Les Talibans, fossoyeurs de l’âme bouddhique de l’Afghanistan
Mes Aynak, sanctuaire bouddhique et mémoire millénaire, livré aux convoitises minières
Le drame qui se joue à Mes Aynak, ce site bouddhiste millénaire situé dans la province de Logar, dépasse le simple conflit entre archéologues et bulldozers. Il révèle les fractures profondes d’un Afghanistan pris au piège entre dictature talibane, appétits étrangers et indifférence internationale. C’est une tragédie stratégique et culturelle, où chaque acteur expose, par ses choix, sa véritable nature.
Les Talibans : le double jeu d’un pouvoir prédateur
Depuis leur retour à Kaboul en août 2021, les Talibans ont cherché à se doter d’une respectabilité internationale. Ils multiplient les déclarations sur la protection du patrimoine, allant jusqu’à affirmer en 2025 que Mes Aynak serait « préservé » tout en autorisant l’exploitation minière. Ils veulent faire croire qu’ils ont tiré les leçons de la destruction des Bouddhas de Bamiyan en 2001. Mais la réalité est implacable : leurs priorités sont économiques et idéologiques, jamais culturelles.
Leur logique est celle d’une gouvernance extractiviste. Sous pression d’une économie en ruine et d’un isolement diplomatique quasi total, le régime mise sur les ressources minières pour consolider son pouvoir. Cuivre, lithium, terres rares : autant de richesses qu’ils cherchent à échanger contre un semblant de reconnaissance internationale et des flux financiers. La signature des contrats sur Mes Aynak avec la China Metallurgical Group Corporation (MCC) illustre cette stratégie : céder la terre afghane, quitte à effacer 2000 ans d’histoire.
Leur discours sur la « protection » du site est une façade cynique. Les témoignages locaux et les images satellites attestent que les infrastructures minières progressent alors que seule une fraction du site a été fouillée. Les Talibans instrumentalisent le patrimoine comme outil de propagande, tout en laissant les bulldozers chinois se rapprocher du cœur archéologique.
La China Metallurgical Group (MCC) : l’avidité au mépris de l’Histoire
Derrière cette tragédie, l’acteur clé est MCC, géant chinois de la métallurgie. Détentrice d’un contrat de 30 ans signé dès 2008 pour exploiter le cuivre de Mes Aynak, l’entreprise incarne l’appétit géoéconomique de Pékin.
L’objectif est clair : sécuriser des ressources stratégiques dans le cadre de l’initiative Belt and Road. Le cuivre de Mes Aynak est vital pour l’industrie électrique et la transition énergétique chinoise. Mais à aucun moment, MCC n’a montré une volonté réelle de respecter les standards internationaux de préservation culturelle. Ses promesses de construction d’infrastructures, de relogement des communautés locales, de chemin de fer et de centrale électrique ont été repoussées ou abandonnées.
Pendant plus d’une décennie, le projet est resté en sommeil, officiellement pour des raisons de sécurité. Mais en 2024, alors que les Talibans consolidaient leur contrôle, MCC a relancé le chantier avec une rapidité brutale : route d’accès, bases de chantier, installation des machines. Aucun plan d’impact environnemental sérieux n’a été publié, et le plan de gestion archéologique reste un simulacre. La Chine avance, sûre que l’impunité lui est acquise.
En réalité, Mes Aynak illustre un modèle classique : des puissances étrangères exploitent la fragilité d’un État autoritaire pour accéder à ses ressources, en sacrifiant sa mémoire et sa souveraineté culturelle.
Les archéologues et la DAFA : sauver l’indispensable dans l’urgence
Face à ce rouleau compresseur, quelques dizaines d’archéologues afghans et internationaux tentent l’impossible. Depuis 2010, la DAFA (Délégation archéologique française en Afghanistan) coordonne les fouilles avec l’Institut afghan d’archéologie et l’appui d’ONG et d’universités étrangères.
Ils travaillent dans des conditions extrêmes : menaces terroristes, manque de financement, délais intenables imposés par le calendrier minier. Malgré tout, leur bilan est remarquable : plusieurs centaines d’artefacts sauvés, temples documentés en 3D, manuscrits préservés. Mais ce n’est qu’une victoire partielle. En 2015, seulement 10 % du site avait été fouillé. Les chercheurs estiment qu’il faudrait encore vingt ans pour l’explorer dignement.
