tribunal Russell.
  3. Cambridge — CAS-IV : présentation du Composite Comprehensive Roadmap, base commune pour une alternative politique crédible aux Talibans.

Sommaire

  • Cambridge Afghanistan Conference (CAS-IV) : la feuille de route d’une opposition en quête d’unité.
  • Rapport Crisis Group : l’Afghanistan à l’épreuve de la fin de l’aide internationale.
  • UNAMA — Mandat Otunbayeva : trois années de désillusions et de critiques.
  • « Amnistie générale » talibane : une propagande démentie par la réalité des crimes.
  • Bagram : plaidoyers pour la reprise de la base aérienne (analyses Luke Coffey & Natiq Maliqzada).
  • Tribunal du peuple à Madrid : juger symboliquement les crimes contre les femmes.
  • ONU — Résolution A/HRC/60/L.9 : mécanisme d’enquête sur les violations des Talibans.
  • Pourquoi l’Afghanistan n’est pas devenu une nation ? — Réflexion historique et politique.
  • La politique maudite de l’Afghanistan par Arian Nasiri — Réflexion historique et politique.
  • Portraits & récits : Marzieh Hamidi (Ils n’auront pas mon silence) et Getee Azami (La Fugitive de Kaboul).
  • Hazaras : analyses juridiques et témoignages sur un génocide oublié.
  • Islamabad : une conférence de façade, contrastant avec la dynamique de Cambridge.
  • Blackout numérique : les Talibans sur les traces des Khmers rouges.
  • US TIP Report 2025 : recrutement d’enfants soldats et traite persistante.
  • Football féminin afghan : reconnaissance fragile d’une équipe en exil.
  • Culture & diaspora : Vienne — « Costumes du monde » et témoignages d’Afghans expulsés.
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La Lettre d’Afghanistan
8 octobre 2025 – N° 42

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L’article publié par Narrativa360 revient sur un événement marquant : la quatrième édition de la Cambridge Afghanistan Conference (CAS-IV), organisée en septembre 2025 au Jesus College de l’Université de Cambridge. Pendant deux jours, des figures politiques, intellectuelles, universitaires et membres de la résistance afghane se sont réunis pour débattre des perspectives d’avenir de l’Afghanistan sous domination talibane. L’ambiance solennelle du lieu n’était pas qu’un décor : elle donnait au rassemblement une dimension historique, presque symbolique. L’auteur présente la conférence comme un moment charnière : face à une opposition fragmentée, minée par des rivalités anciennes, la rencontre de Cambridge offrait l’opportunité de tracer une feuille de route commune, indispensable pour rendre crédible l’idée d’une alternative aux Talibans.

Le Composite Comprehensive Roadmap (CCR) : une base commune

Au cœur des débats se trouvait un document clé : le Composite Comprehensive Roadmap (CCR). Celui-ci est présenté comme une synthèse ambitieuse de plus de vingt propositions émanant d’organisations et de groupes politiques afghans. L’objectif était de parvenir à un texte qui ne soit pas figé, mais au contraire évolutif, ouvert aux critiques et aux amendements. L’auteur insiste sur cette dimension : le CCR n’est pas une constitution ni un plan définitif, mais un outil flexible permettant d’unifier des visions diverses. Son but principal est d’offrir un langage commun à l’opposition et de poser les bases d’un projet alternatif au régime taliban. Cette approche a deux mérites. D’une part, elle reconnaît la pluralité de la société afghane, traversée par des clivages ethniques, religieux et idéologiques. D’autre part, elle évite l’erreur historique d’imposer une “unité artificielle”, souvent synonyme d’exclusion et de marginalisation.

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Rapport de Crisis Group « After the Aid Axe: Charting a Path to Self-reliance in Afghanistan » (2 oct. 2025)


Depuis 2024–2025, les principaux bailleurs — États-Unis en tête — réduisent drastiquement l’aide à l’Afghanistan. Cette contraction accélérée (arrêt total des programmes américains début 2025) intervient alors que l’économie, déjà laminée par la guerre, l’isolement diplomatique et les sanctions, s’était stabilisée sur un « plateau bas » grâce aux secours humanitaires (3,8 Md$ en 2022), aux remises des diasporas et aux revenus informels/illicites. Le retrait des financements fait peser la charge sur le régime taliban, sans capacités ni transparence suffisantes, et frappe d’abord les plus vulnérables — particulièrement les femmes et les filles — via l’arrêt de centaines d’infrastructures de santé, la dégradation de l’eau/assainissement et la fermeture de programmes ciblés.


