Afghanistan 2025 : Malnutrition et risque de famine

Afghanistan — Malnutrition & risque de famine
Mise à jour au 8 octobre 2025, fondée sur les dernières publications de l’OMS/WHO, de l’IPC, de l’UNICEF, du PAM/WFP, de l’OCHA et d’ONG.
Points clés (maintenant)
  • Enfants atteints de dépérissement (wasting) : ~3,5 millions en 2025, dont ~1,4 million à très haut risque de mortalité. UNICEF
  • Sécurité alimentaire aiguë (IPC) : 12,6 millions en Crise+ (Phase 3+) en mars–avril 2025, amélioration saisonnière projetée ~9,5 millions (mai–oct.), mais dégradation attendue durant la soudure de fin d’année. ReliefWeb Food Security Portal +2
  • Aide alimentaire amputée : le PAM a suspendu l’assistance d’urgence en mai 2025, ne pouvant soutenir qu’~1 million de personnes/mois ; des centaines de sites nutritionnels ont fermé au S1 2025. wfp.org +2
  • Signal OMS (dernier cadrage) : l’« Analyse de situation de santé publique — Afghanistan » (28 août 2025) souligne les afflux massifs de rapatriés (Pakistan/Iran) qui aggravent les besoins sanitaires et nutritionnels. Organisation mondiale de la santé
  • Choc sismique (sept. 2025) : des séismes à l’est ont détruit des structures de santé et accru le risque de malnutrition pour des dizaines de milliers d’enfants, à l’approche de l’hiver. Save the Children International
Mise à jour 13 septembre 2025
Les Nations Unies ont averti que 9,5 millions de personnes en Afghanistan sont confrontées à une grave insécurité alimentaire, dont 1,6 million souffrent de faim à un niveau d’urgence.

Le Secrétaire général des Nations Unies, dans son dernier rapport trimestriel, a averti que près de 9,5 millions de personnes en Afghanistan sont confrontées à une grave insécurité alimentaire, dont 1,6 million dans des conditions d’urgence.
Selon le rapport, le Programme alimentaire mondial (PAM) a pu venir en aide à 8 millions d’Afghans entre avril et juin, en distribuant plus de 50 000 tonnes de nourriture et 31 millions de dollars d’aide en espèces. Cependant, le manque de financement a fortement réduit ses capacités, le laissant actuellement en mesure de soutenir seulement un million de personnes.
Le rapport souligne également que les programmes de traitement pour les enfants et les femmes souffrant de malnutrition ont été réduits de 60 %, laissant 1,2 million d’enfants de moins de cinq ans et environ un demi-million de femmes sans les soins médicaux nécessaires.
Il souligne que la crise alimentaire a été aggravée par le retour forcé des migrants afghans et la suspension de l’aide financière internationale, exposant des millions de personnes à la faim et à une malnutrition sévère.
12 septembre 2025
Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a fermé huit centres d’aide en Afghanistan, car les talibans interdisent désormais de façon stricte l’accès du personnel féminin de l’ONU à ces structures.
Ces centres étaient essentiels : ils aidaient quotidiennement environ 7 000 rapatriés afghans, dont beaucoup d’expulsés du Pakistan et des victimes du récent séisme majeur.
Les expulsions massives du Pakistan forcent environ un million de réfugiés à rentrer en Afghanistan. Près de 100 000 personnes ont franchi la frontière rien que durant la première semaine de septembre.
Selon le représentant du HCR en Afghanistan, cette fermeture n’est pas un acte politique, mais une conséquence directe de l’impossibilité de fonctionner sans employées femmes, notamment pour les entretiens et la collecte de données biométriques auprès des femmes afghanes.
Depuis début septembre, les talibans surveillent activement les centres avec des observateurs militaires pour faire respecter l’interdiction.
L’ONU a appelé les talibans à lever ces restrictions, avertissant que l’aide humanitaire — notamment pour les sinistrés du séisme et autres populations vulnérables — est désormais gravement menacée.reuters

https://www.reuters.com/world/asia-pacific/taliban-clampdown-women-forces-un-close-aid-centres-afghan-returnees-2025-09-12/

Afghanistan : Quand la malnutrition et la mainmise talibane enferment tout un peuple

Rana Tawakol, une vie de combat contre la malnutrition

Depuis les montagnes de Bamyan, plateau central de l’Afghanistan, Rana Tawakol incarne cette force discrète qui refuse de céder face à la fatalité. Chaque matin, à 25 ans, elle traverse les vallées pour ouvrir la petite clinique nutritionnelle, souvent unique espace d’espoir pour des femmes venues présenter leurs enfants amaigris, les joues creusées par la faim. Les familles, prisonnières de la pauvreté, voient leur alimentation réduite au trio monotone pommes de terre, riz, pain d’orge, sans accès à rien de plus nourrissant.

