Paroles de terrain contre discours de salon / 2

Le 28 décembre de cette année là eut lieu au sein du CADA la fête de la journée internationale des migrants et, à cette occasion toutes les communautés se sont rassemblées pour partager des spécialités culinaires de leurs pays respectifs. Tous les migrantsprésents ont pu danser et chanter sur les musiques traditionnelles de leurs pays ! Etaient présents des africains, des syriens, des libanais, des afghans et des sud-américains, des filles et des garçons. Le temps était suspendu. Un moment de fraternité pure et magnifique. Tous les travailleurs (ses) sociaux, tous les bénévoles étaient aussi présents et j’en garde un merveilleux souvenir ! Ce jour là fut une belle parenthèse de douceur au milieu du tumulte sur la planète terre.

Au fil du temps ils ont commencé à se raconter. Chacun avait une histoire différente mais chacune d’elle était douloureuse. Venus à pied pour la plupart, ils avaient traversé 5333 kms environ pour arriver jusqu’ici. A pied, en camion, dans le coffre de voitures, beaucoup n’ont pas survécu.

Cet exode forcé, cette expérience violente à laquelle ils n’étaient pas préparés avait marqué leurs jeunes visages et il fallu de longues semaines avant de voir disparaître les stigmates de la peur dans leurs regards.

Au cours de ce périple ils furent souvent molestés, ils ont vécu dans des camps de fortune plusieurs semaines, ils ont eu froid, faim, ils ont eu peur, mais ils ont réussi à atteindre le but qu’ils s’étaient fixé malgré tout. Très vite, j’ai eu envie de partager avec eux autre chose que des cours de français.

La première sortie à l’extérieur fut le concert philharmonique du nouvel an pour lequel j’avais obtenu des places gratuites. J’étais un peu sceptique sur mon choix mais à ma grande surprise ils ont beaucoup aimé et depuis, ils n’ont cessé de m’épater sur leur capacité d’adaptation incroyable. En février, après une balade dans la campagne, je les ai accueilli chez moi, pour la première fois, afin de partager la galette des rois, oui oui vous ne rêvez pas !

Il a fallu expliquer la signification de cette fête et ils sont repartis chacun avec une fève (j’avais prévu ) en guise de porte bonheur. Nous sommes également allés au cinéma voir le film «Pathaan», avec, dans le rôle principal, leur idole Shah Rukh Khan né à Delhi mais d’origine afghane si j’ai bien compris ! Une sorte de James Bond façon indienne ! Croyez-moi leur sourire faisait chaud au cœur. Le bruit des kalachnikovs s’éloignait peu à peu.

Puis, nous avons multiplié les sorties, matchs de foot et de basket, les dîners à la maison pour l’Aïd, autour du kabouli Palaw, plat national incontournable et délicieux qu’ils cuisinent si bien. Eux derrières les fourneaux, moi, dressant une jolie table. Ils ne me laissent même pas faire la vaisselle, cela me fait beaucoup sourire.

Chez moi, Il leur a fallu apprendre à manger à table, tous ensemble et commencer à s’habituer aux mœurs occidentales. Ils ont très vite accepté ces nouvelles règles et aujourd’hui, trois ans plus tard, c’est devenu complètement banal. Mes amis et amies français présents parfois, consomment du vin pendant les repas, eux ne trempent même pas leurs lèvres mais ces breuvages issus des vendanges les intriguent beaucoup. Mais comme, un peu plus tard, ils ont, eux-mêmes, fait les vendanges la boucle était bouclée.

En contre-partie j’ai acheté un tapis de prières et aux heures convenues ils s’isolent pour prier quand ils le souhaitent. Le respect va dans les deux sens. Je respecte leur religion, ils respectent mes convictions, moins dogmatiques que les leurs. Nous passons des soirées entières à parler de leurs vies la-bas, nos différences, nos mœurs si éloignées des leurs, conversations animées et passionnantes toujours dans le respect de chacun, ils veulent tout savoir, tout comprendre.

Leur force est, je crois leur jeune âge.

Dès l’été nous sommes allés à la plage :  autre experience ! L’épreuve du maillot de bain fut bien vécue pour eux et nous avons passé un moment merveilleux. nJ’avais fait le choix de mon côté de ne pas me mettre en maillot de bain par pudeur mais aussi pour ne pas les mettre éventuellement mal à l’aise.