Les puissances occidentales sont prises entre deux impératifs contradictoires: éviter l’effondrement humanitaire et refuser toute normalisation d’un régime autoritaire pratiquant un apartheid de genre. Leur réponse a oscillé entre secours d’urgence et promesses vagues de « relance économique », tout en maintenant sanctions, listes noires et non-reconnaissance qui paralysent le système bancaire (derisking massif des banques, transferts lents ou impossibles, réserves de la banque centrale gelées et en partie placées dans un fonds suisse). Les tentatives de dialogue économique (Oslo, puis « processus de Doha » onusien) ont buté sur des désaccords: exigences occidentales (écoles pour les filles, gouvernance inclusive) versus demandes talibanes (dégel des avoirs, reconnecter la banque centrale, reprise d’infrastructures, accès aux marchés).


Côté taliban, un plan de développement quinquennal est mis en avant (modernisation, normes bancaires, soutien affiché à l’entrepreneuriat féminin), mais la réalité demeure: centralisation opaque du pouvoir, budgets secrets, primat des dépenses de sécurité, arbitrages religieux bloquant l’éducation des filles, incertitude juridique et montée de pratiques prédatrices (contributions « volontaires »). Cette imprévisibilité dissuade l’investissement privé national et étranger; les projets régionaux (mines, énergie, corridors routiers/ferroviaires) avancent lentement ou se grippent.


Le rapport souligne que la fin abrupte de l’aide, combinée à l’isolement financier, risque d’aggraver pauvreté, mariages précoces, mortalité maternelle et malnutrition, sans nécessairement provoquer un effondrement visible: les tragédies seraient diffuses et peu médiatisées. Les risques stratégiques existent toutefois: pressions migratoires vers l’Europe, tentations de relancer les flux de drogue, et affaiblissement de la lutte anti-EI local. Des amortisseurs demeurent (remises estimées à 3,5 Md$ en 2024, économie grise), mais insuffisants pour compenser la chute des services essentiels.


Crisis Group recommande, sans illusion sur un revirement américain rapide, que l’Europe et les États régionaux ralentissent la sortie de l’aide et négocient des « stratégies de sortie » qui préservent les services de base tout en favorisant l’autonomie: élargir les exemptions de sanctions au développement et aux affaires (sur le modèle de la licence générale US), clarifier la doctrine pour rassurer banques et assureurs, actualiser le régime de sanctions onusien devenu obsolète, reconnecter progressivement la banque centrale (audits, normes AML/CFT, rôle accru du fonds suisse), soutenir des mesures techniques pro-croissance (énergie, logistique, facilitation commerciale, accès au crédit, emploi des femmes). L’objectif: réduire la dépendance à l’aide sans valider le régime, en privilégiant des arrangements pragmatiques qui protègent d’abord les moyens d’existence des Afghans.

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Otunbayeva et une mission qui s’est achevée dans le discrédit

Roza Otunbayeva, ancienne présidente kirghize et militante des droits des femmes, a achevé son mandat de trois ans à la tête de la mission des Nations unies en Afghanistan (UNAMA). Son arrivée en 2022 avait suscité de grands espoirs, en particulier chez les femmes afghanes qui pensaient qu’elle incarnerait une voix forte contre les Talibans. Mais son bilan est largement critiqué : plutôt que de soutenir les forces démocratiques et les mouvements féministes, Otunbayeva aurait privilégié l’engagement avec les Talibans, au point de contribuer à leur légitimation sur la scène internationale.