Leur courage souligne l’absurdité de la situation : le monde académique lutte pour sauver des fragments de mémoire, pendant que des bulldozers planifient déjà l’anéantissement de ce qui reste.
Les populations locales : entre trahison et impuissance
Les habitants de la province de Logar sont les premières victimes invisibles de ce drame. D’un côté, ils vivent dans une pauvreté extrême, parfois tentés par les emplois précaires que le chantier minier promet. De l’autre, ils voient disparaître un patrimoine qui, bien que bouddhiste et non musulman, est reconnu comme partie intégrante de l’histoire afghane.
En 2015 déjà, des villageois avaient adressé des pétitions pour demander la suspension des travaux. Ces appels n’ont pas été entendus. Aujourd’hui, sous régime taliban, toute contestation est impossible. Les communautés locales subissent une double injustice : elles ne bénéficient pas réellement de la manne minière, et elles perdent à jamais un site qui pouvait être une source de tourisme et de fierté nationale.
La communauté internationale : entre indignation et passivité
L’UNESCO, des ONG comme le Global Heritage Fund ou ALIPH, et quelques ambassades occidentales ont tenté d’alerter et de financer les fouilles. Mais leurs moyens sont limités, et leur influence sur le régime taliban quasi nulle.
Les institutions financières comme la Banque mondiale ont longtemps lié l’aide au développement à une gestion responsable des ressources naturelles, mais ces principes se heurtent à la realpolitik. Dans les faits, la communauté internationale se contente de protestations symboliques, sans imposer de conditions sérieuses à MCC ou aux Talibans.
Cette passivité est une complicité indirecte. En laissant avancer ce projet, les États et organisations qui financent l’archéologie participent à une mise en scène hypocrite, où quelques fragments sauvés servent d’alibi à une destruction programmée.
Analyse stratégique : une tragédie à plusieurs niveaux
L’affaire Mes Aynak est un révélateur stratégique. Elle condense les logiques de prédation qui dominent l’Afghanistan post-2021.
L’asymétrie des forces est flagrante : les Talibans contrôlent le territoire mais sont dépendants de l’argent étranger ; MCC détient les moyens financiers et techniques, et impose son calendrier ; les archéologues et ONG n’ont que l’argument moral, sans pouvoir coercitif.
Les temporalités sont inconciliables : l’exploitation minière obéit à une logique de profits à court terme, la recherche archéologique exige des décennies, et la mémoire culturelle se compte en millénaires.
Enfin, l’instrumentalisation idéologique est totale : les Talibans se servent du patrimoine pour redorer leur image internationale, tout en le sacrifiant pour obtenir des ressources ; la Chine, pragmatique, se présente comme un partenaire économique sans se soucier du prix culturel.
Un discours de dénonciation nécessaire
Face à ce constat, un discours de dénonciation doit porter trois messages. D’abord, nommer les responsables : Talibans, MCC, et par extension les acteurs internationaux passifs. Ensuite, mettre en lumière le crime culturel : Mes Aynak n’est pas seulement une perte pour l’Afghanistan, mais pour l’humanité entière. Enfin, appeler à l’action : exiger un moratoire immédiat sur toute exploitation minière avant fouille complète, mobiliser les instances culturelles et faire pression sur la Chine.
Appel moral
Mes Aynak est plus qu’un site archéologique : c’est un pont entre civilisations, un témoin silencieux de l’Afghanistan multiconfessionnel et cosmopolite d’autrefois. Le laisser disparaître, c’est accepter que la barbarie et le profit effacent la mémoire des peuples.
Comme Bamiyan hier, Mes Aynak aujourd’hui nous tend un miroir : celui de notre capacité à protéger ce qui fait sens, ou à regarder ailleurs pendant que le passé est englouti sous des tonnes de cuivre.
Sources :
Global Initiative – Why is Afghanistan Part of the Great Extractives Race?
Lawfare Media – Afghanistan’s Critical Minerals Aren’t a Great Investment
Encyclopédie Mes Aynak
Phayul – Taliban Claim to Protect Mes Aynak
Cultural Property News – Taliban Ban Images, Promise to Preserve Site
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