Le bonheur se lisait sur leur visage, ils se sont baigné et ont joué au ballon toute la journée. Nous sommes allés en balade en montagne lors d’autres week-ends, endroits qu’ils apprécient beaucoup, paysages qui leur rappellent un peu les montagnes afghanes.

Toujours dans une ambiance joyeuse, même si souvent, la tristesse se faufile dans leurs regards en pensant à leur famille si loin d’eux, sans savoir s’ ils pourront un jour les revoir. Nous sommes également allés dans un parc animalier, visiter des grottes,  faire une promenade en bateau, jouer au bowling. L’été donne souvent l’occasion de barbecues au bord d’une rivière ou chez une amie bénévole qui met à leur disposition sa piscine les jours de forte chaleur. Ces repas se terminent souvent par des parties de pétanque, de ballon ou de badminton. Entre eux ils jouent beaucoup au Cricket, sport national, vestige de l’invasion britannique. Récemment, nous sommes allés au Musée des beaux-art, visite qui a donné lieu à de gros fous rire et également visiter un château.

Rétrospectivement, je sais bien qu’ils n’ont pas tous progressé en français au même rythme, plusieurs n’ayant jamais été à l’école mais ils font beaucoup d’efforts. Grâce, ensuite, aux cours prodigués par l’ O. F. I. I. (pour ceux qui ont obtenu leurs papiers) et leurs diverses formations, les résultats sont globalement satisfaisants. Travailler avec des français les aide beaucoup.

La semaine dernière nous sommes allés voir le film 13 jours, 13 nuits du réalisateur Martin Bourboulon avec en acteur principal Roschdy Zem. Ce film, tiré de faits réels extraits du livre de Mohamed Bida, témoin de cet enfer, a réussi à retranscrire cette période terrifiante assez fidèlement. Ils se sont replongé pendant deux heures dans une page cruelle de leur histoire, la deuxième prise de pouvoir des talibans et le départ précipité des occidentaux ainsi que l’évacuation compliquée de presque 3000 afghans.

Nous étions très émus, l’angoisse était palpable mais ils voulaient se confronter à ces terribles images considérant qu’elles font partie de leur histoire. Depuis trois ans ils me sont devenus essentiels et je crois que de leur côté ils m’accordent une jolie place dans leur vie.Récemment, à l’occasion de mon anniversaire ils m’ont fait la surprise de venir chez moi avec un gros bouquet de fleurs et un parfum ! Difficile de ne pas pleurer, j’étais tellement émue. Quelle évolution, quel chemin parcouru!

Aujourd’hui nous nous voyons un peu moins, essentiellement lors de certains week-ends. Beaucoup ont obtenu leurs papiers et ils ont rapidement trouvé du travail. Certains ont suivi une formation qualifiante avec succès, d’autres ont répondu aux offres qui se présentaient, restauration, bâtiment, etc. . . Tous, désormais en CDI. L’un d’eux a repris ses études à la Fac, il sera probablement traducteur, c’est son projet. Leurs patrons sont très satisfaits de leur assiduité et de leur implication. Ils me rendent très fière de leur attitude positive et entreprenante.

Ils aiment profondément leur pays mais n’acceptent pas d’y vivre sous ce régime despote, d’autant qu’aujourd’hui ils sont très occidentalisés, ce serait vraiment compliqué de repartir après avoir goûté à la liberté de vivre, de penser, de s’amuser. , d’écouter de la musique, de s’habiller comme ils le souhaitent. Pour autant ils restent plutôt sages, ils sortent bien sûr, le soir, parfois en discothèque mais restent imprégnés de leurs valeurs. Ils trouvent les jeunes filles françaises très belles mais très peu osent les aborder. Ils continuent de pratiquer leur religion sobrement et il n’y a rien à redire de ce côté là.

La seule ombre et pas des moindres reside dans la connaissance de la condition des filles là bas, ils en ont conscience et s’en désolent.Quand ils ont pris la décision de partir pour éviter une mort certaine, ceux qui, malgré leur jeune âge sont déjà mariés n’ont pas eu d’autre choix que de partir seuls. Leur femme ne pouvait pas les accompagner dans cette fuite en Europe, trop risquée, trop dangereuse, surtout avec des bébés.

ils espèrent simplement pouvoir les faire venir un jour, plus tard, ils savent et elles aussi le savent que ça ne sera pas chose aisée, obtenir des passeports reste compliqué en Afghanistan et obtenir un visa pour la France encore plus problématique !

