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Les rues silencieuses de Kaboul : le cri étouffé d’une génération en danger

D’après l’essai de Moheba Karimi

Dans The Silent Streets of Kabul, Moheba Karimi dresse un tableau d’une grande précision morale et analytique de la situation des enfants de Kaboul depuis le retour des Taliban au pouvoir en août 2021. Pour elle, la capitale afghane, « le cœur symbolique et encore battant du pays », est devenue un miroir des « fractures politiques, économiques et morales » qui traversent l’Afghanistan contemporain.

L’autrice montre comment l’effondrement du gouvernement républicain et le retrait international ont conduit à un vide institutionnel massif. Déjà avant 2021, « près de la moitié des enfants vivaient sous le seuil de pauvreté » (UNICEF), signe que la fragilité structurelle du pays était antérieure au retour des Taliban. L’effondrement politique et économique a ensuite précipité des milliers de familles vers la misère, provoquant une explosion du nombre d’enfants travaillant dans les rues, désormais forcés de « remplacer la salle de classe par les carrefours et la survie ».

Karimi décrit avec force les scènes quotidiennes de Kaboul : Shahr-e-Naw, Kote-Sangi, Deh Afghanan, où « de petites silhouettes se faufilent entre les voitures, poussent des charrettes, cirent des chaussures ou mendient ». Pour beaucoup, la rue est devenue à la fois refuge, lieu de travail et horizon unique, conséquence directe d’une triple crise : effondrement économique, déplacements massifs, et disparition des protections publiques. Les organisations locales tentent d’agir, mais l’absence de vision institutionnelle rend leurs efforts dérisoires.

L’autrice insiste particulièrement sur l’effondrement de l’éducation, qu’elle qualifie de « plus grande victime de la rupture politique ». La fermeture des écoles de filles et la dégradation des écoles de garçons ont non seulement détruit deux décennies de progrès, mais menacent de créer une « génération perdue » (UNESCO). Pour Karimi, la question n’est pas seulement politique : elle est civilisationnelle. Les Taliban remplacent « l’instruction scientifique et civique par un contenu dogmatique », étouffant créativité, pensée critique et développement intellectuel.

L’analyse ne se limite pas à accuser les Taliban. L’autrice développe une approche de responsabilité partagée. Elle pointe les « échecs combinés de l’intervention étrangère et de la gouvernance afghane » : corruption endémique, absence de contrôle des fonds internationaux, incapacité à bâtir un État durable. Elle va plus loin en affirmant qu’« une part de responsabilité morale incombe aussi à la société afghane elle-même », dont le tissu civique s’est érodé au fil des décennies de guerre.

Mais au cœur du désastre surgissent des lueurs d’espoir. Karimi rend hommage aux initiatives locales : classes clandestines, enseignants bénévoles, ONG distribuant nourriture et soutien psychosocial. Elle décrit des enfants qui, malgré tout, « apprennent en secret via des téléphones, se regroupent en cercles d’entraide ou combinent travail et alphabétisation ». Cette résilience constitue, selon elle, la preuve que « la reconstruction est possible si elle est soutenue avec lucidité et constance ».

Moheba Karimi clôt son essai sur une phrase devenue sa signature :
« Quand les rues deviennent des écoles et le ciel un toit pour les enfants oubliés, une nation n’est pas seulement brisée : elle enterre silencieusement son propre lendemain. »

Une mise en garde, mais aussi un appel : sauver les enfants de Kaboul, c’est sauver l’avenir de l’Afghanistan.


The Silent Streets of Kabul – The Plight of Children under the Taliban Regime
par Moheba Karimi


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