Elle a défendu le « processus de Doha », excluant systématiquement les représentantes afghanes, et promu un plan de sortie de crise qui aurait surtout servi les intérêts talibans. Ses rapports ont minimisé la situation dramatique des femmes et ses prises de position ont parfois assimilé la résistance armée aux Talibans à des groupes terroristes comme l’EI. Cette posture a valu à Otunbayeva d’être perçue comme proche des positions russes et d’être critiquée par les États-Unis et l’Europe, qui ont apporté peu de soutien aux initiatives de l’ONU sous sa direction.

Alors que les Talibans saluent son action et l’honorent publiquement, les forces politiques afghanes et les militantes des droits humains jugent son mandat « opaque » et « indéfendable ». Le contraste entre la reconnaissance affichée par les Talibans et la défiance des victimes de leur régime illustre la perception dominante : l’ONU, loin de défendre la neutralité, a sous Otunbayeva donné le sentiment de se ranger du côté des bourreaux.

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Haqqani qualifie l’« amnistie générale » des talibans d’« historique » : un mensonge pour couvrir la torture et les exécutions

par Tamim Attaiy

Anas Haqqani, figure talibane, a récemment présenté l’« amnistie générale » proclamée après la chute de la République comme un acte « historique ». Il affirme que ce décret aurait permis d’instaurer la sécurité au lieu de la vengeance. Mais selon de nombreux rapports internationaux (ONU, Amnesty International, Human Rights Watch), cette annonce n’a été qu’un instrument de propagande masquant une campagne systématique d’arrestations arbitraires, disparitions forcées, tortures et exécutions extrajudiciaires.

Entre 2021 et 2023, l’ONU a documenté plus de 800 violations graves contre d’anciens militaires et fonctionnaires. Amnesty souligne que des centaines de soldats ont été tués ou torturés à mort, tandis que HRW a confirmé des exécutions de responsables locaux après leur reddition. Les prisons talibanes sont devenues des lieux de torture organisée : passages à tabac, viols collectifs de femmes militantes, violences extrêmes contre des journalistes (mutilations, disparitions).

Quatre ans après le retour des Talibans, l’Afghanistan est décrit comme une « prison à ciel ouvert » où aucun groupe n’est à l’abri : anciens soldats, journalistes, militantes féministes, activistes civils et politiques vivent sous la menace constante. L’amnistie, loin d’incarner le pardon, est devenue un outil de terreur et de contrôle, utilisé par les Talibans pour tenter de tromper la communauté internationale tout en consolidant leur régime par la répression.

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Pourquoi la récupération d’une base aérienne afghane est dans l’intérêt national de l’Amérique

by Luke Coffey

Luke Coffey défend l’idée que les États-Unis devraient reprendre le contrôle de la base aérienne de Bagram en Afghanistan, abandonnée en 2021. Selon l’auteur, son évacuation par l’administration Biden fut une « erreur stratégique » et un « déshonneur national », bien que l’accord signé par Donald Trump avec les Talibans ait préparé ce retrait. Aujourd’hui, le pays est à nouveau sous contrôle taliban, avec une présence active d’al-Qaïda et de l’État islamique.

Bagram, par sa position centrale en Asie, est décrite comme l’une des bases militaires les plus stratégiques du monde. Elle se situe à proximité de la Chine, de l’Iran, du Pakistan, de l’Inde et de l’Asie centrale. Dans un rayon de huit heures de vol, elle couvre 85 % de la population mondiale et la majorité des grandes routes commerciales et ressources stratégiques (pétrole, gaz, terres rares). Historiquement, son importance remonte à Alexandre le Grand, puis aux Soviétiques et enfin aux Américains après 2001, qui l’ont modernisée.

Trump affirme être déjà en contact avec les Talibans, ce qu’ils démentent, mais l’auteur suggère que si un accord n’était pas possible, les États-Unis devraient explorer d’autres options, y compris la coopération avec les forces anti-talibanes du Front de résistance nationale d’Ahmad Massoud. Le modèle de présence américaine pourrait s’inspirer de celui d’al-Tanf en Syrie, avec une zone de sécurité réduite mais contrôlée.

L’auteur conclut que l’histoire montre qu’Afghanistan reste un pivot géopolitique trop important pour être ignoré. Même si un retour militaire immédiat paraît improbable, disposer de Bagram serait une garantie essentielle en cas de crise future, dans un contexte de compétition stratégique mondiale.

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