Heureusement, grâce à Internet les liens sont maintenus et réguliers. Sur vingt garçons qui suivaient mes cours, malheureusement, quatre ont été déboutés et là, les larmes ont coulé abondamment. Avec deux autres bénévoles qui sont devenues des amies et qui pourraient, elles aussi, raconter ce même genre d’histoires avec des Afghans, nous avons endossé le bâton de la résistance, avec l’espoir de les sauver à tout prix.

Il a fallu rencontrer les avocates, rédiger des lettres auprès des autorités, jusqu’au Ministre de l’Intérieur Place Beauvau, jusqu’à l’Élysée, avant le démantèlement du gouvernement. En vain. Il a fallu constituer des dossiers de recours à l’ O. F. P. R. A et la C. N. D. A, parcours épuisant et angoissant; Apporter des preuves d’intégration, photos à l’ appui, des attestations de toutes sortes, bénévolats et autres, etc. . .

Qu’elles furent courtes ces nuits en attendant le verdict. L’un d’eux, mon petit protégé, que j’avais réussi à sauver de la maladie, a fait partie du lot des malchanceux. Malgré tous mes efforts, le second recours a échoué. La sentence est tombée, froide et implacable ; Il a dû repartir sur les chemins de l’exil, nos adieux furent déchirants. Depuis, mon cœur saigne et ne guérira jamais. Pour les trois autres nous attendons encore la décision du C. N. D. A.

Les arguments avancés par l’ O. F. P. R. A et la C. N. D. A pour justifier leurs refus sont souvent surprenants et me laissent perplexe :

Pas assez de détails sur leur lieu d’habitation, histoires confuses et peu crédibles (selon eux) il ne court plus aucun danger en Afghanistan ! aujourd’hui, ils peuvent rentrer sans craintes ! , etc. . . Bien sûr, je ne sais pas si leurs histoires sont vraies ou un peu modifiées, je sais juste que prendre la décision un beau matin de tout quitter brusquement, partir avec juste un sac à dos et venir ici dans de telles conditions sans savoir ce qui les attend, ne peut être motivé que par de sérieuses raisons.

Non, la vie en Afghanistan aujourd’hui n’est toujours pas paisible, non, ils ne risquent pas rien en retournant la-bas, ce n’est pas vrai. Un pied sur le tarmac de Kaboul, ils sont morts. Un de mes élèves a reçu un jour, il y a six mois, pendant le cours de français, un appel de son frère; les talibans venaient de mettre le feu chez lui en présence de sa famille. Il a pourtant fui l’Afghanistan depuis quatre ans suite à l’assassinat sous ses yeux d’un autre de ses frères. Il est revenu en cours effondré, inconsolable. Que pouvais-je dire? A part le prendre dans mes bras sans parler.

Leurs familles continuent d’être harcelées, menacées. C’est pour cette raison et pour garantir leur sécurité que je ne donne aucun nom de famille.

Avons-nous eu, mes amies bénévoles et moi-même, de la chance? est-ce que ce groupe est special ? Ou bien est-ce que l’attention constante que nous leur avons prodiguée a porté ses fruits ? Impossible de répondre, mais chaque fois que j’entends des critiques acerbes à leur encontre je suis révoltée.

Ces trois années à leurs côtés n’ont fait que renforcer notre amitié. Ils n’ont jusqu’à présent donné lieu à aucune déception. D’autant que d’autres garçons non issus de mes cours se sont greffés au groupe et ils sont eux aussi très attachants.

Sans doute les quotas sont obligatoires et nécessaires mais qu’il est difficile de les voir repartir sur les routes de l’exil après tant d’années passés ensemble. S’être si bien intégré, être parvenu à créer des liens, un semblant de bonheur et tout à coup c’est fini. Messieurs vous êtes priés de partir immédiatement.

