Rafles, disparitions et électrocutions : la mécanique de la terreur des talibans contre les femmes

Arrestations arbitraires et extorsion

Le 15 août 2025, plusieurs femmes ont été arrêtées près de l’hôtel Parwan, dans le 11e district de Kaboul. Emmenées dans un centre de sécurité, leurs familles ont été convoquées et sommées de payer 20 000 afghanis (environ 280 dollars) pour espérer leur libération. Certaines détenues ont été relâchées le lendemain, d’autres sont toujours portées disparues. Toutes portaient pourtant déjà le hijab imposé par les autorités talibanes. Ces pratiques d’extorsion, qui mêlent contrôle social et revenus financiers pour l’appareil sécuritaire, sont devenues courantes depuis 2021.

373 disparitions en vingt jours

Entre le 17 juillet et le 11 août 2025, au moins 373 jeunes femmes et adolescentes ont été arrêtées à Kaboul et à Herat par la police des mœurs. Selon plusieurs témoignages et vidéos, toutes portaient un voile intégral. Certaines se rendaient à l’école, d’autres faisaient des courses pour leur famille. Malgré cela, elles ont été violemment interpellées et forcées à monter dans des véhicules banalisés.
Vingt jours plus tard, la plupart de ces jeunes filles demeurent introuvables. Des familles ont multiplié les démarches auprès des commissariats et des bureaux du ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice. Elles n’ont reçu aucune information, seulement des insultes. Une mère témoigne : « Ma fille priait, portait toujours le hijab. Quand je suis allée au poste de Dashte Barchi, on m’a répondu : ‘Comment oses-tu, femme déshonorée, réclamer une fille sans voile ?’ »

Transferts forcés et mariages imposés

Des enregistrements audio transmis à la presse révèlent que des détenues ont été déplacées de Kaboul vers Kandahar, Zabul et Helmand. Dans un message WhatsApp, un commandant taliban, Muslim Ehtiyat, déclare avoir « transféré » une jeune fille de Kaboul à Kandahar. Des sources locales affirment que certaines de ces disparues ont été mariées de force à des membres de la milice. Ces témoignages suggèrent que les rafles servent non seulement à intimider la population, mais aussi à alimenter un système d’esclavage sexuel institutionnalisé.

Rafles dans les hôpitaux, écoles et marchés

Ces disparitions s’inscrivent dans une stratégie plus large de contrôle social. La semaine du 15 au 20 juillet, des dizaines de femmes ont été arrêtées dans différents quartiers de Kaboul – Tank-e-Til, Qala-e-Fathullah, Kote Sangi, Shahr-e-Naw, Dasht-e-Barchi. Les agents talibans sont intervenus jusque dans des hôpitaux et des centres commerciaux. À Kote Sangi, des témoins ont vu des femmes battues puis jetées de force dans des véhicules. Aucun agent féminin n’était présent, en contradiction même avec les règles islamiques invoquées par le régime.
Des messages envoyés sur WhatsApp par des responsables communautaires, et consultés par la presse, ordonnaient clairement d’arrêter toute femme « ne respectant pas le hijab tel que requis par la charia ». Dans les faits, ces consignes ont ouvert la voie à une campagne massive de rafles sans contrôle judiciaire.

La torture par électrocution

Parallèlement aux disparitions, des méthodes de torture sont devenues routinières. Plusieurs témoignages recueillis par Rukhshana Media font état de décharges électriques infligées aux femmes arrêtées. Nafisa, 20 ans, raconte avoir perdu connaissance après une électrocution en pleine rue, avant d’être enfermée dans une cellule sombre avec d’autres prisonnières. Elle suit depuis un traitement antidépresseur.
Ces pratiques ne se limitent pas aux arrestations publiques. Des militantes comme Zarifa Yaqubi et Parwana Ibrahimkhil Najrabi ont déclaré avoir subi des électrocutions lors de leur détention, afin de leur arracher des aveux. Déjà en janvier 2022, des vidéos montraient l’usage de tasers contre des femmes manifestant pacifiquement. L’électricité est désormais utilisée comme un instrument de discipline politique et psychologique.

Une politique assumée de ségrégation

Les restrictions imposées à l’éducation confirment la cohérence du dispositif. Les écoles ont reçu l’ordre de refuser l’accès aux filles ne portant pas de voile intégral avec masque facial. Les étudiantes qui tentent d’entrer sans ce couvre-visage complet sont arrêtées. Des vidéos montrent des jeunes femmes encerclées par des talibans armés, insultées et emmenées de force. Dans l’une d’elles, une étudiante crie : « Vous nous avez privés de vie, d’école, d’éducation. Que voulez-vous de plus ? Craignez Dieu ! »
Les talibans nient systématiquement toute arrestation abusive. Pourtant, les témoignages concordants, les vidéos publiées sur les réseaux sociaux et les rapports d’ONG confirment que ces pratiques sont généralisées.

Condamnations religieuses et internationales limitées

Certains érudits religieux ont dénoncé ces pratiques, rappelant qu’elles contredisent les principes islamiques. « Utiliser le hijab comme prétexte pour arrêter et abuser des femmes est une transgression impardonnable », déclarent-ils. Des organisations comme Human Rights Watch et Amnesty International ont également condamné la multiplication des disparitions forcées.
Cependant, au niveau institutionnel, la réaction internationale reste minimale. Les Nations unies n’ont pas émis de condamnation explicite sur les rafles de juillet-août. Les chancelleries occidentales, focalisées sur la lutte antiterroriste, se montrent largement silencieuses face à ces violations. Cette absence de pression extérieure renforce le sentiment d’impunité du régime.

Vers un apartheid de genre

Pris dans leur ensemble, ces faits dessinent un système cohérent : arrestations arbitraires, torture par électrocution, extorsion financière, disparitions forcées et mariages imposés. L’objectif n’est plus seulement de contrôler la tenue vestimentaire des femmes, mais de les réduire à un statut de non-personnes, privées d’éducation, de mobilité et de sécurité.
Les organisations afghanes de défense des droits humains parlent désormais d’apartheid de genre : une politique d’État visant à séparer, subordonner et punir systématiquement les femmes en raison de leur sexe. Les disparitions massives de juillet-août marquent un tournant : la police des mœurs ne se contente plus de surveiller, elle fait disparaître.



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