La résistance afghane sort de l’ombre

Deux signaux venus de Washington

En septembre, deux signaux venus de Washington résonnent comme une alerte mondiale. Le premier a pris la forme d’un amendement, discret mais décisif, porté par le représentant républicain Eli Crane et intégré à la National Defense Authorization Act (NDAA) pour l’année fiscale 2026. Cet amendement engage le Pentagone à partager des renseignements avec les unités de l’ancienne armée et de la police afghanes, ainsi qu’avec d’autres groupes de résistance identifiés, afin de les soutenir dans leur combat contre les Talibans. Loin d’être anodin, ce geste constitue une reconnaissance officielle de l’existence de résistances armées afghanes, après quatre années de silence international qui avaient condamné ces combattants à l’invisibilité. Le second signal est venu du rapport annuel de la Maison-Blanche au Congrès sur la lutte contre les stupéfiants. Donald Trump y réinscrit l’Afghanistan sur la liste des principaux pays producteurs et de transit de drogues, soulignant la persistance de l’opium, l’essor fulgurant de la méthamphétamine et le rôle central joué par les Talibans dans ce commerce.

L’Afghanistan transformé en narco-État

Les Talibans multiplient les annonces d’interdiction de l’opium, mais celles-ci ne sont que des façades. Les stocks accumulés continuent de circuler, tandis que la méthamphétamine s’impose comme une nouvelle manne, plus rentable et plus facile à dissimuler. Ce basculement traduit leur capacité d’adaptation : exploitation de savoir-faire chimique local, contrôle des routes de contrebande vers le Pakistan, l’Iran, l’Asie centrale et l’Europe. Les revenus financent directement l’appareil répressif taliban et ses alliances avec Al-Qaïda. L’Afghanistan est devenu un narco-État dont les ramifications dépassent largement ses frontières. Ce modèle économique criminel explique la résilience du régime malgré les sanctions, l’isolement diplomatique et l’effondrement de l’économie légale. La drogue est devenue son oxygène politique et militaire.

La reconnaissance implicite de la résistance

L’amendement Crane marque un tournant symbolique. Pour la première fois depuis 2021, un texte législatif américain évoque explicitement les « unités de résistance » afghanes. Même limitée à la coopération en matière de renseignement, cette mention brise le mur de l’isolement. Car la résistance n’est pas un fantôme : le NRF d’Ahmad Massoud, l’AFF du général Yasin Zia ou l’ALM continuent de frapper les Talibans dans le Panjshir, le Badakhshan ou Baghlan. Des cellules urbaines s’organisent à Kaboul et dans les grandes villes, souvent composées de jeunes anciens soldats, de policiers ou d’étudiants. Leur courage contraste avec l’indifférence occidentale. En reconnaissant la nécessité de partager du renseignement avec eux, le Congrès américain envoie un message clair : ces forces existent, elles comptent et elles peuvent contribuer à affaiblir le régime. Cette reconnaissance ouvre aussi une perspective : celle d’un appui international élargi, qui ne se limiterait pas aux seules déclarations de solidarité mais se traduirait en moyens concrets.

Un impératif moral

Soutenir la résistance n’est pas seulement de la realpolitik. C’est une obligation morale face à un régime qui a instauré un véritable apartheid de genre, éradiquant les droits des femmes et des filles, persécutant les minorités ethniques et religieuses, bâillonnant les journalistes, rackettant les populations. Les témoignages des femmes contraintes au silence, des Hazaras massacrés, des enfants réduits à la mendicité rappellent que la violence talibane est systémique. Fermer les yeux sur les résistances, c’est accepter la complicité passive avec les bourreaux. C’est abandonner un peuple à son destin le plus sombre et nier des décennies de sacrifices faits au nom des droits humains.

Une menace globale

Les Talibans ne sont pas seulement un fléau pour les Afghans. Ils constituent un danger pour le monde entier : alliances avec des groupes djihadistes, transformation en narco-État, exportation de drogues et de violence. Leurs réseaux alimentent les marchés européens, financent les mouvements extrémistes d’Asie centrale et renforcent l’influence de puissances régionales qui exploitent l’instabilité afghane à leur profit. L’Europe et les États-Unis ne peuvent plus feindre d’ignorer le risque de voir réapparaître une base arrière terroriste, financée par la drogue et protégée par un régime hors la loi. Les attentats de demain pourraient trouver leurs racines dans les laboratoires de méthamphétamine d’aujourd’hui.

Bagram, symbole d’un vide stratégique

Ce constat a trouvé un nouvel écho lorsque Donald Trump a déclaré, le 18 septembre à Londres aux côtés de Keir Starmer, que son administration explorait la possibilité de reprendre le contrôle de la base aérienne de Bagram. Ancien centre névralgique des opérations américaines en Afghanistan, Bagram est décrit comme un atout stratégique majeur en raison de sa proximité avec la Chine. « Nous essayons de la récupérer », a-t-il affirmé. Aujourd’hui aux mains des Talibans, la base symbolise le vide laissé par le retrait occidental et l’urgence de repenser la stratégie face à un régime qui menace non seulement Kaboul, mais aussi l’équilibre régional et international. La simple évocation d’un retour américain à Bagram souligne à quel point l’Afghanistan reste au cœur des rivalités mondiales : contre le terrorisme, mais aussi dans la compétition avec Pékin et Moscou.

Un choix décisif pour l’Occident

La résistance afghane doit être soutenue. Cela ne signifie pas un retour des troupes étrangères, mais implique au minimum du renseignement, des moyens de communication, une reconnaissance politique et un appui diplomatique. Derrière chaque unité de résistance, il y a des familles qui refusent de céder et des preuves que le régime n’est pas invincible. Les résistants portent une double espérance : celle de libérer leur pays et celle de démontrer au monde que les Talibans ne sont pas une fatalité. L’Occident est à la croisée des chemins : détourner le regard et laisser l’Afghanistan devenir un narco-État exportant sa violence, ou assumer enfin la nécessité de soutenir ceux qui, sur place, résistent. L’amendement Crane ouvre une brèche, le rapport américain sur les stupéfiants rappelle l’urgence, et les propos de Trump sur Bagram signalent que la bataille pour l’Afghanistan n’est pas close. L’histoire jugera ceux qui auront préféré l’aveuglement à la solidarité.



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