Pour Rana, le combat se joue d’abord sur le terrain du quotidien. Sensibiliser, rassurer, parfois même improviser une solution avec ce qu’offrent la saison, le hasard, la solidarité : un peu de yaourt par-ci, quelques haricots par-là. Elle sait que ces gestes modestes sont souvent la seule barrière avant la spirale qui entraîne tant d’enfants dans la malnutrition chronique. Mais à Bamyan comme ailleurs, la réalité du manque est implacable : l’effondrement de l’économie, la sécheresse, l’effritement du tissu social n’offrent que trop peu d’issues. Les efforts de Rana ne suffisent plus à endiguer la vague.

La malnutrition, symptôme d’un pays à l’agonie

Le cas de Bamyan ne fait pas exception : selon l’ONU, plus de 4,7 millions de femmes et d’enfants requièrent aujourd’hui un traitement d’urgence contre la malnutrition en Afghanistan, un chiffre en hausse constante. La crise trouve ses racines dans la série noire qu’a traversée le pays : chute de la République en 2021, retour des Talibans au pouvoir, isolement diplomatique, effondrement économique. L’aide internationale, qui représentait la moitié du PIB afghan, a été brutalement interrompue ou massivement réduite, paralysant services publics, santé, éducation, système de transferts sociaux.

À cela s’est ajoutée une sécheresse persistante, détruisant récoltes et cheptel, ruine supplémentaire pour une société majoritairement rurale. Face à la perte des récoltes, à la rareté des emplois et à la flambée des prix, l’endettement et la liquidation des maigres biens restants sont devenus la norme. Les hôpitaux débordent d’enfants souffrant de malnutrition aiguë : retards de croissance, troubles cognitifs, décès évitables, tout cela témoignage d’une tragédie silencieuse. Derrière chaque statistique, il y a des visages – ceux des enfants reçus par Rana, ceux des mères privées de tout.

Les blocages politiques et la question de l’aide volée

L’analyse de Lynne O’Donnell dans “The land of catastrophe where the Taliban regime steals aid” éclaire la question qui dérange : à quoi bon envoyer de l’aide si elle nourrit d’abord le système de ses propres bourreaux ? Depuis leur retour au pouvoir, les Talibans se sont érigés en véritables gestionnaires – voire pirates – de l’assistance internationale. Les informations issues de l’inspecteur général spécial pour la reconstruction de l’Afghanistan (SIGAR), les témoignages d’ONG, les rapports d’organismes multilatéraux, et maintenant l’enquête de Lynne O’Donnell dressent un tableau accablant : à chaque catastrophe, les Talibans prélèvent leur “dîme”, orientent l’aide vers leurs alliés ou leurs réseaux, multiplient les obstacles et les “taxes” sur les convoyeurs. La collusion remonte jusqu’à certains cercles onusiens, à travers pots-de-vin supposés et chantage économique.

Le constat est amer : après l’empilement des taxes, détournements et extorsions, à peine 30–40 % de l’aide atteint sa cible réelle. Les Talibans orchestrent la pénurie, la transforment en argument politique, contrôlent l’accès des associations, décident qui peut opérer, et s’enrichissent en toute opacité. Le peuple, lui, ne voit souvent transiter qu’une fraction des vivres, du matériel médical, ou de l’argent promis.

Pour les familles de Bamyan, la manne humanitaire se résume alors à un mirage. Les minorités ethniques, les communautés isolées, tous ces groupes qui ne servent pas les intérêts immédiats du régime se sentent abandonnés, et parfois désignés comme victimes expiatoires du cynisme politique. Des mères osent dénoncer les détournements, mais au risque d’intimidations voire de violences. Cette confiscation organisée de l’aide explique en partie le degré de désespoir et de colère montante sur le terrain.

Femmes exclues : l’autre verrou mortel

À cette mécanique perverse du détournement, s’ajoute désormais la volonté explicite des Talibans de paralyser l’action des femmes dans l’humanitaire. Interdiction faite aux employées afghanes des ONG et de l’ONU de travailler, blocage de leurs déplacements, fermeture de milliers de dispensaires ou d’écoles dans les districts ruraux… Ce verrou prive la moitié de la population de tout accès effectif à l’aide.

Dans les sociétés afghanes les plus conservatrices, seuls les membres féminins du personnel humanitaire peuvent approcher les bénéficiaires féminins ; or, leur absence signifie, concrètement, l’absence totale de soins, de protection et de distribution pour les millions de femmes et de filles. L’interdiction envers les employées humanitaires est souvent synonyme de condamnation à mort lente : l’accès médical, l’information nutritionnelle, la sécurité même du foyer sont sacrifiés. Les enfants garçons, lorsqu’ils sont trop jeunes ou privés de mères en capacité d’agir, subissent de la même manière cette exclusion mortelle.

