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Islamabad : la vitrine d’une illusion

La conférence d’Islamabad, sous la bannière de « Vers l’unité et la confiance », était censée marquer un tournant pour l’opposition afghane. Elle se voulait une expression tangible d’un refus collectif du régime taliban, une mise en scène diplomatique forte. Mais dès les premières heures, le décor a montré ses failles. Déséquilibre dans les acteurs, subtilité dans les jeux de pouvoir, absence d’enracinement politique réel : tout annonce que cette initiative restera une façade, et non une force motrice. Pendant ce temps, à Cambridge, une dynamique beaucoup plus concrète germait — celle d’une opposition enfin capable de se projeter.

Le talibanisme au bord de l’usure politique

Depuis leur retour au pouvoir en 2021, les talibans ont imposé des restrictions radicales : fermeture de l’enseignement secondaire pour les filles, exclusion des femmes de plusieurs secteurs professionnels, contrôles sévères de la vie publique, et plus récemment des mesures draconiennes sur l’accès à Internet. Ces politiques, justifiées par une interprétation rigide de la religion, ne font plus sensationnement peur : elles creusent la rupture entre le pouvoir et la société.

Loin d’un régime sûr de lui, on a aujourd’hui le spectacle d’un pouvoir enfermé dans ses propres dogmes, gouvernant davantage par la coercition que par la légitimité. Son capital politique s’érode chaque jour. Devant tant de répression, l’adhésion passive se fissure, et le moindre espace de contestation — même symbolique — devient essentiel. La conférence d’Islamabad s’inscrit dans ce contexte de fragilité latente.

Islamabad : l’illusion d’un soutien, le double fond du calcul

La posture du Pakistan dans cette affaire mérite d’être examinée de près. Acteur clé de la politique afghane depuis des décennies, Islamabad a orchestré cette réunion, mais avec un jeu visiblement biaisé. En accueillant l’opposition, le Pakistan se présente comme médiateur et protecteur des voix dissidentes. Pourtant, ce “soutien” n’est ni neutre ni véritablement désintéressé.

D’abord, les organisateurs affirment que cette conférence ne cherche pas à isoler Kaboul, mais à créer du lien « people-to-people ». Or, l’absence faite aux talibans — ou leur écart — pose une question : leur absence était-elle une volonté d’exclusion ou une incapacité à les impliquer ? Cet écart a été pointé par nombre d’observateurs comme révélateur du déséquilibre intrinsèque de la rencontre. [Voir “Absence of Taliban at Islamabad dialogue sparks debate”]

Ensuite, le Pakistan semble ménager ses cartes : il exhibe l’image d’un allié de l’opposition quand cela lui sied, mais conserve ses canaux de dialogue avec Kaboul. En d’autres termes, Islamabad joue un rôle de parrain inquiet : capable de soutenir l’opposition, mais prêt à se désengager si celle-ci devient une gêne. La conférence, en fin de compte, ressemble davantage à une vitrine diplomatique qu’à un soutien inconditionnel.

La tension est réelle : le régime taliban a dénoncé l’événement comme une “ingérence”. Cela illustre la fragilité des relations entre Kaboul et Islamabad à l’aube d’un paradoxe : le Pakistan nourrit aujourd’hui ses critiques, tout en ayant longtemps été leur allié politique majeur.

Une délégation dépourvue de gravité politique

Faute de participer au débat intérieur, l’opposition afghane s’est rapprochée par l’exil — cela, nous ne le soulignerons pas à nouveau. Mais ce qui frappe à Islamabad, c’est que la délégation réunie n’a guère de portée sur le terrain afghan. Les noms sont nombreux : Fawzia Koofi (ancienne députée, figure des droits des femmes), Mustafa Mastoor (ex-ministre de l’économie), Nasir Ahmad Andisha (ancien représentant aux Nations unies), Ahmadullah Alizai (ancien gouverneur de Kaboul), Tahir Zohair (ancien gouverneur de Bamyan). (Voir « Political Activists … Meet in Islamabad »)

Cette affluence prometteuse sur le papier ne cache pas le même défaut crucial : aucun relais dense n’est nommé à l’intérieur du pays, aucune structure militante ou de coordination sur le terrain n’apparaît. Il n’y a pas de plateforme unifiée, pas de leadership partagé, pas d’organisation qui puisse incarner ou canaliser la contestation au-delà des salons diplomatiques.

Cette opposition est fragmentée, diverse, mais sans gravité collective. En l’absence d’une ligne commune forte — politique ou militaire —, la conférence d’Islamabad risque de rester un geste symbolique sans substance réelle.

Cambridge : l’autre versant d’une lutte autrement calibrée

Tandis qu’Islamabad s’enlisait dans son scénario inégal, Cambridge déroulait un contre-modèle. La Cambridge Afghanistan Series (aussi appelée conférence Massoud) a réuni, les 19-20 septembre 2025, des acteurs de la résistance, de l’opposition politique, des universitaires et des représentants de la société civile pour créer une voie commune : la Composite Comprehensive Roadmap (CCR). [Voir “Building a Roadmap, Not Roadblocks”]

L’idée n’était pas de poser une déclaration, mais de fusionner plus de vingt propositions en un cadre stratégique partagé, pensé pour être applicable, crédible et mobilisateur. Dans ce processus, l’accent a été mis sur la cohérence interne, la méthode de négociation et l’articulation entre visions politiques, forces militantes ou civiles.

Tant sur le fond que sur la forme, Cambridge incarne ce que l’opposition afghane doit devenir : un mouvement qui ne dépend pas d’un sponsor extérieur, mais d’un consensus interne. Là où Islamabad illustre l’illusion, Cambridge cherche l’alternative.

L’illusion d’Islamabad contre le pari de Cambridge

Que peut espérer l’opposition afghane ? Qu’elle gagne en hauteur stratégique ne suffit plus ; elle doit gagner en profondeur politique. La conférence pakistanaise, malgré son ambition affichée, est davantage un plateau diplomatique qu’un tremplin réel. Elle fait l’erreur de croire que l’unité peut se décréter par la présence ; elle oublie que l’unité se construit sur la compétence, l’enracinement, la crédibilité.

Le Pakistan, en servant de hôte, expose l’opposition à sa dépendance. La délégation d’Islamabad, malgré les talents qu’elle regroupe, vit dans le vide politique. Elle n’a ni relais dans les provinces, ni force militaire, ni projet vraiment consolidé. Elle reste muette face à l’appareil taliban dans le seul espace qui compte : celui du terrain et de la guerre de légitimité locale.

Cambridge, en revanche, démontre qu’un autre chemin est possible : celui de la construction lente, de la convergence pragmatique, d’une feuille de route partagée. C’est un pari davantage risqué, mais aussi plus respectable. L’opposition ne peut pas se satisfaire d’un miroir diplomatique ; elle doit devenir corps politique.

La chute politique des talibans est vraisemblable dans le temps long — leur modèle repose sur une coercition croissante, incompatible avec une société aspirant à la dignité. Mais pour que la chute ait un sens, elle doit être accompagnée d’une alternative — non un vide. L’opposition afghane doit absorber l’exigence de justice, de participation, de genre, d’inclusion ethnique — non comme slogans, mais comme colonne vertébrale d’un pacte renouvelé.

Islamabad aura été utile comme point de visibilité. Mais ce qu’il faudra, demain, c’est davantage Cambridge : une opposition capable non seulement de dénoncer, mais de proposer et d’agir. C’est ce pari que l’Histoire pourrait juger comme le vrai début d’une transformation afghane.


 

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