  1. O. Q. T. F. , ces quatre lettres sonnent le glas. Pour beaucoup elles évoquent une menace, une dangerosité, ils les confondent avec les Fichés S. Cette sentence est vécue par eux comme une injustice incompréhensible. C’ est d’une extrême violence et selon moi contre productif. Après trois ans passés en France il n’aspirent qu’à travailler et de ce fait contribuer à l’économie de la France . Nulle envie pour eux de vivre avec le RSA, ce n’est pas leur culture.

Repartir, d’accord, mais pour où ? C’est bien ça la question : où? Est-ce mieux d’en faire des clandestins aux abois ? A la merci des réseaux mafieux ou intégristes ? Je pose la question.

Kesmat, (destin) comme ils disent, oui le destin bien sûr, on me dit de m’ y résoudre, que j’ai fait ce que j’ai pu, mais moi je n’y parviens pas. Si, aujourd’hui je devais faire un bilan de cette expérience le premier mot qui me viendrait immédiatement en pensant à eux, c’est merci, (manana en pachtoune. )

Merci pour leur gentillesse, leur respect, leur capacité à relever tous les défis.

Merci pour leur résilience, leur force incroyable. Merci pour l’affection qu’ils me donnent.

Je n’embellis pas le tableau, je relate ce que je vis au quotidien depuis trois ans.

Quel serait mon intérêt de fabuler?

Depuis, quelques mois, trop affectée par le départ forcé de mon petit protégé, j’ai quitté le C. A. D. A. Je ne pouvais pas prendre le risque de m’attacher à de nouveaux garçons et les voir possiblement déboutés eux aussi, trop difficile.

Je continue d’ accompagner mon groupe dans leur parcours administratif, très lourd en France, je m’en rends compte à travers eux. Trouver un appartement par exemple et les accompagner pour choisir les meubles, chercher une mutuelle, calculer un budget. Prévoir de passer le permis de conduire etc. . . Parcours de tous les jeunes qu’ils soient étrangers ou français bien sur, mais quand on ne maîtrise pas parfaitement une langue, lire les documents administratifs relève du parcours du combattant.

Ceux, qui ont enfin trouvé à se loger nous invitent souvent à dîner chez eux. Ils sont si fiers de nous recevoir et nous si heureuses de les savoir en sécurité. Quelle chance nous avons d’être nés ici, soyons-en conscients et conscientes.

Je vais citer leurs prénoms par ordre alphabétiques pour les faire exister vraiment, ce récit est pour eux et pour témoigner de ma gratitude d’avoir pu croiser leurs routes. Il est vrai qu’en termes de probabilités, à priori, la possibilité que nos destins se croisent était faible. Merci au destin de nous avoir réunis.

Merci à Abdhoula, Abdelrani, Awaljan, Aziz, Baharullah, Habibrahman, Merwali, Mohamad, Mourad, Navidhoulha, Noman, Saddam, Samsoour, Sangar, Sharif, Schahwali, Sidiqullah, Subhan, Waris, et Yousef.

Merci à ceux et celles qui me liront et surtout merci à Elisabeth CAZAUX-LAGROLET, fondatrice de la Lettre d’Afganistan pour m’avoir invité à raconter mon expérience en réponse aux détracteurs potentiels.

«Si tu diffères de moi mon frère, loin de me léser, tu m’ enrichis»

Albert Camus.

L’ Amitié,

(chanson de Françoise Hardy):

« Beaucoup de mes amis sont venus des nuages,

Avec soleil et pluie comme simples bagages,

Ils ont fait la saison des amitiés sincères,

La plus belle saison des quatre de la terre.

Ils ont cette douceur des plus beaux paysages,

Et la fidélité des oiseaux de passage,

Dans leurs cœurs est gravée une infinie tendresse,

Mais parfois dans leurs yeux se glisse la tristesse.

Alors, ils viennent se chauffer, chez moi, et toi, aussi tu viendras.

Tu pourras repartir au fin fond des nuages,

Et de nouveau sourire à bien d’autres visages.

Donner autour de toi un peu de ta tendresse.

Lorsqu’un autre voudra te cacher sa tristesse.

Comme on ne sait pas ce que la vie nous donne,

Il se peut qu’à mon tour je ne sois plus personne.

S’il me reste un ami qui vraiment me comprenne,

J’oublierai à la fois mes larmes et mes peines.

Alors, peut-être, je viendrai, chez toi, chauffer, mon cœur à ton bois. »

(Paroles de Jean-Max Rivière. )



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