Face à cette réalité, la rhétorique internationale selon laquelle l’aide ne profiterait pas aux Talibans s’effondre. Les denrées, médicaments, fonds acheminés avec les meilleures garanties procurent, souvent malgré les précautions, légitimité, ressources et pouvoir à ceux qui bâtissent leur autorité sur la souffrance qu’ils prétendent combattre.

La société civile afghane bâillonnée

Dans ce contexte d’étouffement politique et logistique, la société civile afghane tente encore de préserver des espaces d’initiative. À Bamyan, les efforts de Rana ne faiblissent pas : visites de villages, distributions directes quand c’est possible, plaidoyer local, stratégies d’adaptation pour tirer le maximum du peu disponible. Mais ces efforts, aussi admirables soient-ils, ne sauraient compenser l’étau international : nombre d’organisations manquent désormais de personnel féminin, de permission d’opérer, de subventions. L’incertitude paralyse l’action collective. La moindre prise de parole contre les détournements ou les interdictions s’accompagne d’un risque grave.

La réponse internationale : piège humanitaire ou devoir moral ?

À la lumière de ces constats, il devient impérieux de s’interroger sur le sens de l’aide humanitaire à l’Afghanistan. Faut-il continuer à alimenter un système dont les principaux bénéficiaires sont, au final, ceux qui ferment écoles, hôpitaux, et détournent vivres et soins ? Faut-il suspendre l’aide pour ne pas cautionner l’emprise talibane, au risque de sacrifier encore davantage les plus vulnérables ? Ou réformer de fond en comble les conditions d’octroi, en exigeant… quoi ? Une transparence que les Talibans refusent ? Un accès garanti pour les femmes que le régime ne tolère plus ? Un suivi international strict dont l’absence même explique la dérive actuelle ?

Plusieurs voix, dont celles relayées par Lynne O’Donnell ou le SIGAR, appellent à un changement de paradigme : conditionnalité absolue des fonds, audits indépendants constants, dénonciation publique des détournements, protection renforcée des lanceurs d’alerte locaux, et soutien inconditionnel à la présence féminine dans l’humanitaire. D’autres prônent la focalisation sur l’aide directe à la société civile, sur les petites ONG “de terrain”, ou sur des programmes innovants destinés aux femmes via des canaux alternatifs.

Conséquences sur le terrain : un avenir fracturé

Pendant ce temps, les hôpitaux de Kandahar, Herat ou Kaboul croulent sous l’afflux d’enfants faméliques ; les écoles de femmes ferment par dizaines ; la colère gronde dans les campagnes où la faim impose sa loi. Les enfants privés de soins, de nourriture et d’éducation verront leur avenir hypothéqué : retards cognitifs, risque de décès accru ou bien exil forcé en ville où débrouille et mendicité deviennent les seules issues. La baisse massive des transferts de fonds des Afghans expulsés du Pakistan ou d’Iran – autre drame en cours – aggrave la déroute des ménages.

L’immense tragédie silencieuse, celle-là même qui se déroule loin des caméras et sans bruit dans les vallons de Bamyan ou les ruelles de Kaboul, engage la responsabilité de tous : bailleurs de fonds, agences de l’ONU, ONG, gouvernements occidentaux. Laisser le système actuel perdurer, c’est accepter que l’aide consente plus à l’ordre des bourreaux qu’à la survie des victimes.

Pour sortir de cette impasse, l’action doit être refondée : plus de contrôle, plus de protection pour les acteurs locaux indépendants, refus catégorique du “deal” faustien qui permet à la répression d’avancer dissimulée derrière le masque humanitaire.

L’ultime question : malnutrition ou abandon ?

Le combat de figures comme Rana Tawakol et la résilience fragile de la société civile afghane témoignent d’une vérité : même dans l’étouffoir imposé par le régime taliban, des poches de solidarité, de courage et d’innovation subsistent. Mais elles ne sauraient survivre sans un soutien international lucide, courageux, assumé. La malnutrition, déjà facteur de mort lente, deviendra, si rien ne change, l’arme la plus efficace entre les mains d’un régime qui instrumentalise la souffrance pour consolider son pouvoir.

Ce n’est pas seulement la survie de millions d’enfants, de femmes et de familles qui se joue. C’est la crédibilité morale du système humanitaire mondial, l’exigence d’une solidarité rigoureuse, transparente et féministe, la définition même de ce que veut dire “aider” sans “trahir”.

À la fin, face à la tragédie afghane, chacun devra répondre : aura-t-on aidé les plus faibles, ou accompagné ceux qui les oppriment ?

Sources principales utilisées



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